Quand Amin Maalouf rappelait à Nicolas Sarkozy le désastre irakien avant l’invasion de la Libye
Une année avant l’intervention militaire cataclysmique de la France en Libye, l’écrivain Amin Maalouf avertissait l’ancien président Nicolas Sarkozy que le monde «vit une époque de communautarisme global pernicieux, sanglant et destructeur». Le membre de l’Académie française avait, à juste titre, rappelé la tout aussi catastrophique intervention américaine en Irak, suivant le postulat selon lequel «l'une des calamités de notre époque serait la barbarie du Monde arabe». Amin Malouf admettait que selon cette logique, l’observation de l’Irak, avant son invasion et sa dislocation, ne pouvait que conforter l’impression qu’une telle intervention de l’Occident dans ce pays allait forcément donner lieu au désordre actuel. Rappelant la tyrannie sanguinaire de Saddam Hussein «qui a régné par la terreur, saigné son peuple, dilapidé l’argent du pétrole, envahi ses voisins, multiplié les vantardises», il explique que la chute de ce dictateur, si elle est perçue comme une «nécessité», n’en a pas moins fait basculer l’Irak dans le chaos. Amin Malouf a énuméré les décisions «cyniques de l’Occident» qui ont précédé l’opération militaire de l’Alliance atlantique et qui ont été moins néfastes au régime qu’au peuple irakien en raison d’un embargo «qui a coûté la vie à des centaines de milliers d'enfants sans jamais priver le dictateur de ses cigares», notait-il. Prédisant les intentions de Nicolas Sarkozy en Libye, l’écrivain d’origine libanaise était revenu sur l’invasion (de l’Irak) «décidée sous de faux prétextes, sans égard pour l'opinion ni pour les organisations internationales, et motivée, au moins en partie, par la volonté de mettre la main sur les ressources pétrolières». «Dès la victoire militaire, écrivait-il, une dissolution hâtive et arbitraire de l'armée irakienne et de l'appareil d'Etat, et l'instauration explicite du communautarisme au cœur des institutions» ont été instaurées, «comme si l'on avait choisi de plonger le pays dans l'instabilité permanente». La similitude avec la Libye est frappante. Amin Malouf renvoie dos à dos «la barbarie des Arabes» et «l’arrogance de l’Occident», qualifiant les relations entre l'Occident et le monde arabo-musulman de «désastreuses au niveau global». Mettant en avant l’adversité qui caractérise les relations tendues entre ces deux entités, l’auteur d’Identités meurtrières estimait que le monde est «manifestement en présence de deux interprétations de l'Histoire, cristallisées autour de deux perceptions de "l'adversaire"». «Pour les uns, précisait-il, l'islam se serait montré incapable d'adopter les valeurs universelles prônées par l'Occident ; pour les autres, l'Occident serait surtout porteur d'une volonté de domination universelle à laquelle les musulmans s'efforceraient de résister avec les moyens limités qui leur restent», reprochant à l’Occident de s’être mis «manifestement dans une situation délicate qui ressemble fort à une impasse (…) parce qu'il semble de moins en moins capable de diriger le monde par la puissance douce de l'économie et de l'autorité morale, et de plus en plus tenté de recourir à la puissance militaire». Pour Amin Malouf, cet Occident semble même «quelquefois embourbé dans une espèce de guerre coloniale planétaire dont il ne sortira ni perdant ni gagnant». Pour lui, «le drame de l'Occident, c'est qu'il a constamment été partagé entre son désir de civiliser le monde et sa volonté de le dominer». Face aux nouveaux périls, qu’Amin Malouf qualifie de «carrefours dangereux de l’Histoire», l’écrivain lançait un appel à Nicolas Sarkozy pour «guérir les blessures du passé» et permettre la coexistence pacifique «de notre humanité déboussolée». «Aucune action ne me paraît plus importante. Ni plus urgente, parce qu'il est déjà presque trop tard», concluait Amin Malouf. L’année d’après, Nicolas Sarkozy détruisait la Libye et propageait le terrorisme en Méditerranée.
M. Aït Amara