Discoureurs
Par M. Aït Amara – Y a-t-il meilleur argument pour convaincre les décideurs que leurs discours sont un coup d'épée dans l'eau, qu’un exemple vécu sur le terrain ? A plus forte raison, lorsque cette expérience est relatée par un expert qui a eu à occuper des fonctions officielles au sein même du gouvernement. Le professeur Abderrahmane Mebtoul raconte ses déboires à la banque : «Ce n'est pas de la théorie, mais une expérience vécue. Aujourd'hui 5 août 2015, vers 13h, je me suis rendu à mon agence à Oran pour demander un chéquier. "Faites une demande et attendez au minimum deux mois, car tout se fait à Alger", m'a-t-on rétorqué. J'ai fait remarquer que le ministre des Finances avait donné instruction pour accélérer la délivrance du carnet de chèques et la réponse fut : "Nous n'avons reçu aucune instruction de la direction générale qui est la seule habilitée à délivrer les chéquiers".» Une autre scène vécue dans la même banque par un client qui venait retirer son salaire mensuel et qui s’est vu prier de revenir l’après-midi, car les préposés au guichet «sont partis déjeuner», tandis qu’un autre client, grand commerçant ou industriel, croit comprendre notre expert, demande à retirer une importante somme d’argent et à qui il a été demandé d’en faire d’abord la commande et de revenir le lendemain, car «nous devons en référer à la Banque d'Algérie». Ces trois scènes qui se sont déroulées dans une même banque, dans la même ville et au même moment sont la preuve irréfutable de l’immense décalage entre le verbiage des responsables et la réalité vécue par le citoyen tous les jours que Dieu fait. Ces aberrations ne sont, bien sûr, pas propres au secteur des finances, en retard d’une guerre par rapport aux pays voisins. Il en va de même, en effet, pour le problème du logement, par exemple, que l’actuel ministre promet de régler en bourdonnant que tous les souscripteurs finiront bien – un jour – par obtenir leurs quatre murs dans une de ces cités poubelles dont l’Algérie détient jalousement le secret de fabrication. Il en va de même aussi pour tous ces marchés informels sales et chaotiques, véritable plaie dans nos grandes villes-campagnes qu’aucun ministre n’a réussi à interdire. Le constat est le même s’agissant des transports (accidents de la route, cherté des billets, mauvaise qualité des services fournis, etc.), des NTIC (débranchés du monde qui avance), des travaux publics (la très basique autoroute Est-Ouest, «projet du siècle», n’est toujours pas achevée), de l’administration locale (les mêmes files désordonnées et le même boucan dans les mairies, daïras et wilayas), de la santé (ces hôpitaux mouroirs où on entre avec une maladie et on en sort avec deux), de l’éducation (livrée aux islamistes et à une nouvelle caste d’enseignants affairistes qui ont inventé le très juteux marché des cours particuliers sans effet positif aucun sur le niveau des élèves), de l’enseignement supérieur (qui distribue des diplômes sans qualification), du tourisme (dont les responsables semblent mandatés pour sauver les saisons estivales en Tunisie)… La liste est au moins aussi longue que l’infinie attente d’un changement qui ne vient pas.
M. A.-A.
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