L’amnésie de Tahar Ben Jelloun se soigne
Par Aziz Mouats – Au moment où l'Algérie est malmenée de toutes parts, tantôt par un névrosé nommé Nicolas Sarkozy, tantôt par un défroqué nommé Tahar Ben Jelloun, celui-là même qui n'hésite pas à appeler à la rescousse Kamel Daoud et Boualem Sansal, dont il cite abondamment des extraits de livre paru – Meursault contre-enquête de Kamel Daoud – ou à paraître – 2084 de Boualem Sansal –, il paraît fort opportun de rappeler certains faits historiques pas si anciens que ça. Voici la vie chevaleresque du dernier calife de l'Emir Abdelkader, trahi par le sultan du Maroc en application du traité de Tanger liant son pays à la France coloniale, mettant fin à la guerre sainte menée par l'Emir Abdelkader Ibn Mahieddine contre l'armée d'occupation française. Oui, l'amnésie de Tahar Ben Jelloun se soigne, car elle a un remède. Il est dans les placards de sa majesté morte alors qu'elle franchissait avec ses compagnons les portes de Fès. Le Khalife Bou Hamidi constitue incontestablement la pierre d'achoppement des douloureuses relations entre le Maroc et l'Algérie, et ce, depuis 1847, soit 168 ans. Alors, un peu d'histoire ne fera de mal à personne.
Qui est Bou Hamidi ?
Abou Abdallah Mohammed Al-Bou Hamidi est né vers 1803 dans la tribu des Oulhaças, non loin de Béni Saf. Le territoire de la tribu s'étend jusqu'à la frontière marocaine. Pour l'histoire, la première rencontre entre celui qui sera sans doute le plus vaillant et le plus fidèle des khalifa de l'Emir Abdelkader et le fils du vénérable cheikh Mahieddine aura lieu durant leur éducation dans la zaouïa du père de l'Emir, à El-Gotna. Un peu plus âgé que son compagnon, Bou Hamidi, malgré une corpulence fine et élancée, était fort musclé. A l'époque, l'enseignement était essentiellement assuré par les écoles dites coraniques. Cette rencontre allait cimenter entre les deux adolescents une amitié que ni le temps ni les épreuves de la guerre et de l'exil n'allaient entamer. C'est tout naturellement que lorsque l'armée coloniale entama l'occupation de l'Algérie, Bou Hamidi se retrouva aux côtés du jeune Emir afin d'organiser la résistance. Grâce à sa bravoure, sa témérité, sa parfaite maîtrise des armes ainsi que sa grande autorité, il sera fait khalifa de Tlemcen, sa région natale. Il fera de l'ancienne capitale des Zianides un centre de rayonnement et de noblesse. La ville forte alors de plus de 20 000 âmes sera organisée jusqu'à devenir une importante forteresse et un modèle d'organisation. C'est de là que partiront les troupes, sous le commandement de Bou Hamidi, à l'assaut des villages et des tribus qui avaient prêté allégeance à l'ennemi. Cavalier redoutable et soldat infatigable, Bou Hamidi participera à toutes les batailles et sera de toutes les victoires. Car son autorité s'étalait en réalité des confins d'Oujda à la plaine de Sfisef, à une vingtaine de kilomètres de Mascara, en plein cœur des Méhadja. Cet immense territoire sera le théâtre de nombreuses opérations guerrières. A la tête de près de 10 000 hommes, dont 6 000 cavaliers, Bou Hamidi demeura pendant longtemps insaisissable. La guerre éclair qui faisait alors autorité chez l'armée de l'Emir n'avait aucun secret pour ce vaillant guerrier. Les historiens le signaleront dans la plupart des batailles de la région, depuis celle de la Macta en 1835 à celles de la Tafna, de Sidi Yaâcoub et de la Sikkak durant l'année suivante. Dès la rupture du traité de la Tafna en 1839, et la proclamation du djihad le 18 novembre, à la tête de ses troupes, il sera le premier à reprendre les attaques contre l'armée française, mais aussi contre les tribus oranaises qui avaient rejoint l'ennemi. En juin 1840, il s'attaqua à Mesr El-Kébir en passant par la plaine des Andalouses. Depuis son quartier général d'El-Malah, il poussera l'audace jusqu'aux murs d'Oran. Prônant l'offensive éclair et le repli stratégique, il fera régner une totale insécurité dans les garnisons de Misserghin. De retour d'El-Bordj où il venait de livrer bataille, il poussera l'audace jusqu'à pénétrer à l'intérieur du campement des Douaïrs, à portée de canons de la place d'Oran, et d'y enlever femmes et enfants. Pendant ce temps, Mustafa Ben Smaïl et ses hommes combattaient aux côtés des troupes d'occupation. C'est ce dernier, promu alors général, aidé de Ben Abdallah des Ouled Sidi Cheikh, qui attaquera Tlemcen. La scission provoquée chez les tribus de la région de Tlemcen allait favoriser l'arrivée de Bugeaud qui quittera Alger le 20 janvier 1842 et dont la troupe entra dans Tlemcen le 31 octobre. Bou Hamidi avait alors évacué la ville emportant ses fidèles vers Sebdou, puis vers l'exil au royaume du Maroc. L'installation de la Déïra d'Abdelkader dans les environs de la Moulouya, au nord d'Oujda, ne se passera pas comme pourrait le faire croire l'appartenance à une même religion et à une même communauté. Très vite, le sultan du Maroc sera amené par le traité de Tanger – entre la France et le royaume alaouite – à mener la vie dure aux partisans de l'Emir. Le sultan Moulay Abderrahmane ordonna à ses troupes de harceler ses frères d'hier devenus trop encombrants. C'est ainsi que Bou Hamidi, demeuré jusqu'au bout fidèle à l'Emir, aura sa part de vexations et de brimades. Rapidement, les événements s'accélérèrent, ce qui incita Abdelkader à envoyer un émissaire auprès du sultan. Ce fut naturellement vers Bou Hamidi – d'autant que l'Emir enregistrait de nombreuses défections dont celles de ses propres frères, ainsi que celles de Ibn Lahrach et de Berkani – qu'il se tournera.
