Lettre à Amine Zaoui
Par Abderrahmane Zakad – Du haut de Yemma Gouraya où je me suis réfugié pour protéger ma conscience et ma santé des manipulateurs obséquieux des butineurs installés dans la citadelle imprenable des hauteurs des Anassers et aussi contre la mafia du livre et du libre-service sur les budgets, permets-moi en toute convivialité de donner un avis sur ton texte de ce jeudi paru dans «Souffles» sur Liberté. Tu devrais l'intituler «Soufre» au lieu de «Souffles», car ça sent le soufre asphyxiant de l'argent et des combinazionnes au sens sicilien. D'abord, dans ce texte que tu nous proposes, tu ne nous apprends rien que ce que l'on sait déjà. S'agissant de traduction et dans tous les domaines, les ouvrages sont très mal traduits dans les deux sens (arabe-français, français-arabe). Je ne suis pas traducteur, mais les spécialistes le disent. La traduction en Algérie est un tout petit problème sans conséquence par rapport à ce que contiennent les livres (nullité, aberration). Navets, plagiats, vols, copie arrangée d'autres livres, etc. Je peux le démontrer et te fournir des documents. En plus, ayant travaillé à l'OPU, j'ai découvert que les thèses de doctorat en arabe s'achètent au Caire pour 10 000 dollars, ensuite adaptées et reformulées ou encore retraduites en français. Je peux te citer les titres parus de ces «éminents professeurs» et «douktours» qui font leur marché dans les souks de «Meidane Ettahrir», au Caire. C'est un autre sujet, j'en parlerai plus tard avec listes et preuves à l'appui si l'OPU ou l'Enag par exemple me laisseraient fouiller dans leurs productions ou leurs archives. Les responsables de ces institutions le savent et laissent faire parce qu'il y va de leur poste et de leur «biftèque». Le favoritisme, le «ben-aâmisme» et l'«aplat-ventrisme» est de rigueur. Mes livres pour «jeunes» remis il y a un an ne sont même pas en librairie alors que ceux du «Docteur» Amimour – qui c'est «cuilà» remis longtemps après les miens sont sur les étalages. Parce qu'il a été à la Présidence, parce que je suis un simple citoyen (sans présidence). Un coup de téléphone de la Présidence ou d'une autre institution forte de muscle et bête d'esprit, et le livre est vite sorti, laissant les ouvrages de Zakad sur le bord de l'autoroute de la hogra. Donc, le seul problème récurrent et que tout le monde connaît, c'est que les Algériens ne lisent pas. Œuvres traduites ou pas. Et ils liront de moins en moins, internet et fainéantise obligent. Le ministre a annoncé hier sur El-Moudjahid qu'il existe 800 maisons d'édition – s'il y a 800 maisons d'édition et qu'une trentaine d'auteurs et écrivains, je n'en voie guère plus, je me demande ce qu'ils mangent le soir. Où sont l'OPU, l'Anep et l'Enag d'hier, saines et neutres des années 1970. La nullité et l'inculture des directeurs généraux d'aujourd'hui n’ont d'égale que la nuit noire de machinations qui font des ravages dans notre production littéraire en tous genres. Surtout dans les traductions, nouvelle filière «trabendiste» (je m'éloigne, revenons à notre mouton). Dans ton texte, il n'y a que des «pourquoi» – pour ce qui concerne les œuvres traduites – sans une tentative d'esquisser une hypothèse d'explication (exemple : Emily Brontë, traduite en arabe pour les Algériens, ne serait comprise du fait que ses œuvres traitent ou s'inspirent de la société anglo-saxonne). Cela n'intéresserait pas les Algériens qui de surcroît n'ont pas les bases pour comprendre, dénouer les subtilités en tous genres (langue, syntaxe, intriques, etc.). Les séries «Harlequin» traduites et éditées au Liban sont ignorées. Pourtant, ce sont des romans «jeunesse» à l'eau de rose, loin de la littérature ou du roman sérieux. Quant à la littérature, c'est un autre problème. Il n'a pas de littérature algérienne, elle est en voie de refondation, Dib et Mammeri ayant disparus. Bien sûr, ton texte est une sorte de métaphore, ce qui est confirmé par des chiffres et des statistiques non justifiés, non sourcés, inventés par des impressions qui ne veulent rien dire et qui sèment la confusion sur l'état de notre champ culturel. On sait qu'on ne lit pas. Point barre. Pourquoi avancer «ne sont lus que par une centaine» (répété plusieurs fois). Une centaine de lecteurs de traductions équivaut à 0,0001% de lecteurs (Algérie : 40 millions de lecteurs potentiels, c’est-à-dire ceux qui sont en situation de lire, mettons 10 millions). Je précise bien lecteurs potentiels en arabe et en français, soit 0, 0001% qui lisent la traduction, c'est-à-dire un lecteur pour 100 000 habitants ou deux lecteurs pour des villes du niveau de Béjaïa ou Motaganem. Donc, tes hypothèses ne tiennent pas la route. En plus, on n’en sait rien, aucune enquête n'a été menée d'une façon scientifique. A ce propos, je te propose de te rapprocher de notre ami Hadj Miliani pour les travaux qu'il a menés ou encore des chercheurs de CRASC. Miliani arrive à la conclusion qu'on lit plus en arabe qu'en français, tous genres de produits confondus et qu'on lit très peu. Enfin, les auteurs de fabrication étrangère ou qui le sont devenus, captés par l'ambition d'être