Document – Comment l’ex-parti extrémiste du FIS a instauré la violence à Ghardaïa dès 1990
L’histoire se répète. Un rapport inédit, établi en 1990 et dont nous détenons une copie, démontre que ce n’est pas la première fois que des armes à feux ont été utilisées dans les affrontements provoqués dans cette région, et que les groupuscules qui sèment la terreur et agressent les citoyens dans les différents ksour du M’zab ne sont que les héritiers des islamistes du FIS qui avaient, en fait, commencé à pratiquer le terrorisme deux ans avant l’interruption des législatives de janvier 1992. Les données qui y sont rapportées sont d’autant plus vérifiables que les actes décrits portent l’empreinte des groupes islamistes armés qui apparaîtront un peu plus tard. Daté du 1er juillet 1990 et rédigé par une commission diligentée par un conseil de sage de Berriane, ce rapport évoque l’assassinat de deux candidats aux élections municipales sur une liste d’indépendants – un père et son fils – dans la ville de Berriane, le 24 juin de la même année, par leur voisin qui s’avéra être un sympathisant du FIS dissous. L’auteur du double meurtre les a tués à l’aide d’un fusil en leur tirant dessus à bout portant, précise le document. Cela s’est passé en pleine ébullition électorale dans une région qui sortait d’un nouveau cycle de violence. Le rapport indique que le chef de daïra de Berriane avait, le jour même, convoqué les différents candidats en lice, outre les notables de la ville, pour une réunion de crise. «Arrivés sur place, les membres de la délégation de la liste indépendante furent accueillis avec un flux d’insultes et d’injures par les partisans du Front islamique du salut, sans qu’aucun agent des forces de sécurité présents n’ait réagi». Dans leurs conclusions, les rédacteurs du rapport estimaient que cet incident était à «recouper» avec des preuves matérielles recueillies sur place qui, selon eux, «démontrent que ce type d’incidents est loin d’être accidentelle ou dû à des frictions intercommunautaires entre des groupes de jeunes égarés, mais sont bien calculés et planifiés à l’avance». Ils citaient six preuves : d’abord, une violente explosion qui avait eu lieu, trois jours avant le double assassinat, dans le domicile d’un certain Ouled-Hadj Ali Belkheir, militant actif du FIS, qui succombera plus tard à ses blessures. Selon des témoignages, l’incident était dû à l’explosion d’une bouteille d’insecticides utilisée par ce militant-artificier pour fabriquer des explosifs. Les rédacteurs en conclurent que l’explosion s’était vraisemblablement produite suite à «un essai échoué», et demandaient, de ce fait, l’ouverture d’«une enquête par des experts». Deuxième preuve : des explosions enregistrées dans un des magasins incendiés suite à l’utilisation de ce type d’explosifs. Troisième preuve : l’usage intense d’armes à feu pendant cette nuit-là, blessant plusieurs personnes. Ce qui prouve, pour les rédacteurs, que ces armes «ont été préparées à l’avance pour commettre ces actes», en ajoutant que des armes avaient été saisies chez des personnes «prise en flagrant délit». Le rapport cite aussi l’interdiction d’accès à l’hôpital à tous les blessés pendant les événements, «ce qui prouve que des centres de santé avaient été aménagés pour la circonstance», ou encore «l’évacuation de certaines familles hors de la ville avant le déclenchement des événements». En conclusion, les membres de la commission demandaient à recouper toutes ces données «avant de les prendre en considération». Ils déclaraient : «Nous sommes tous musulmans et Algériens, vivons dans cette localité en symbiose et en paix. Nous rejetons fermement toute tentative de conférer à ces événements un caractère communautaire ou confessionnel, y compris le double meurtre relaté ci-dessus, lequel doit être perçu comme un acte criminel, et ce, afin d’éviter toute interprétation tendancieuse, comme cela s’est passé lors des événements de Ghardaïa en 1985, dans lesquels les différentes parties s’étaient vu jouer un rôle sous la couverture du parti unique». Aussi, demandèrent-ils à la direction nationale du FIS de «prendre une position publique et claire au sujet de ces événements et aussi au sujet du comportement des membres de son bureau et de ses partisans à Berriane». Enfin, ils alertèrent l’opinion publique, les autorités sécuritaires et civiles et les partis politiques de la gravité des incidents qui «touchent, en premier lieu, à la dignité des citoyens, à la liberté du choix et au processus démocratique dans notre pays», tout en souhaitant que «ces incidents puissent inspirer une prise de conscience et une volonté d’instaurer la tolérance religieuse et de réprouver toute forme d’extrémisme et tout usage de la religion à des fins politiques».
R. Mahmoudi