Pourquoi la dépréciation du dinar ?
Par Abderrahmane Mebtoul – Le square Port-Saïd à Alger, certaines places à l'est et à l'ouest sont considérées comme des banques parallèles à ciel ouvert, fonctionnant comme une Bourse où le cours évolue de jour en jour selon l'offre et la demande et les cotations au niveau mondial du dollar et de l'euro. En fait, l'essence de cette situation réside dans les dysfonctionnements des différentes structures de l'Etat du fait de l'interventionnisme excessif de l'Etat qui fausse les règles du marché, ce qui contraint les ménages et opérateurs à contourner les lois et les règlements. Ainsi, lorsque les autorités publiques taxent (fiscalité excessive) et réglementent à outrance ou en déclarant illégal les activités du libre marché, elles biaisent les relations normales entre acheteurs et vendeurs. En réaction, les acheteurs et vendeurs cherchent naturellement les moyens de contourner les embûches imposées par les gouvernements. Lorsqu'un gouvernement veut imposer des règles et des lois qui ne correspondent pas à l'état réel de la société, cette dernière enfante ses propres lois qui lui permettent de fonctionner. Le fondement d'un contrat doit reposer sur la confiance. Au niveau de la sphère informelle existent des contrats informels plus crédibles que ceux de l'Etat, car reposant sur la confiance entre l'offreur et le demandeur. Que l'on visite l'Algérie profonde et on verra des milliers de contrats établis par des notables crédibles au niveau de différentes régions du pays en présence de témoins. Devant le fait accompli, l'Etat officiel a souvent régularisé ces contrats (notamment dans le domaine du foncier et de l'immobilier). L'Etat doit se cantonner dans son rôle de régulateur stratégique et non fausser les règles de libre concurrence. Dans les pays à économie administrée, on délivre des autorisations qui permettent à ceux qui ont des relations de les vendre, mais au cours du marché s'alignant sur le cours du marché parallèle donnant à ces personnes qui ont des relations donc des rentes sans contreparties productives. Le marché parallèle de devises n'échappe pas à ces règles générales avec la cotation administrative du dinar. Ce marché noir joue comme assouplisseur à un contrôle des changes trop rigide. Je recense cinq raisons essentielles de cet important écart entre le cours officiel et celui du marché parallèle, bien entendu en plus de la faiblesse de la production créée localement analysée précédemment. L'écart s'explique par la diminution de l'offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l'épargne de l'émigration. Cette baisse de l'offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne localement et à l'étranger qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie. La reconversion de ce capital argent bien acquis ou mal acquis – l'argent jouant sur la distorsion du taux de change en référence à l'officiel , vous me facturez 130 au lieu d'une marchandise achetée 110 euros avec la complicité d'opérateurs étrangers, opérations plus faciles dans le commerce et le poste services qui a implosé passant de 2 milliards de dollars en 2002 à près de 11/12 milliards de dollars annuellement entre 2011 et 2014 – montre clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l'épargne de l'émigration. Cela permet des achats d'immobilier tant à l'étranger qu’en Algérie qui expliquent la flambée des prix notamment dans les grandes agglomérations et même dans des zones semi-urbaines. Ces montants fonctionnant comme des vases communicants entre l'étranger et l'Algérie renforcent l'offre. Il existe donc un lien dialectique entre ces sorties de devises dues à des surfacturations et l'offre, sinon cette dernière serait fortement réduite et le cours sur le marché parallèle de devises serait plus élevé, jouant donc, comme amortisseur à la chute du dinar sur le marché parallèle. La demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l'étranger et les hadjis du fait de l'allocation devises dérisoire. Mais ce sont les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent elles aussi aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement, elles exportent des devises au lieu d'en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie.
La forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d'une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés : fruits et légumes, viandes rouge et blanche et marché du poisson, et à travers l'importation utilisant des petits revendeurs le marché textile/cuir. Il existe une intermédiation financière informelle (des banques informelles) loin des circuits étatiques. Au niveau de cette sphère qui est le produit de la bureaucratie, tout se traite en cash favorisant des liens dialectiques avec certains segments rentiers du pouvoir, et donc l'évasion fiscale et la corruption. L'écart s'explique par le passage du Remdoc au Credoc (expliquant les mesures d'assouplissement) en 2013 qui a largement pénalisé les petites et moyennes entreprises représentant plus de 90% du tissu industriel en déclin (5% dans le PIB). Le Credoc n'a pas permis de juguler comme cela était prévu la hausse des importations qui ont doublé depuis 2009 et a renforcé les tendances des monopoleurs importateurs où, selon l'officiel, 83% du tissu économique global est constitué du commerce et des petits services à faible valeur ajoutée. Nombreuses sont les PME-PMI pour éviter les ruptures d'approvisionnement ont dû recourir au marché parallèle de devises. Le gouvernement a certes relevé à 4 millions de dinars, au cours officiel, la possibilité du recours au paiement libre pour les importations urgentes de matières premières ou pièces de rechange, mais cela reste insuffisant. Beaucoup d'opérateurs étrangers utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque Algérien a droit à 7 200 euros par voyage transféré, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant.
A. B.
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