Une chercheuse française : «La taxation de la viande halal ne profitera pas à l’essor du culte musulman»
La proposition émise par le nouveau président du Conseil français du culte musulman (CFCM) de taxer la viande halal pour construire des mosquées et former des imams divise l’opinion. L'anthropologue française Florence Bergeaud-Blackler, de l'Institut de recherche et d'étude sur le monde arabe et musulman d’Aix-en-Provence, explique pourquoi une telle taxation ne pourrait pas être appliquée aujourd’hui. Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Le Point, elle rappelle que l’industrie du halal a toujours bien fonctionné en France sans avoir besoin de «contrôle religieux» ou d’une «taxation islamique», qui entraînerait une augmentation de prix et par-là une hausse des importations. Pour cette chercheuse, les industriels du halal sont «sous pression des réseaux sociaux et des militants de la «muslimosphère» qui exigent un contrôle religieux sur les produits halal pour que cessent les tromperies». Or, indirectement, les autorités religieuses gardent le monopole sur le marché de la certification, puisque les quatre acteurs majeurs de ce marché dépendent des principales mosquées de France (la Grande Mosquée de Paris, la Grande Mosquée de Lyon, la mosquée d’Evry…), même si ces agences ne sont pas forcément constituées d’imams ou d’acteurs religieux reconnus, précise l’anthropologue. Cela dit, une taxation de la viande halal reste pour l’instant difficile et «peu pertinente» du fait d’abord qu’une partie de cette viande étiquetée aboutit dans les boucheries non halal et que, de ce fait, il n’est pas commode d’imposer à l’ensemble des consommateurs une contribution – directe ou indirecte – qui irait au trésor d’une administration religieuse dont ils ne bénéficient en rien. Autre enjeu vital évoqué par les instances religieuses des musulmans de France : le financement de la formation théologique des imams. Sur ce point, la chercheuse française estime que l'Etat pourrait apporter sa contribution, «en aidant par exemple à mettre sur pied des universités d'études islamiques qui pourraient constituer des cursus complémentaires pour les imams». Elle conteste la surpolitisation de ce vecteur en France où, «sous prétexte de maintien de la sécurité publique, l'Etat français a maintenu à la tête des instances musulmanes comme le CFCM des personnalités politiques liées à des Etats étrangers qui n'ont pas de compétence religieuse et sont vivement contestées par la base». En observatrice avisée, Florence Bergeaud-Blackler explique qu’instituer une instance de dialogue, «même la plus ouverte et la plus consensuelle», n'empêchera pas la radicalisation idéologique d'une partie de la «muslimosphère». «Le problème du radicalisme qui touche les mœurs, la nourriture, les normes religieuses, ajoute-t-elle, est moins celui de la structuration du culte musulman que celui de la volatilité et l'adaptabilité des idéologies islamiques à travers le Web et de l'importance, en leur sein, des courants intégralistes fréristes et salafistes qui sont devenus la principale offre d'islam». Contestant la politique adoptée par les gouvernements successifs en France sur cette question de la gestion du culte musulman en France, elle affirme qu’«on n'endiguera pas un tel phénomène en fermant les frontières ou en l'achetant à coups de milliards d'euros, mais en dépolitisant la question de l'islam».
R. Mahmoudi