Une contribution de Farouk Zahi – Le M’zab, cette belle œuvre humaine
«Le paysage de la vallée du M'zab, créé au Xe siècle par les ibadites autour de leurs cinq ksour, ou villages fortifiés, semble être resté intact. Simple, fonctionnelle et parfaitement adaptée à l'environnement, l'architecture du M'zab a été conçue pour la vie en communauté, tout en respectant les structures familiales. C'est une source d'inspiration pour les urbanistes d'aujourd'hui.» (Unesco). Et c’est ainsi qu’en 1982, la vallée du M’zab est inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par cette organisation onusienne. Les mots clé de cette déclaration sont on ne plus clairs : l’architecture du M’zab a été conçue pour la vie en communauté, tout en respectant les structures familiales. Autrement dit, ce particularisme ne devait être ébranlé par aucun processus externe fut-il une promotion administrative. Malheureusement, le planificateur qui n’est pas à sa première déconvenue érige Ghardaïa en chef-lieu de wilaya lors de la réorganisation territoriale de 1984, apparemment sans concertation avec les parties coexistantes. A partir de cette époque, les échauffourées dites intercommunautaires de l’exception devinrent récurrentes et de plus en plus élaborées et sanglantes. Les premières en date furent sans nul doute celles de 1985 au lendemain du nouveau statut wilayal et pour lesquels le nouveau wali paya de sa fonction pour ne pas avoir vu venir les événements. Décidément, les démons de la différence qui sommeillaient dans l’esprit des belligérants n’ont eu besoin que d’une étincelle pour embraser le site. La différence du rite religieux ne vient que bien plus tard pour justifier le saccage. Le motif cardinal étant le plus souvent d’ordre territorial. La première confrontation avec Daya Bendahhoua s’est jouée autour de Ladhira à potentiel agricole affirmé. Les Chaamba et les M’dhabih, issus de la grande tribu hilalienne des Banou Soleim, dit-on, sont signalés dans la vallée depuis les temps les plus reculés. Donc, le problème de non-coexistence n’a, semble-t-il, jamais existé si on excepte les quelques épisodes où la rixe l’emportait sur la palabre. Il est, cependant, observé jadis que les communautés ibadites, elles-mêmes, vivaient chacune dans une relative autarcie par des lignes de démarcation bien délimitées et à bonne distance l’une de l’autre. El-Atteuf, la millénaire, est à une dizaine de kilomètres de l’actuelle pentapole constituée de Bounoura, Melika, Ghardaïa et Beni Izguen, venues respectivement bien plus tard. L’espace laissé libre entre les cités présageait d’une volonté d’y aménager des zones tampons à même d’absorber d’éventuels frottements. Au vu des incidents de 2008 à Berriane et récemment à Guerrara, les heurts étaient plus violents, car les lignes de démarcation ne sont pas nettes topographiquement, les communautés se partagent les mêmes espaces communs. La poussée démographique, tendant à l’expansion urbaine immodérée et inadaptée au contexte local, entamera irréversiblement la cohésion sociale jusqu’ici observée. L’administration locale, avec la bonne volonté de bien faire, ne s’attardait pas sur les traits saillants du vivre ensemble fragile, mais solidement arrimé à des pactes socioculturels tacites. Un Chaambi, plus que tout autre, respectera la ligne de démarcation tracée par les anciens vis-à-vis de l’autre communauté et l’inverse est tout aussi vrai. L’habitat, lui-même, subissait les premières injures par la construction des HLM de Ben Smara. On s’est même ingénié à donner le nom des Rostémides à l’hôtel qui porte actuellement celui du M’zab. On faisait affront à la grande dynastie de Tihert. Le plus grand tort fait à l’agglomération urbaine, enserrée déjà entre les amas rocheux et l’oued, a été de regrouper plusieurs administrations concentrées au niveau de l’ancien siège de daïra devenu siège de wilaya. La propension à suivre l’exemple, d’ailleurs abandonné à l’exercice, des cités administratives initiées par le défunt Medeghri, ex-ministre de l’Intérieur, a porté un préjudice durable au lieu. C’est par ces errements intempestifs que l’ancien fleuron du tourisme oasien en l’occurrence l’hôtel Transat a disparu inexorablement au bénéfice d’une administration éducative. Point