Mezri Haddad à Fabius : «Vous servez les intérêts américains et britanniques en Syrie»
L’ancien diplomate tunisien, Mezri Haddad, a appelé le ministre des Affaires étrangères français à ne pas suivre l’exemple de l’ancien secrétaire d’Etat américain Colin Powell. «M. Fabius, ne soyez pas à la Syrie ce que Colin Powell fut pour l'Irak !», écrit-il, dans une tribune parue dans l'édition française du Huffington Post.«Les initiés savaient déjà que le fameux "printemps arabe" était intrinsèquement islamo-atlantiste et qu'il consacrait le projet de Grand Moyen-Orient (GMO) cher aux néoconservateurs américains», souligne le philosophe tunisien. Haddad relève la contradiction dans la politique étrangère française et rappelle, pour ce faire, les propos d’Alain Juppé en 1994 : «Au cours de sa visite aux Etats-Unis, Alain Juppé disait avoir mis en garde son homologue Warren Christopher : "On peut se résigner à une prise du pouvoir inéluctable du FIS à Alger. Moi, je ne m'y résigne pas… Dans son essence même, le FIS est un mouvement extrémiste, fondamentaliste, antieuropéen et antioccidental. S'il parvient au pouvoir, les conséquences seront inéluctables dans tout le pourtour de la Méditerranée"». Qu’est-ce qui a fait changer d’avis à Paris, depuis ? Mezri Haddad confirme les propos de Juppé dans une interview qu’il (Juppé) avait accordée à un magazine tunisien : «Si l'Algérie voyait l'arrivée des islamistes au pouvoir, personne ne serait à l'abri d'une telle catastrophe. Il faut tout faire pour éviter ce risque. La France ne ménagera naturellement pas son aide pour préserver la sécurité et la stabilité de ces pays. Nous serons à leurs côtés». Et c’est tout le contraire qui s’est produit. Mezri Haddad part du constat de l’ancien ministre des Affaires étrangères français, pour attirer l’attention de Laurent Fabius sur le fait que, vingt ans plus tard, «la politique suicidaire et autiste de la France au pays de Bachar Al-Assad (…) a pris un tournant décisif avec la destruction de la Libye». Il explique la nouvelle alliance islamo-atlantiste «dont la première pierre fondatrice a été sans doute le traité de Quincy, qui a été signé entre Ibn Saoud et Franklin Roosevelt au lendemain de la conférence de Yalta, en février 1945», par des considérations énergétiques : «A nous le pétrole, à vous la charia, chacun sa religion !», ironise-t-il. L’opposant au régime actuel de Tunis, à qui il reproche son laxisme vis-à-vis du péril islamiste, estime que ni les droits de l'Homme, ni la raison d'Etat, ni les intérêts économiques ne peuvent-être invoqués pour justifier cette alliance entre l’Occident et les terroristes islamistes, «car de la destruction et de la partition de la Syrie en émirats confessionnels, la France n'en récoltera manifestement rien, si ce n'est les menées subversives et terroristes des islamistes sur son propre territoire. La France n'en tirera aucun bénéfice économique ou énergétique, à l'instar de l'Irak hier et de la Libye aujourd'hui, deux ex-Etats où le chaos régnant n'empêche pas les bonnes affaires avec les entreprises et compagnies pétrolières américaines et britanniques». Mezri Haddad conseille aux Français de mettre fin à leur «impétuosité à vouloir détruire une civilisation» et à «ce bellicisme frénétique contre un pays qu'une longue histoire autant que des intérêts stratégiques lient à la France». Pour lui, rien ne peut justifier un tel aveuglement : «Ni l'idéal démocratique auquel aspire effectivement le peuple syrien. Ni la question des droits de l'Homme que le monde libre a certainement le devoir moral de défendre partout où ses droits sont malmenés, y compris dans le cas des Palestiniens. Ni le contrat à durée indéterminée entre l'émirat du Qatar et la République française. Ni même les supposées attaques chimiques syriennes, qui sont à la diplomatie française ce que les armes de destruction massive furent à la propagande anglo-américaine, une désinformation que l'honnête Colin Powell a profondément regretté dans ses Mémoires».
Karim Bouali