Les démons de l’art algérien – Acte II
Par Abdelkader Benbrik – La place de la musique et de la chanson algériennes est très largement sous-documentée. Des noms célèbres dans le monde de la musique algérienne, des deux communautés musulmane et juive, ont toujours contribué et développé les liens, loin de toutes interférences politiques ou religieuses. Ces artistes, qui demeurent vivants dans les cœurs et la pensée d’une population qui savait maîtriser le sens de la musique qui adoucit les mœurs, méritent aujourd’hui une large évocation. Si nous parlons de la musique algérienne, nous ne devrons pas passer sous silence la grande contribution des artistes judéo-algériens. Ces artistes de confession juive avaient acquis leur place parmi la population musulmane citadine. Déjà, en 1861, Alexandre Christianowitsch avait visité les villes algériennes pour découvrir les chantres de la musique arabo-andalouse, il rencontra à Alger des grands mélomanes dont la célébrité à cette époque dépassait les frontières, tels Youcef Eni-Bel Kharraïa Maqchiech, décédé en 1899, et le maestro Ben Farrachou né en 1833, décédé en 1904, qui eurent une influence décisive dans sa conservation et sa vulgarisation. A la même époque, un autre chercheur, Feydeau, se rendra à Alger, où il sera surpris par le caractère local métissé des artistes qui produisent la musique savante et parmi lesquels on compte des musiciens juifs. La présence de ces derniers est souvent attestée, comme à Mascara, durant la période de l’Emir Abdelkader, qui était lui-même un poète qui appréciait l’art et préservait sa valeur dans la société. Quelques faits illustrent le partage de traditions musicales entre musulmans et juifs. Deux chanteurs populaires juifs tunisiens marquent durablement la conscience culturelle des Maghrébins de l’entre-deux-guerres : Habiba Messika, née en 1903 et décédée en 1930, qui a donné un concert en 1923, et cheikh El-Afrit, né en 1897 et décédé en 1939. Leurs répertoires constituent à nos jours une richesse inestimable. A Tlemcen, les frères Dib Ghaouti et Mohamed, musiciens d’exception, assistent les musiciens juifs Touati et Maqchich lors des violences anti-juives de 1881 suite au ralliement de certaines familles à l’autorité d’occupation française en adoptant la nationalité française. Le décret Crémieux adopté par la France coloniale était en fait un complot pour diviser les deux communautés algériennes (juive et musulmane). Les juifs, piégés par ce décret, ont très vite adopté la nationalité française, alors qu’ils étaient des juifs algériens, c’est à partir de cet événement que certains juifs sont devenus des policiers, des gendarmes, des militaires qui combattaient les indépendantistes algériens. Mais une partie des juifs algériens est restée fidèle à la terre de naissance de ses ancêtres, certains militaient dans le Parti communiste, d’autres durant la guerre d’Algérie ont rallié le FLN et l’ALN. Avant l’application du décret Crémieux, les juifs d’Algérie vivaient dans la fraternité avec les musulmans, dans la quiétude et une parfaite solidarité. Côté artistique, il faut signaler que, traditionnellement, des musiciens juifs tlemcéniens formaient des troupes musicales avec les artistes musulmans : Liahou Benyoucef, né en 1811 et décédé en1856, Liahou El-Ankri, né en 1814, Nouchi Chloumou, né en 1853 et décédé en 1898, Makhlouf Rouche dit Bettaira, né en 1868, décédé en 1931, Brahim Edder’ai, né en 1879, décédé en 1964, Makhlouf Ayache début XXe siècle, etc. Les artistes des deux communautés se sont solidarisés plusieurs fois contre les actes de censure qui ciblaient des chansons et interpellaient les artistes. A Mostaganem, on trouve Elie Teboul, Meyer Reboah, Issac Benghozi parmi les musiciens juifs qui participent activement aux cérémonies cultuelles hébraïques ainsi qu’aux activités profanes où ils font cause commune avec les chantres musulmans. En 1905, quand Jules Rouanet présente au groupe des savants et érudits réunis à Alger les meilleurs interprètes de musique arabe, deux des plus importants musiciens juifs de l’époque y figurent : Mouzino (1845-1928) et Laho Serror. A la même époque, les chantres de la musique bédouine entrent dans la scène des enregistrements de disques 78 tours, à l’exemple du Cheikh Benhamida.
Le colonialisme français a agi diaboliquement pour diviser le peuple algérien, à travers le décret du sinistre Crémieux, qui est un crime contre l’humanité, au même titre que la déportation des Algériens à la Nouvelle-Calédonie et Caen, et des génocides répétés. Des crimes de guerre et contre l’humanité non jugés et condamnés à ce jour. Alors que le projet d’incrimination du colonialisme français en Algérie a été retiré de l’APN par son ex-président Abdelaziz Ziari, ce que l’Histoire retiendra. La France sera tôt ou tard condamnée !
A. B.
Extraits du livre Les démons de l’art algérien d’Abdelkader Benbrik
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