des prix Nobel, la «notoriété» ou l'accès à la nationalité française ou l'argent (ce qui est moins grave), et que tu cites, ne sont pas représentatifs de la littérature algérienne, encore dans l'utérus de la mère. Leurs thèmes n'intéressent pas le lecteur algérien, tant par les personnages, leur mode de vie, leur rapport psychologique, la dramaturgie, etc. On me le dit partout. Merci d'avoir soulevé cette énorme question qui convient de fouiller, d’approfondir et d'analyser autrement. Notre culture, tous domaines confondus, est entre les mains des officines et des chefs d'orchestre qui nous imposent et leur musique et le rythme pour la jouer. Sont-ils responsables ? Oh, que non ! Les responsables, c'est nous les intellectuels qui laissent faire en toute connaissance de cause parce que nous ne valons rien. Nota : je t'adresse un livret pour adolescent niveau CEM écrit en français, traduit en arabe avec en plus des illustrations dont certaines sont faites par moi. Ce travail je l'ai fait avec l'objectif de comparer un texte en français et le même traduit en arabe et qui peut servir pour des exercices de traduction ou de langage. Et tu sais que, comme pour la pratique de la rokia, n'importe qui se dit traducteur. Un professeur n'est pas un traducteur, il est professeur de langue (arabe, français ou anglais). Un traducteur est traducteur, car formé et diplômé pour cela. Et encore il ne peut être compétent pour traduire un roman, s'il s'est spécialisé dans le juridique, etc. Ne traduit pas un roman qui veut : il faut une énorme compétence et une honnêteté intellectuelle inattaquable, ce qui n'est pas le cas. Et bientôt avec la traduction pour le tamazight, ça va être la guerre des tranchées et des «gorges hachées» parce que personne ne pourra être d'accord avec un autre. Et Allah seul sait. Je te fais parvenir «L'enfant et la mer» que j'ai fait traduire en arabe et gratuitement par Maître Benghebrit de l'université d'Alger grâce à l'aimable intervention de Madame Ferchouli, professeur de traduction à l'université d'Alger. Ce petit livre est destiné aux élèves du cycle moyen et des lycées pour travaux de comparaison grammaticale et syntaxique. Aucun éditeur ne voulait les éditer. C'est le ministère, en leur expliquant l'utilité de ce travail pour les jeunes, qui a accepté et les a adressés pour édition à l'Enag qui brille par son incompétence dans le domaine de l'édition en plus du favoritisme. Enfin, comme Zakad ne vit pas «là-bas» en bord de Seine, mais à Béjaïa au bord de la Soummam, et qu'il ne veut user d'aucun passe-droit, ni piston, ni supplication, ni toute autre chose déshonorante sous-tendue par l'argent, son odeur et ses méfaits, il ne reste donc à Zakad que le plaisir d'écrire pour dénoncer les loufiats de l'édition et de la traduction qui ne connaissent de l'Algérie que le plateau des Anassers, dans les couloirs compliqués de cet immeuble qu'est le ministère qui passe son temps à répartir les budgets selon la longueur de la barbe de certains, de la gandoura d'autres et le costume trois-pièces de ceux qui viennent de la rive gauche. Quant aux dames, pomponnées, maquillées et le sourire traînant ras le sol, elles auront la plus grande part du gâteau pour qu'ensuite, elles se retrouvent avec une factice renommée au Centre culturel français ou à la Représentation européenne de Madame Barezza qui s'occupe «passionnément» de notre Kulture et qui font de cheb Mami ou cheb Khaled des stars, des auteurs algériens des jouets et de futurs prix Nobel. Barre-toi, Madame. Laisse notre culture tranquille. Avez-vous entendu que des institutions algériennes ou des ambassades algériennes ont organisé des festivités et des rencontres en France sur le thème par exemple «Où en est la culture française» ou «La littérature française aujourd'hui». Ce que fait Mme Barezza ici chez nous, s'emparant de notre culture et de notre littérature. Ces Algériennes et Algériens, manipulés, télécommandés par les maisons d'édition françaises genre Harmattan ou Edi-Livre, spécialement créées pour les bougnoules que nous avons été, que nous sommes et qui le resteront s'il n'y a pas une prise de conscience et un nettoyage à l'eau de Javel. Ces maisons d'édition française qui rient de nous et que les auteurs algériens paient pour faire sortir leur livre, même en déchirant notre drapeau que les femmes de toute l'Algérie ont cousu pour fêter notre indépendance, que nous croyions définitivement acquise. Pauvre Algérie culturelle, pauvre Constantine, pauvre jeunesse algérienne qui parle le «frandja» et surtout pauvres «nous-ôtres» qui nous nous prenons pour des écrivains alors que nous sommes que des «écreuvés». Je me demande de quel livre on se souviendra dans 20 ans et de quel homme important on parlera hormis l'inspecteur Tahar. J'espère, et je suis sûr, que tu ne prends pas à mal mon texte qui se veut comme un enrichissement aux débats qui peut-être auront lieu un jour, si le pétrole ne descend pas au-dessous de 20 dollars. Alors et selon les cours du Brent, tag âala men tag !
A. Z.
Ingénieur, urbaniste
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