Cheikh Belhadj Nacereddine à Algeriepatriotique : «Le M’zab est entre les mains de bandes mafieuses»
Algeriepatriotique: Quatre jours après la nuit tragique vécue dans la Vallée du M’zab et qui a coûté la vie à vingt-deux personnes, quelle est la situation à Ghardaïa ?
Algeriepatriotique: Quatre jours après la nuit tragique vécue dans la Vallée du M’zab et qui a coûté la vie à vingt-deux personnes, quelle est la situation à Ghardaïa ?
Cheikh Belhadj Nacereddine : La situation reste tendue. Des escarmouches ont eu lieu dans certains quartiers de Guerrara, notamment le quartier dit Mahmoud, heureusement sans pertes humaines. Les trois villes du M’zab touchées par ces événements sont en état de siège. Les forces de sécurité ont été déployées sur les grands axes routiers. L’activité commerciale a repris timidement et les habitants sortent très rarement par peur de tomber dans un traquenard, d’être agressés. Même pour accomplir des tâches administratives ou se faire établir des documents d’état civil. Ghardaïa est tout simplement à l’arrêt depuis ces événements meurtriers de mercredi dernier. Les habitants sont toujours sous le choc et craignent pour leur vie. Les renforts sécuritaires sont arrivés mais la sécurité n’est pas totalement rétablie. Il y a encore des zones de non-droit.
Pourquoi ? Les effectifs de la police et de la Gendarmerie sont-ils insuffisants ?
Je ne sais pas. On parle de 10 000 éléments dépêchés ces derniers jours, entre policiers et gendarmes. J’estime qu’un tel nombre devrait suffire. Mais je constate en arpentant les rues et venelles qu’il n’y a aucun signe de ces forces de sécurité. Elles sont aussi absentes dans plusieurs points chauds. Peut-être que cela est dû à une mauvaise répartition des effectifs ou au fait que les renforts arrivés ces derniers jours ne sont pas encore prêts à aller dans le feu de l’action.
Quels sont ces quartiers chauds non couverts par le dispositif sécuritaire mis en place ?
Je cite, à titre indicatif, le quartier Sakiet El-Ayoune, théâtre de plusieurs affrontements violents et qui connaît toujours des échauffourées, des jets de pierres et toutes sortes de projectiles sur les passants.
Des voix au sommet du pouvoir, comme le directeur de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia, parlent d’une main étrangère qui remue le couteau dans la plaie et qui attise les tensions dans le M’zab…
Il n’est pas le seul à «agiter» la main étrangère. D’autres voix au pouvoir l’ont déjà fait. Cette vieille rhétorique est ressortie à chaque aggravation de la situation. Je ne dirai pas que c’est faux. Mais je pense qu’on n’a pas besoin d’une force extérieure pour arriver à une telle catastrophe. Il y a un tel cumul de problèmes et de ressentiments chez les habitants des deux communautés qu’il fallait s’attendre à une forte déflagration. Des cris d’alarme et des avertissements ont été lancés par des sages qui ont tenté d’attirer l’attention des hautes autorités du pays sur le pourrissement de la situation et sur l’absence de l’ordre public dans le M’zab, tombé entre les mains de bandes mafieuses qui font la pluie et le beau temps sans qu’elles soient inquiétées. Il y a eu une faillite sécuritaire, du laxisme et de l’amateurisme qui pourraient s’expliquer aussi par le manque de compréhension de ce qui est réellement la source des tensions.
Il n’y a pas donc, pour vous, une main étrangère derrière ces événements tragiques…
S’il y a cette main étrangère, que faisaient donc nos services de renseignements ? Que faisaient ceux qui étaient censés déjouer les complots étrangers contre notre pays ? C’est pour cela que je ne crois pas trop à une telle hypothèse, qui m’étonne d’ailleurs.
Que pensez-vous des mesures annoncées par le gouvernement ? Sont-elles suffisantes pour résoudre définitivement la crise qui secoue la Vallée du M’zab depuis plusieurs années ?
Je l’espère. Mais si l’on tient compte des expériences passées, je crains encore une fois qu’on se limite à un traitement purement sécuritaire qui ne peut être que temporaire. Et une fois que le calme sera revenu et les forces de sécurité réduites, on renouera avec les agressions, les guets-apens, les rackets et les destructions de biens. Le mal est tellement profond qu’il est impossible de résoudre la crise en un simple tour de vis sécuritaire. La sécurité, le calme et la paix ne peuvent constituer que le début au règlement durable de cette crise.
Que faut-il faire pour ramener durablement le calme et la paix dans la Vallée du M’zab ?
Il n’y a pas de recette miracle. Ghardaïa souffre d’un déficit de développement et de l’absence d’une économie locale capable de créer de la richesse et de l’emploi. La communauté mozabite, de par son organisation et sa grande solidarité, arrive à se prendre en charge. Mais les autres habitants qui peuplent le M’zab n’ont pas les mêmes ressorts sociaux qui peuvent aider les plus faibles et prendre en charge les pauvres. Il leur faut une forte aide de l’Etat, qui doit revoir sa politique de développement local. Il leur faut du travail, des logements et des revenus pour vivre sans éprouver de ressentiment envers autrui. L’Etat est ainsi appelé à agir de manière intelligente, efficace et durable pour redynamiser l’économie de la région et recréer les conditions socio-économiques du vivre-ensemble.
Propos recueillis par Rafik Meddour