L’Algérie, terre de résistance et de martyrs

Par Abdelkader Benbrik – En 1541, Charles Quint arrive dans la baie d'Alger à la tête d'une flotte de 516 navires : 65 galères et 451 bâtiments de transport. A bord, des Espagnols, des chevaliers de Malte et des Allemands, soit 25 000 envahisseurs. L'objectif de Charles Quint est d'occuper la terre de nos aïeux, mais les Algériens, sous domination turque, se mobilisent pour faire face à cette agression ; les Turcs et les juifs sont pris de peur, les juifs n'avaient pas oublié qu'un demi-siècle plus tôt, ils furent massacrés et chassés de l'Andalousie par la sinistre catholique extrémiste Isabelle. Sauvée par les Arabes qui ont rejoint l'Afrique du Nord, une grande partie de ces juifs s'est installée en Algérie. Le 19 octobre, les Espagnols arrivent devant Alger. Le 23 octobre, les envahisseurs tentent de débarquer entre l'embouchure de l'oued El-Harrach et Alger, sur la plage du Hamma. L'émissaire envoyé par Charles Quint à Hassan Agha revient sans avoir obtenu d’accord. Le 25 octobre, toute la troupe débarque sur le littoral algérois et le sinistre empereur prend position près du Cheikh Sidi Yacoub, à Koudiat Es-Saboune (la colline du savon) où fut élevé Fort l'Empereur. La flotte bloque le port. Les Algériens font face, sans les Turcs et les juifs qui se sont enfuis par peur des Espagnols. Le 25 octobre, dans l'après-midi, une tempête se lève et empêche le déchargement des subsistances et du matériel. Les envahisseurs sont privés de nourriture et de couchage, alors qu’un grand nombre de navires sont détruits. Le lendemain, 26 octobre, une troupe algérienne sort de la ville et attaque les premiers postes. La pluie, qui ne cesse de tomber, donne avantage aux troupes algériennes. Le vent jette à la côte 140 navires et les équipages sont vaincus par les Algériens. Le 28 octobre, Charles Quint, conscient de sa défaite, bat en retraite avec le reste de son armée. La résistance algérienne sort grand vainqueur. Le 30 octobre, la troupe espagnole arrive à Bordj El-Bahri, où quelques navires se sont réfugiés. Le départ se fait le 1er novembre. La tempête reprend obligeant la flotte à faire relâche à Béjaïa. Là, les soldats sont accueillis par les habitants, alliés des Espagnols. Charles Quint ne rejoindra Carthagène qu'à la fin du mois de novembre. Depuis, l'Algérie n'a cessé de se battre, sacrifiant ses meilleurs enfants. En 1830, l'Emir Abdelkader et son chef militaire Fendi Abdellah ould Sidi Slimane Bousmaha feront face, encore une fois sans les Turcs, à l’envahissement français colonialiste. La résistance s'organisa avec une tactique parfaite et une stratégie stupéfiante pour cette époque, donnant des leçons inoubliables à l'envahisseur, et ce, jusqu'à l’épuisement du stock de munitions. Le roi du Maroc en connivence avec la France coloniale culbuta la demande d'aide de l'Emir Abdelkader et passa un pacte secret avec la France pour arrêter l'Emir et son chef militaire, s'ils se réfugient au Maroc. L'Algérien s'est toujours battu pour sa liberté, à l’image de nos grands-parents qui n'ont vu ni lycée ni université et, pourtant, ils étaient politisés jusqu'à la moelle, patriotes sans égal, doués d'un courage exceptionnel et hommes de nif. La génération actuelle n'arrivera même pas à leurs chevilles ! Après le déclenchement de l'étape révolutionnaire de novembre 1954, le quotidien El Moudjahid écrit dans sa livraison du 15 octobre 1959 que les martyrs de cette résistance se comptaient à plus d'un million de chahids. La Constitution algérienne parle déjà de «plus d'un million et demi», un chiffre lancé par le Conseil supérieur islamique d'Alger en 1968 et repris par le président Boumediene ; le chiffre contient tous les martyrs depuis l'invasion française en Algérie, l'été 1830. Si les martyrs algériens de la Révolution de novembre sont pris en considération, ceux que le colonialiste français avait pendus, fusillés et guillotinés de 1830 à 1954 ne semblent pas pris en compte, alors que les crimes contre l'humanité perpétrés par la France en Algérie durant cette période d'occupation sont stupéfiants, entre des jugements arbitraires de résistants, leur exécution ou leur déportation à la Nouvelle-Calédonie. Nous ouvrons une parenthèse pour une évocation de nos martyrs qui spoliés de leurs biens se sont défendus en héros. Condamnés arbitrairement et exécutés. L'injustice française en Algérie possède un palmarès sans précédent : le 16 février 1843 à Alger, première exécution par guillotine en Algérie contre le patriote Abdelkader Ben Zellouf Ben Dahmane, pour activité de résistance dans la région d'Alger. Le 30 mars 1872 à 6 heures du matin à Alger a été guillotiné le patriote Mohamed Ben Abdellah, pour avoir défendu ses biens et mettre hors d'état de nuire près de Cherchell le colon spoliateur Gerbal. Avant de passer à la guillotine, Mohamed Ben Abdellah s'est exprimé : «Je pensais qu'on m'aurait conduit à Cherchell pour y mourir, j'aurais pu voir une dernière fois ma femme et mes enfants.» Le 21 août 1872 à Constantine, Ahmed Ben Boudjemaâ est guillotiné pour avoir défendu ses biens contre deux envahisseurs italiens, charbonniers à Mounia, il les a mis hors d'état de nuire. Le 9 mai 1873 à Alger furent exécutés les trois patriotes Boudjenah Ben Hamed El Hadj, Hamed Ben Dahmane et Slimane Ben Hamed. Voyant l'occupation de leur village Lakhdaria et les spoliations de biens des Algériens par les colons français, ils font irruption le 14 avril 1871 au centre du village en mettant hors d'état de nuire les auteurs de spoliation, laissant la vie sauve aux vieillards, aux femmes et aux enfants. Le 1er novembre 1873, à Oued Athmania, fut exécuté le patriote Mohamed Cherif, qui a mis hors d'état de nuire le colon spoliateur M'hean. Le 3 novembre 1876 à 5 heures du matin à Mohammadia, ex-Perrégaux, fut exécuté, l'homme d'honneur Bouziane Ould Habib ould el Kalaï (dit Bouziane el Kalaï) avec ses deux lieutenants Larbi Ould Si Kaddour et Kaddour Benhamida. Bouziane, âgé de 39 ans, était un des principaux résistants à l'occupation espagnole et française. Mars 1877 à Oran, El Hadj Ahmed Ben Mohamed, patriote, jugé et condamné à mort, exécuté le 26 décembre 1877. A Oran, Kada Ould Abdellah et Kaddour Ould Lhabib Bouzid, patriotes, condamnés à mort, exécutés le 4 décembre 1877 ; Mohamed Ould Ahmed, patriote, condamné à mort, exécuté le 16 avril 1878. A Mostaganem, Mohamed Hamou Benachour, patriote, condamné à mort, est exécuté le 12 novembre 1881. A Aïn Témouchent, Mustapha Ould Mohamed Ben Bahi, 30 ans, patriote, lutta pendant trois longues années en Oranie ; il mettra hors d'état de nuire quatre colons et trois Algériens collabos : Frédéric Daire, liquidé le 13 avril 1881, Liminara et Erdinger, liquidés le 21 mai 1883, M. Moutonnet, liquidé le 31 mai 1883, Abdelkader Benattou, liquidé le 17 mars 1883, Cheikh Ould Mohamed liquidé le 16 mai 1883 et Mohamed Ben Abdelhadi liquidé le 27 juin 1881. Arrêté et condamné à mort, exécuté le 22 décembre 1883. Il résiste aux bourreaux face à la guillotine, il les a mis à terre, mais il fut exécuté rapidement. Lundi 3 septembre 1888 à 5 h10 à Alger fut exécuté El Hadef Ben Amar, pour avoir mis hors d'état de nuire le conseiller général Bourceret le 17 mars 1888. Son corps et sa tête remis par l'occupant au médecin militaire Poulet à des fins d'expérience. Vendredi 4 septembre 1891 à 5h30 à Saïda, fut exécuté le patriote El Habib Douldmimolan, 30 ans, après avoir déserté en armes du 2e régiment de tirailleurs en décembre 1890, il fera la chasse aux collabos en abattant deux à coups de fusil. Mardi 6 octobre 1891 à 5h30 à Mascara, Mohamed Soaldji, 20 ans, exécuté pour avoir mis hors d'état de nuire le colon spoliateur Maurel. Le 11 février 1893 à Boufarik est exécuté le patriote Ben Aissa Ben Mohamed Said, pour avoir mis plusieurs colons spoliateurs hors d'état de nuire. Jeudi 6 septembre 1894 à partir de 5h26 à Batna, ont été exécutés les patriotes Sekiou Amar Ben Belkacem, Bekouchi M'hamed Ben Mohamed, Bouzegahia Ben Mohamed, Yacoub Salah Ben Khen et Ben Ferai Ben Said Ben Belkacem, pour avoir mis hors d'état de nuire quatre colons dans l'auberge de la Grande Halte, sur la route Batna-Lambessa, le 26 septembre 1893. Le collabo qui les a dénoncés est mort en prison. Samedi 15 septembre 1894 à Oran furent exécutés Al Hadj Ben Ahmou et Mohamed Ben Abderrahmane, pour avoir exécuté, sur la ligne Mostaganem-Tiaret, l'occupant brigadier Poseur Veyrenche. Le jour de l'exécution, les journalistes sont interdits d'entrée dans la prison. Réveillés à cinq heures, les deux patriotes déclarèrent : «Nous sommes prêts à mourir pour la liberté de notre patrie.» Refusant boissons et tabac, ils parcourent la tête haute la centaine de mètres qui sépare la prison du lieu d'exécution. Ben Ahmou n'arrête pas d'insulter les Européens spectateurs. Le 18 février 1895 à Béjaïa furent exécutés Taroudjit Mohamed et Abdelli Aliou Said, pour avoir mis hors d'état de nuire à Oued Marsa le 26 juin 1894 le colonisateur Marius Jean. Samedi 2 octobre 1886, entre 6h23 et 6h30, furent exécutés à Sig, Mioud Ben Lemna et El Hadj Bouazza, pour avoir mis hors d'état de nuire, le 5 décembre 1885, à Sig, les colonisateurs Joseph Bellier, Perez Walter et blessant gravement Bellier junior, en riposte, l'un des patriotes est tué sur place. Les deux condamnés à mort, réveillés à 5h20, montent dans un tombereau direction la place. 3 000 personnes européennes sont présentes. L'exécution de Bouazza se passe normalement, mais la guillotine est déséquilibrée sans que personne ne le remarque, et le couperet ne coupe que légèrement la nuque du condamné. Le sinistre bourreau Rasseneux tente, avec une scie à main, de trancher le cou, en vain. Une deuxième chute du couperet ne donne aucun résultat probant, pas plus qu'un essai de décapitation au rasoir ! La troisième chute provoque enfin la mort, mais la tête reste accrochée par un lambeau de peau, qui est prestement coupé avec un canif. Samedi 19 septembre 1891 à 7h, à Sétif, furent exécutés les patriotes Ahmed Ben Ali Ben Baziz, Amar Ben Kassi et Mohamed Ould Kassi Naït Ali Bouda, pour avoir mis hors d'état de nuire, en décembre 1890, le colonisateur Ancia, facteur télégraphiste ; surveillant des mouvements des Algériens. Le 31 août 1893 à El Kantara, furent exécutés les patriotes Boudouk Said Ben Larbi, Dridi Mohamed Ben Ali et Said Ben Ahmed. Ce groupe chassa les colonisateurs dans la région de Biskra, ils exécutèrent plusieurs colons. Lundi 18 mai 1896 à Aïn Témouchent fut exécuté le patriote Merhane Kada Ould el Habib, pour avoir mis hors d'état de nuire le garde champêtre de Guiard, qui tentait de le maîtriser. Mardi 28 février 1905 à 6h32, à Aïn Témouchent, fut guillotiné le patriote Zedjidi Bendida Ould Abdelkader, pour avoir mis hors d'état de nuire le colon Désiré Harlot de la ferme Turgot. Le 26 juin 1909 à Bossuet, furent guillotinés les patriotes Nour Bouchta, 36 ans, Cheikh Ould Cheikh, 31 ans, et Mohamed Ben Slimane, 29 ans, pour avoir mis hors d'état de nuire à la forêt de Daya, le 16 septembre 1906, l'Inspecteur des forêts Dubois et le brigadier Barbier. Mercredi 4 août 1909 à Bouira fut guillotiné le patriote Cherigui Mohamed Ben Mohamed, 20 ans, pour avoir mis hors d'état de nuire François Dupont ; son camarade Saïdi Ahmed est condamné à la perpétuité. Le 8 septembre 1911 à Annaba fut guillotiné le patriote Mesrough Tahar Ben Abdellah, qui a mis hors d'état de nuire deux collabos juifs. Jeudi 25 juillet 1912 à 4h20, à Béjaïa, fut guillotiné le patriote Mazouzi Abdellah Ben Saïd, pour avoir mis hors d'état de nuire le collabo Mohamed Saïd, adjoint du douar Tararist. Le 21 octobre 1922 à Annaba furent guillotinés les patriotes Abaïdia Mohamed Ben Labidi et Aïssa Ben Ahmed, pour avoir le 24 avril 1921 mis hors d'état de nuire le brigadier de police Frances et le colon Paul Hierling. Le 25 octobre 1923 à Chlef furent guillotinés les patriotes Abdelkader Benziane Ben Abdelkader et Benarara Ben Yahia Ben Adda, pour avoir braqué la diligence Ténès-Cherchell qui transportait des colonisateurs. Le 14 août 1926 à Tizi Ouzou fut guillotiné le patriote Amrouche Amar Ben Saïd, pour avoir abattu de deux coups de revolver un agent de police qui tentait de l'arrêter. Jeudi 6 juillet 1933 à 3h50 à Béjaïa fut guillotiné le patriote Bachioua Mohamed, 46 ans, pour avoir abattu à coup de revolver entre les douars Tarariat et Draa El Caïd le collabo Mouloud Khiar. Le 5 juin 1939 à Batna fut guillotiné le patriote Berkane Bouaziz pour avoir abattu le garde forestier Don Poli. Le 2 juillet 1947 à Batna fut guillotiné le patriote Bensaoud Tayeb, pour avoir mis hors d'état de nuire un gardien de prison. Le 3 avril 1948 à Alger fut guillotiné le patriote Makhed Mohamed Benbrahim, pour avoir mis hors d'état de nuire le brigadier Cazeau. Le 11 février 1954 à Oran fut guillotiné Amar Dekhini, pour avoir mis hors d'état de nuire un gendarme français et son frère. En février 1954, fut arrêté à Oran le grand patriote Fendi Mohamed, pour rébellion contre l'Etat français, organisation de la résistance, recruteur de patriote. Fendi Mohamed est le petit-fils de Fendi Abdellah, chef de l'armée de l'Emir Abdelkader, exécuté au bagne de Toulon. Fendi Mohamed condamné à mort et exécuté le 25 octobre 1955. Il était le chef de ceux qui sont devenus après novembre 1954, le colonel Othmane et le commandant Abbas. Ceci n'est qu'une partie de la longue liste des patriotes algériens, exécutés par le colonialisme français. Ces martyrs oubliés méritent leur évocation et surtout leur prise en compte avec les martyrs de la période 1954/1962, en ajoutant les martyrs pour la cause palestinienne entre 1967 et 1973 et ceux de la décennie 1990. Dans cet article, nous n'avons donné qu'un aperçu sur le crime contre l'humanité perpétré par le colonialisme français, le nombre des martyrs étant supérieur. Ajoutons les centaines de patriotes de la résistance depuis l'Emir Abdelkader qui ont fait l'objet de la déportation à la Nouvelle-Calédonie et à Caen, ainsi que les disparus malgré eux. Malheureusement, des députés algériens et ceux qui se proclament de la famille révolutionnaire n'avaient pas insisté pour valider le dossier d'incrimination du colonialisme français en Algérie. Les patriotes regrettent vivement cette position négative.
A. B.

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