A propos des saha f’tourek et saha Ramdhanek…
Oh, nostalgie ! Naguère, on faisait le Ramadhan sans nous en rendre compte et rare était le gaspillage alimentaire. Or, depuis une dizaine d’années, nous constatons un bouleversement dans la manière de consommer ainsi que de nouveaux comportements linguistiques et corporels. Certains surprenants, d’autres carrément ridicules. Ainsi, les bousculades dans les boulangeries et les pâtisseries. Les bibliothèques et les librairies comme toujours sont désertées. Pendant le mois sacré, vous avez remarqué la mode des saha,que l’on entend sans cesse dans la rue et prononcé surtout par les hommes, du genre saha f’tourekdès 8 heures du matin. Ou encore ouech rak maâ ramdhan ? Bien sûr, tout cela n’est pas grave, c’est même gentil. Un détail dira-t-on. C’est bien de dire saha,qui est un signe de politesse, de convivialité et de fraternité. Cela renforce la solidarité bien connue de notre peuple. Mais user de la formule comme par reflexe devient superflu. Et on l’entend surtout en milieu urbain. Mais trop de sahanuit à la crédibilité et aux intentions d’un Ramadhan spirituel et dévotionnel. Dans les bus, dans les bureaux et les couloirs, on n’entend que ça, alors que sur les bancs publics et dans les bureaux, on fait la sieste, alourdis par les sahrate (soirées) frugales qui nuisent au sommeil, déglinguent l’individu lors du réveil. Alors, la productivité n’est pas saha; elle chute.
Comme beaucoup d’autres, personnellement, je ne dis pas saha Ramdhanekou saha siamek,ou encore saha f’tourek.Même pas sahatout court. Sahapour moi, c'est merci, du moins à Béjaïa et dans la Casbah ou j'ai vécu. Rappelons-nous : saha, kalakhni !– il m’a trompé –, avec intonation crescendo, ou encore saha ya khouya !,lorsque le cafetier pose le verre de thé. Ou encore ouech ya Mo, djatek lamana ? Saha âlik,djatni. Saha îdek , saha hammamek,etc. C’était le temps où les saha étaient dis à bon escient.
J'arrête, je suis en train de faire un glossaire sur le nouveau parler algérien belébien. Matnirviniche, matégzajiriche, envoyaoulou la rouquète(ils lui ont envoyé la requête), mabrouk backek(félicitations pour ton bac), etc.
Pourquoi saha Ramdhanek? Il va de soi que l'on respecte l’un des les piliers de notre religion. Il est inutile de l’empaqueter dans des «artifices de bienséance» comme des chips enveloppées dans un luxueux papier aluminium qui coûte plus cher que le contenu, les chips. Et ces chips sont quelque fois avariées. Vous aurez compris la métaphore : un saha empaqueté dans du papier glacé. Entendrons-nous l’an prochain saha aâchatek? Il ne faut s’étonner de rien avec l’imagination populaire source du langage chez tous les peuples.
Nos aînés, nos ancêtres n'utilisaient pas des sahaà tout va et tous azimuts. Je n'ai jamais dit à ma grand-mère saha Ramdhaneket je la voyais prier sans m'en rendre compte, trouvant cela tout à fait naturel.
Je me souviens – j'avais 10 ans – lorsque Ali Chentir, pendant le Ramadhan, nous enseignait le Coran, l'histoire, la grammaire à El-Khaldounia de Béjaïa. Il n'y avait ni des saha f’tourekni des saha Ramdhanek.On ne parlait même pas du siam,le jeûne. Nous considérions cela comme allant de soi. On ne s'en rendait même pas compte, en’soumoubelébien et nos gâteaux c’était el-maqrout, el-kaâk et ouedhnine el-qadi. Nous étions maigres mais avions une santé robuste et un moral de fer. Aujourd’hui, nous sommes gros et gras et souffrons du diabète et du cholestérol. Certains, les joues lippues, le ventre proéminent, marchent péniblement, l’hydragogue haletant. A force de gazouz,d’air, de gaz et de bulles. A force de sucreries, de sorbets édulcorés, nos glandes sudoripares pleurent et nos reins font la grève, fatigués de filtrer et de rejeter les toxines et les scories. On abuse de notre corps.
Ahachmou, mategzajiriouche bel gatouète ou zlabiate oulemhannchate!
Aujourd'hui, il n'y a que des saha– beaucoup de saha,jusqu’à vulgariser le mot qui à l’usure ne voudra plus rien dire.
Je sais que certains sont saha,mais nombreux ne le sont pas du point de vue du moral et de la cherté de la vie. Y a qu'à voir les visages taciturnes, une pénurie de sourire et les tonnes de déchets alimentaires dans les poubelles qui font mal au cœur, nous contrariant et perturbant la raison.
Et nos sahafis,qu’écrivent-ils ? Ils nous font des recettes de chorba, de hrira et sahatoukoumbranlants. Heureux que la zalabia nationale demeure encore bésahaentaâ békri. On la bouffe à Boufarik car le qalb ellouz lâ yadjouz. Savez-vous que, comme la zlabia, la baqlawa est une création accidentelle faite en Turquie par une pâtissière du Sultan qui s’appelait Léva ? D’où baq Léva, gâteau Léva, baqléva ?
Je vous adresse tous les sahautiles, surtout la bonne santé et l'esprit vif, les neurones et les synapses en bon état de fonctionnement, afin que nous soyons guéris de cette maladie contagieuse dont la médication est l’humilité et la pratique de la religion sans folklore, sans bruit et sans mauvaises odeurs. Et puis, pourquoi ne pas dire Ramadhan karîm,tout simplement ? Sans «ramdam» (bruit, chahut).
Nous oublions que le Ramadhan nous a été prescrit pour faire des économies et s’approcher des pauvres et d’Allah dans un Moi intérieur sincère et revigorant.
Je ne finirai pas sans ces quelques vers :
Dans nos poubelles puantes / Des zalabias chatoyantes / Des baqlouas larmoyantes / Des sachets d’odeurs dégoûtantes / Des ordures démoralisantes / des effluves pénétrantes / Une cupidité criante / Une opulence insultante / Bref. Le constat des effets de la rente.
C’est dans les poubelles que l’on peut calculer le PIB de notre pays. Et les déchets, ça ne vous fait penser à rien? Aux maladies…
Revenons à notre islam d’hier, comme le dit le ministre du Culte, et rappelons-nous nos grand-mères et nos sages d’antan. Et Ramadhan karîm!
A. Z.