Colosionisation de la Palestine – Gouverner les «races assujetties» : une vieille histoire (V)
Dans L’impérialisme. Origines du totalitarisme(1), ouvrage formidablement occulté, et pour cause, par les élites européennes, et tout autant par les thuriféraires européens de son œuvre, Hanna Arendt, qui s’est longtemps posée comme une sioniste de gauche (2), développe une remarquable et implacable analyse pour montrer et démontrer que le totalitarisme européen n’est rien d’autre que le produit intime, organique, fonctionnel, de l’impérialisme et du colonialisme. A la lecture du texte (3) de la philosophe, on constate que les aspects fondamentaux des politiques d’assujettissement et de néantisation des anciennes puissances colonialistes sont bien présents, mutatis mutandis, dans la politique de l’Etat sioniste à l’égard des Palestiniens. Celles-ci fondent ce qu’il est convenu, conceptuellement, d’appeler la terreur colonialiste sioniste. Tout commence le jour où les idéologues sionistes décidèrent, parallèlement au processus de spoliation des Palestiniens, de penser et considérer ces derniers comme une «race inférieure», et de s’assumer, ipso facto, quant à eux, en «race supérieure», qui plus est, légende et fatras primitifs religieux obligent, issue d’un «peuple élu» de Dieu. Cette politique, portée par les pseudo-théories de la race et l’action d’une bureaucratie (4) instrumentale criminelle, a été appliquée à l’identique sur les peuples d’Afrique, lorsque les Afrikaners d’abord, des Hollandais – voir la note 8 – puis de façon systématique les Britanniques, les Français, les Allemands, les Belges fabriquèrent des races inférieures, pour se sacrer et se consacrer, de facto, puis de jure, race maîtresse. Le principe fallacieux de « peuple élu » – élection d’ordre divin-, induit en Israël une idéologie à part entière, pratiquée au quotidien, de la supériorité, identique à celle de «la race des élus» (5), sur les Arabes-Palestiniens, une «race» ontologiquement inférieure (6). Rappelons, tout de même, à la suite d’Eugène Enriquez – Israël en un exemple, de même que l’idéologie de la pureté wahhabo-salafiste –, que «le racisme rêve d’un peuple-un et pur, revenu à l’origine des temps», et «tend à maintenir une nation dans le vieux récit mythique (7) de sa fondation qu’il suffirait de réactualiser». Système fondé sur une idéologie hégémonique, au sens gramscien, ce principe de supériorité est vécu comme un sens commun au sein de la société israélienne. Donné comme un exemple de démocratie parlementaire par les Occidentaux, l’Etat d’Israël affirme dans les règles d’éthique de son parlement qu’il est «l’Etat du peuple juif», et confirme ainsi explicitement sa nature raciste, puisqu’il en exclut tous ceux qui ne sont pas juifs, et singulièrement les «Arabes d’Israël». Au nom de cette supériorité autoproclamée, issue d’une transcendance étrangère à l’essence humaine, et d’une politique expansionniste – les deux s’auto-engendrent – jamais démentie (8), Israël dans ses guerres totales contre les Palestiniens s’autorise toutes les atrocités et tous les crimes – de guerre et contre l’humanité – inaugurés par le système impérialo-colonialiste au XIXe siècle, et poursuivis lors de la Seconde Guerre mondiale en Europe même contre les juifs et d’autres populations, à l’exemple des Tziganes. Crimes, et pour être plus précis «massacres administratifs», comparables à ceux que ses indéfectibles alliés commirent sur notre continent et dans d’autres contrées du monde. Ainsi Israël pratique, impunément, sur le territoire qu’il administre et sur ceux qu’il occupe, une sorte de «gouvernement des races assujetties» (9), privilège d’une supposée «race des seigneurs».