Un poème prémonitoire de l'Emir
Au moment du départ, l'Emir eut incontestablement une prémonition qui allait malheureusement se réaliser. Il composera, la voix étranglée par le terrible pressentiment, un poème d'adieu à l'intention de la petite troupe. Arrivé à Fès, Bou Hamidi sera arrêté et disparut sans laisser de traces. Personne ne saura ni quand ni comment il sera assassiné dans les geôles du sultan. Dans l'une de ses dernières missives à Lamoricière, l'Emir Abdelkader le priera de s'intéresser au sort réservé à son ami Bou Hamidi, afin qu'il puisse l'accompagner dans son exil. Cette trahison jettera le redoutable combattant dans les bras de son ennemi naturel, celui qu'il avait combattu durant 15 ans plutôt que de se rendre à un «frère». Les promesses du général français ne reçurent bien évidemment aucune suite du fait que le sort de Bou Hamidi avait été scellé en ce 3 décembre 1847 lorsqu'il franchit en toute confiance les portes du palais royal de Fès. Sa disparition sonnera le glas de la résistance héroïque du peuple algérien sous la bannière de l'Emir Abdelkader. Depuis des années, des démarches ont bien été entamées par la fondation Emir Abdelkader pour donner son nom à Fornaka, cette coquette bourgade agricole qui jouxte les marais de la Mactaa. Là où le 28 juin 1835, à la tête des troupes de l'Emir, Bou Hamidi remporta une victoire éclatante sur l'armée du général Trézel. Apparemment sa reconnaissance et sa réhabilitation semblent poser problème quelque part ! Il est tout de même bon de rappeler que grâce à un digne fils de la région des Oulhaças, le CEM de la petite bourgade de Louza, qui surplombe les marais de la Macta et la baie d'Arzew, porte le nom de ce vaillant combattant de l'Algérie profonde. C'est le président Bouteflika qui dévoilera la plaque commémorative en ce frisquet matin du 10 février 2004. Après avoir longuement parcouru la biographie que lui tendait le chef de daïra d'Aïn Nouissy de l'époque, le président de la République prendra soin de plier le document et de le glisser dans sa poche… Depuis, le nom de Bou Hamidi, celui qui empoisonne la mémoire des uns et des autres, continue de déranger des deux côtés de la Moulouya. Avant d'embarquer pour Toulon, l'Emir Abdelkader avait vainement attendu le retour de son compagnon des jours de gloire. En effet, dans les ultimes négociations avec la France [1], il avait été entendu que cette dernière avait promis d'intercéder auprès du sultan Moulay Abderrahmane afin que Bou Hamidi et ses compagnons puissent partir en exil avec l'Emir Abdelkader. Il n'en fut rien ! Voilà donc 168 ans qu'un digne enfant de l'Algérie, avec ses compagnons bardés de l'emblème du djihad, attend enfin une réhabilitation qui tarde à venir… Quant au sieur Ben Jelloun, qu'il se rassure, il ne trouvera aucun Algérien pour le suivre dans ses pérégrinations d'intellectuel de palais. Les relations de l'Algérie avec le Maroc sont à construire, mais seulement une fois apuré ce lourd et honteux héritage, qui n'est en fait que le premier d'une série de trahisons dont les Algériens gardent encore les stigmates. S'il faut laver le linge sale, alors lavons-le ensemble, une fois les restes de nos martyrs restitués à leur pays et à leurs familles…
A. M.
Université de Mostaganem
[1] En se prévalant du fameux traité de Tanger du 10 septembre 1844, signé un mois après la bataille de l'Isly du 14 août 1844. Bataille décisive durant laquelle l'armée française, sous la houlette du général-gouverneur Bugeaud, décima l'armée de sa majesté conduite par le prince héritier Sidi Mohamed. Le traité de Tanger sera suivi par la signature du traité de Lalla Maghnia, qui délimita ad vitam æternam le tracé des frontières entre l'Algérie et le Maroc, frontières que l'Algérie combattante n'a cessé de défendre et dont elle obtiendra la souveraineté entière et totale le 5 juillet 1962.
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