Déboires de la ministre de l’Education : la fable du pouvoir et du savoir
C'est avec une très grande circonspection et beaucoup d'hésitations que j'ose aborder un thème que tout gouvernement, de quelque nation que ce soit, considère comme la priorité dans la mission qu'il s'assigne pour assurer le bien-être et le progrès des citoyens dont il a la charge. Bien entendu, c'est l'école que je veux évoquer, institution en otage et qui se trouve être d'actualité à la faveur d'attaques virulentes et insensées, à l'encontre de la ministre de l'Education nationale, Madame Nouria Benghebrit. Dès sa nomination, sans lui accorder un délai probatoire, elle a été accueillie, sans ménagement, par des volées de bois vert (comme si elle s'était autodésignée) par ceux qui ont planifié de faire de ce ministère leur chose sans partage et sans débats. Feu Mahfoud Nahnah ne s'en était du reste pas caché et le clamait en toutes occasions, parfois dans un arabe approximatif pour les puristes de l'emphase. L'accaparement de l'opinion eût été opéré sans précipitation et l'école en aurait été le moyen certain pour s'assurer de l'objectif visé. Ils en ont fait un sanctuaire et une chasse gardée, à la suite de quoi le pouvoir aurait été mûr pour être cueilli sans difficulté majeure. La surenchère de la tendance obscurantiste et passéiste du FLN ne s'est pas fait attendre, pour ne pas demeurer en reste. Eux aussi réagissent en symphonie, pour s'y mettre avec une férocité sans pareille, orchestrée avec la partition de M. Ghoul qui, toute honte bue, s'est mis de la partie en omettant de faire son examen de conscience. Et pourtant, ce n'est pas son bilan, peu reluisant, ou ses joutes oratoires fleuries et ses harangues verbales endiablées, sans lendemain, qui vont noyer ses échecs patents et coûteux d'une autoroute Est-Ouest dont les délais s'étendent à l'infini et qui n'ont pas encore cessé de nous livrer tous leurs secrets, qui l'autorisent à adopter une posture de donneur de leçons. Mais qui êtes-vous, M. Ghoul, pour tancer une collègue membre d'un gouvernement auquel vous appartenez ? Où est la solidarité que vous vous devez de respecter, parler peut-être au nom d'un parti, sans militants conséquents, ne justifie pas cette attitude désobligeante et inélégante vis-à-vis d'une collègue et surtout quand il s'agit d'un combat autrement que matériel et qui nécessite une vision fine et réfléchie. Après tout, de quoi s'agit-il ? Qui fait vociférer à l'unisson, cette meute, dans la défense de la langue arabe ? Mais qui met en cause l'enseignement de l'arabe, si ce n'est ceux qui s'attachent à la figer telle une momie inaltérable, sans souhaiter l'adapter à son temps comme toutes les civilisations qui aspirent à la modernité. Il me semble que si l'on en croit à la forme négative des opposants à la ministre de l'Education, qu'ils sont heureux et satisfaits d'une école à la traîne des bilans mondiaux et même du monde arabe, malgré tous les moyens colossaux consacrés à ce secteur depuis l'indépendance du pays. Il faut avouer que tous les gouvernements successifs n'ont pas lésiné sur les budgets, cependant que les résultats n'ont pas répondu à l'attente et même qu'ils étaient catastrophiques, eu égard aux efforts financiers consentis, même en périodes de crise économique. La langue est faite pour tenir des propos sensés sur le monde qui bouge et s'articule en fonction du progrès humain et son usage évolue, aussi, avec un monde qui lui en donne un sens. Etes-vous satisfaits de cet illettrisme de masse auquel nous assistons tous béatement et qui a fait de l'ENA de Hydra l'unique réservoir «d'intellectuels» de la classe politique visible, le reste semble inscrit au menu de ceux qui n'ont rien à décider. L'illettrisme ne rend-il pas vulnérable aux discours simplificateurs d'intolérance et de rupture. Les sociologues de la trempe de notre ministre de l'Education, experte reconnue mondialement parmi ses pairs dans «l'économie de l'éducation», ont la compétence de créer une ambiance de pacifique confrontation linguistique, propre à éviter le passage à l'acte et à l'affrontement sur un fond nébuleux. Alain Bentolila, professeur de linguistique à la Sorbonne, spécialiste respecté de l'illettrisme, écrit, je cite : «Il est frappant (si j'ose dire) de constater à quel point, en situation de ghetto linguistique et social, l'agressivité imprègne et marque le langage : les mots d'appel qui sont