de jardin, moins encore de piscine comblée sans état d’âme. Même la radio locale n’échappera pas à cette hyper-concentration immobilière et humaine. Ce pôle administratif générera durablement des désagréments à la fluidité de la circulation automobile étranglée déjà par l’étroite topographie urbaine. L’hôpital Brahim-Tirichine, dont la réalisation ne revêtait aucune urgence, a été construit en préfabriqué industrialisé sans tenir compte ni de l’aspect architectural ni du contexte climatique du site connu pour ses étés torrides. A petites touches, l’édifice patiemment érigé au cours des siècles se fissurait sous les coups de boutoir d’une machine administrative ne tenant, souvent, compte que des taux de réalisation physique et de la consommation des crédits. Le moindre espace laissé libre par les emprises des ksour est devenu urbanisable. De nouvelles appellations vinrent ponctuer le quotidien de cette vallée jadis radieuse, le rond à béton et le parpaing firent le reste. Au milieu des années 90, un responsable de haut rang promettait, sans lendemain, une pinède luxuriante qui s’étalerait de l’aérodrome aux portes de Ghardaïa sur une distance de 18 km. Sa première œuvre était celle d’ériger une colonne en forme d’obélisque au carrefour de Melika en guise de sanctuaire des martyrs, ce qui, bien entendu, ne recueillit aucun consensus ni de l’une ni de l’autre communauté. La transformation d’Oued N’tissa, séculaire grenier de Beni Izguen en Mitidja, faisait rire sous cape les initiés. Le salon du tapis, exposition incongrue dans laquelle on prétendait promouvoir le produit du tissage local, était beaucoup un événement alibi qu’autre chose. On présentait aux artisans le produit de leurs mains ; rappelons-nous que les turbulences guerrières de l’époque étaient en défaveur du tourisme, même national. En matière de construction, on chantait les vertus du crépissage par le «ardjoun», méthode ancestrale que la vallée pratiquait depuis des lustres pour crépir les murs extérieurs en battant le mortier frais d’un squelette de régime de dattes. Ces quelques exemples illustratifs renseignent si besoin est comment des pouvoirs publics en totale dysharmonie avec le contexte socioculturel local portent un préjudice incommensurable au crédit de l’Etat. Le commerce informel vint à changer des règles bien établies. L’industrieux commerçant mozabite, qui se lève aux aurores, a des plages horaires immuables dans l’ouverture et la fermeture de son commerce. La prière rituelle ponctue son activité comme un métronome. Ce qui n’est pas le cas pour les autres. Le manque à gagner, déjà signalé par les autochtones il y a déjà plusieurs années de cela, n’a pas trouvé d’échos favorables ce qui a, sans nul doute, conduit certains à craindre la déprime économique. Et ce n’est pas le fait des Chaamba. Les conséquences socioéconomiques de ce qui est appelé communément la décennie noire sont perceptibles à travers le nouveau spectre de résidants venus de toute part. Fuyant les affres du terrorisme sanglant, de pleines cohortes de populations venues du sud des wilayas limitrophes de Tiaret, Médéa, Djelfa et Laghouat se sont durablement installées. De nouveaux modes de vie et de comportement ont ébranlé ce fleuve tranquille dans ses fondements culturels séculaires. Sous la férule de l’éveil induit pas l’instruction générale et les moyens de communication modernes, les anciens, dont la pensée était élaborée à partir d’un atavisme clanique plusieurs fois séculaire, durent céder le pas à une jeunesse bouillonnante et avide de liberté comportementale. La fréquence des heurts est présentement alimentée par les réseaux sociaux et la téléphonie mobile qui transmettent en temps réel tout ce qui peut se passer dans l’une ou l’autre communauté. Tout cela n’exonère, totalement pas les tenants d’une politique subversive menant au chaos si nécessaire. Aussi, les jeunes qui s’affrontent dans la vallée du M’zab ne sont en rien différents des jeunes de Ali-Mendjelli, de Diar El-Kef ou de Baraki. La mal-vie et le désœuvrement ont fait leur œuvre funeste. Yahia Guidoum, ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, ne prophétisait-il pas en disant ceci : « Prenez garde à la jeunesse… cette bombe à retardement !»
F. Z.