Pour ne pas conclure
Les représentations racistes, la bestialisation des Palestiniens, et par extension des Arabes, participent du registre et du legs impérialo-colonialiste occidental, lequel, comme l’a minutieusement démontré Hannah Arendt, a été la matrice du fascisme et du nazisme européens avec leurs cortèges d’horreurs et d’inhumanité. Imbus, imprégnés de ces valeurs liberticides et totalitaires, les sionistes ont naturalisé, au même titre que les colonialistes européens, la commission de crimes, d’assassinats sur les Palestiniens, mis au ban de l’humanité et assigné à l’animalité et la nuisibilité. La complaisance politique, la bienveillance des gouvernements occidentaux, et des Etats-Unis d’Amérique (10), depuis de nombreuses années à l’endroit des organisations et des personnalités néonazies et néo-fascistes (11) européennes, données aujourd’hui comme des patriotes (12) par les médias et la sphère politique, banalisent et légitiment ces idéologies de la terreur et de la mort dont le cœur de cible reste l’ancien colonisé, l’«Arabe», le «musulman», «supposé ou réel», imaginé et fantasmé, que les anciens oppresseurs colonialistes avaient «transformé» en «race inférieure». Ces idéologies ne se limitent plus aujourd’hui aux héritiers, légataires, militants et autres adeptes de la «bête immonde», des années trente et quarante du XXe siècle. Elles métastasent des secteurs de plus en plus larges (13) au sein des populations européennes, en particulier les couches populaires et les petites bourgeoisies, encouragées et vampirisées par les discours de leurs élites politiques et intello-médiatiques qu’elles reçoivent cinq sur cinq. Ce climat de décomposition politique porté par une vaste alliance protéiforme contribue à légitimer la barbarie sioniste. Il est une invitation pour plus de terreur, de massacres, de dévastations, argumentés et rationnalisés politiquement et juridiquement, contre les Palestiniens, «ces bêtes à deux pieds», ces «cafards», ces «criquets».
Ecoutons M. Darwich :
A un tueur
Si tu avais contemplé le visage de la victime
Et réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre
A gaz, tu te serais libéré de la raison du fusil
Et tu aurais changé d’avis : ce n’est pas ainsi qu’on retrouve une identité.
Smaïl Hadj-Ali
(Fin)
1- Publié en 1951, en trois tomes, en anglais sous le titre The Origins of Totalitarianism. Ce n’est qu’en 1982 que la sphère éditoriale française publie le tome consacré à l’impérialisme qui traite justement de l’engendrement des idéologies totalitaires -nazisme, fascisme- par l’impérialo-colonialisme. Seuls les tomes 1 et 3 traitant de l’antisémitisme et du système totalitaire avaient été publiés, en 1973 et 1972.
2- Pour H. Arendt l’impérialisme a fait du racisme «son idée politique principale».
3- Il s’agissait d’une imposture et d’un enfumage idéologique. Ceci dit, la notion de gauche, a-t-elle encore une quelconque pertinence politique et épistémologique ?
4- Notons que son travail est imprégné de préjugés, de stéréotypes et d’analyses condamnables sur les peuples colonisés.
5- Cf. le Code de l’indigénat en Algérie.
6- Les lois israéliennes restreignent impitoyablement les mariages entre Juifs et non Juifs.
7- Voir les citations.
8- Caractéristique de l’Etat nazi.
9- Le rêve démentiel, mais politique, du grand Eretz, du Nil à l’Euphrate, n’a jamais été abandonné par les sionistes.
10- Titre de l’ouvrage du colonialiste britannique Lord Cromer.
11- Notons le soutien accordé par l’U E et les Etats-Unis aux néonazis de Svoboda, en Ukraine, héritiers des Waffen SS ukrainiens Galizien.
12- Certaines d’entre elles se sont inclinées devant le mémorial Yad Vachem.
13- Quelle régression politique, lorsqu’on sait que ces forces, à l’échelle européenne, sont les héritières de la collaboration avec les hitlériens, et de la trahison de leur patrie.