censés "inviter" un proche à participer à une relation linguistique sont souvent de pures insultes empruntées aux registres les plus inacceptables du racisme et de la xénophobie.» Madame Nouria Benghebrit, c'est du bon, c'est du solide, de celle qui ne se doute pas d'où elle vient, de ce qu'elle est, quoique ce n'est pas d'une grande importance à nos yeux, c'est de la trempe des nationalistes sans assise partisane et circonstancielle, c'est du roc bien de chez nous, serti d'argumentaire scientifique et qui ne défend que le citoyen algérien et son école, elle n'a que faire du pouvoir que les seuls idéologues populistes et reconnus par ceux qui les ont créés cherchent à noyer leur volonté de pouvoir, dans le registre de la défense de la langue arabe dont ils pensent être les seuls héritiers. Non et non, cette langue nous appartient à tous, et c'est sur le progrès que la respectable ministre insiste pour faire évoluer notre langue, en s'autorisant une démarche universelle, évitant ainsi des argumentations les plus rigides et les plus formelles, spécieuses et dangereuses. Continuez, Madame la Ministre, la meute ne s'entend que la nuit tombante, la majorité silencieuse, les vrais parents d'élèves, ceux qui n'ont pour seules écoles que celles des frontières algériennes, et qui cherchent le bonheur de leurs enfants, vous encouragent à ne pas céder aux sirènes de ceux qui font de la défense de l'arabe un fonds de commerce pour s'agripper au pouvoir. N'ayez crainte, vos adversaires sont à l'origine des idéologies les plus réactionnaires et les croyances les plus intégristes, pas par conviction, mais pour dresser un rempart entre vous et la réalité de l'école qu'ils vous ont laissée et se maintenir aux commandes avec pour toile de fond la langue arabe prétendument en danger, sans conceptualisation ni argumentation. La situation catastrophique de l'école, abstraction faite de l'intermède courte durée de Mostefa Lacheraf qui aurait pu être salutaire pour le pays. Personne n'est dupe, vouloir soustraire leur responsabilité entière dans le marasme actuel de notre école, c'est opter pour une avancée sans boussole et nier l'état périlleux et handicapant de notre école qui se trouve être présentement sinistrée. Cela n'est pas un constat abstrait, tout le monde s'accorde à dire que l'illettrisme et l'hétérogénéité de notre système scolaire actuel nous mèneront à l'abîme en ayant la hantise de revenir à la décennie noire de triste mémoire. L'illettrisme lui-même n'étant qu'un enfermement linguistique où l'aspect universaliste n'y est pas admis. La situation géographique de l'Algérie lui impose de s'ouvrir au monde et les langues sont un moyen de connaître l'autre de tout horizon. Le français est «un butin de guerre» que beaucoup de pays arabes nous envient, pourquoi le repousser alors que nous disposons de cet héritage culturel qui nous fait comprendre l'Occident dans son essence, l'apprentissage de l'anglais est aussi indispensable et la ministre s'y engage aux dires de ses conseillers. A propos d'identité, à nous de la faire valoir, sans nier aucune dimension de notre histoire arabe ou berbère, nous revendiquons toutes les invasions passées par notre terre riche en péripéties événementielles qui feront les choux gras de chercheurs en histoire jusque-là silencieux sur des pans entiers du vécu de nos ancêtres. N'est-ce pas aussi une piste pour étoffer notre identité que nous continuons à atteler uniquement au monde arabe. L'Algérie est grande, par sa révolution, par son histoire millénaire, faisons en sorte de ne pas nous tromper de cible, notre ennemi, aujourd'hui, c'est l'illettrisme qu'il faut prendre à bras le corps et notre courageuse ministre semble en prendre la démarche opportune et scientifique qui sied à cette situation alarmante et désastreuse de notre école. Espérons, pour le moins, que notre brillante et courageuse ministre dispose de la confiance de sa hiérarchie, même si le silence assourdissant de sa tutelle aux attaques inconsidérées d'opposants obscurantistes n'est pas de bon augure pour batailler dans un climat serein nécessaire à la noblesse d'un dessein et en particulier quand il s'agit de l'école. Nous savons que vous avez pris la mesure de vos responsabilités et sommes sûrs que vous avez la détermination d'aller jusqu'au bout de votre mission et vous souhaitons, dans ce combat ardu, bon vent et une santé à toute épreuve.
Abdelhamid Abdeddaim