Algeriepatriotique republie une interview de feu Malik Aït Aoudia : hommage à un journaliste patriote
Notre compagnon d'armes Malik Aït Aoudia vient de nous quitter. Mais nous ne laisserons pas partir sans avoir tiré une dernière rafale.
Algeriepatriotique : Vous êtes intervenu sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook par une vingtaine de publications assez féroces sur le livre Paris-Alger : une histoire passionnellede Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois. Pourquoi ce coup de gueule ?
Notre compagnon d'armes Malik Aït Aoudia vient de nous quitter. Mais nous ne laisserons pas partir sans avoir tiré une dernière rafale.
Algeriepatriotique : Vous êtes intervenu sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook par une vingtaine de publications assez féroces sur le livre Paris-Alger : une histoire passionnellede Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois. Pourquoi ce coup de gueule ?
Malik Aït Aoudia : Je trouve au contraire que c’est Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois qui ont été féroces avec les faits et la rigueur journalistique. Je n’ai fait que relever des erreurs grossières et ridicules que n’importe qui aurait pu relever en s’infligeant la corvée de lire le livre jusqu’au bout. Situer par exemple la bataille d’Alger en 1954 est presque comique. Quand on fait autant de fautes factuelles sur des dates d’élections ou des grades d’officier, il est difficile d’être crédible. N’étant pas porté sur les «selfies», je préfère intervenir sur les réseaux sociaux pour partager des opinions, c’est pourquoi j’ai rendu publiques mes remarques sur Twitter et Facebook parce que j’ai l’habitude d’y intervenir comme d’autres interviennent pour critiquer des ouvrages, des reportages, des articles ou des films. Sur plusieurs sujets, je me suis épargné la lecture de livres farfelus grâce aux interventions pertinentes de spécialistes.
Nous avons aussi constaté en le lisant que le livre était truffé d’informations erronées et de fausses analyses, comme s’il avait été commandé dans l’urgence…
Que le livre ait ou non été commandé dans l’urgence n’est pas à mon avis très important. Ce qui est plus inquiétant, c’est qu’une maison d’édition sérieuse ait associé son nom à une imposture journalistique, comme si la rigueur et l’exigence n’avaient plus de sens. En le lisant, je me suis souvent demandé si un livre aussi médiocre aurait pu être publié sur les relations franco-américaines avec autant d’erreurs factuelles. Je pense que non. Ce n’est pas parce qu’on écrit sur l’Algérie qu’on peut écrire n’importe quoi, c’est aussi pour cela que j’ai partagé mes remarques sur les réseaux sociaux.
Dans vos tweets, vous n’avez pas parlé du fond du livre et des révélations annoncées par les auteurs…
C’est un livre qu’il faudrait écrire pour relever toutes les aberrations. Quand on voit la désinvolture avec laquelle les auteurs l’ont écrit, il est difficile d’accorder du crédit à ce qu’ils prétendent être une enquête. Maintenant, sur le fond, c’est un vrai sentiment de malaise qui se dégage ; Paris-Alger : une histoire passionnellesuinte par tous les pores le paternalisme colonialiste. Ecrire dès l’introduction une monstruosité comme «le dernier tabou des relations entre la France et l’Algérie, ce n’est pas la guerre, mais bien les cent trente ans de colonisation qui l’ont précédée, dont les aspects positifs ne sont pas à démontrer» résume bien le parti pris de Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois. Quand on sait ce que l’entreprise coloniale a été en Algérie, les millions de vies qu’elle a coûtées, les souffrances qu’elle a engendrées, lire en 2015 de telles insanités faisant l’apologie d’un système totalitaire m’a juste donné envie de vomir.
Les auteurs du livre vous ont cité comme étant «proche des généraux»…
Le livre est par bien des aspects obsessionnel, Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois ont même réussi à transformer le colonel Boumediene en général, alors que le grade n’existait pas encore dans l’ANP, et vu des généraux en 1979 derrière la non-nomination de Bouteflika à la tête de l’Etat. Ils voient des généraux partout. Dans Le malade imaginaire,Molière se moque des médecins charlatans qui prescrivent des saignées pour n’importe quoi. Il faut s’habituer à ce que dans la profession journalistique, il y ait aussi des charlatans qui pensent pouvoir tout expliquer en Algérie en parlant des généraux. Mais comme ils n’ont pas le talent de Molière, ils ne font rire personne.
On a le sentiment que les auteurs du livre ont une dent contre vous…
Je ne les connais pas et je ne les ai jamais rencontrés. Il n’a échappé à personne que les calomnies me concernant sont placées dans un chapitre sur les moines de Tibhirine et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Depuis la diffusion, en mai 2003, sur France 3, du documentaire Le martyre des sept moines de Tibhirine que j’ai réalisé avec Séverine Labat, aucun fait ou témoignage de notre enquête n’a été contesté. Comme ils sont bien en peine de dire quoi que ce soit de sérieux sur notre travail, ils préfèrent s’en prendre à nos personnes et à notre probité. Tout le monde connaît le proverbe chinois : «Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt», eh bien, avec Paris-Alger : une histoire passionnelle,je découvre que quand le sage montre la lune, des imbéciles insultent le sage et son doigt !
Le livre dit aussi que vous seriez avec Séverine Labat en «mission commandée pour le pouvoir algérien»…
Je dois voir prochainement Séverine Labat pour décider si nous ignorons ces vomissures ou si nous poursuivons Jean-Baptiste Rivoire, Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois pour diffamation. Comme les mots ont un sens, il leur faudra expliquer quelles missions, commandées par qui et pour quelles rémunérations. Je me demande ce qu’ils vont pouvoir encore inventer pour convaincre le tribunal.
Malgré les preuves irréfutables qui démontent la thèse du «qui tue qui» dans l’affaire des moines de Tibhirine, certains journalistes français n’en démordent pas. Qu’est-ce qui les fait courir ?
C’est à eux qu’il faut poser la question, je ne m’intéresse pas à leur personne. En revanche, professionnellement, je m’intéresse à ce qu’ils racontent et cela ne vole pas très haut. Tout ce qui a été produit par les révisionnistes concernant la tragédie de Tibhirine ne résiste pas à un examen sérieux. Nous avons déjà eu l’occasion de nous exprimer là-dessus avec Séverine Labat sur votre site (voir lien). La publication du livre Paris-Alger : une histoire passionnellemontre que le vrai problème est que l’exigence journalistique est en chute libre et comme on peut dire n’importe quoi sur l’Algérie, les délirantes thèses complotistes ont encore de beaux jours devant elles.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi