Enfin, ça va changer dans l’édition !
Par Abderrahmane Zakad – Les critères d'attribution de l'aide publique à l'édition de livres ont été revus pour bénéficier davantage aux éditeurs qui font «preuve de professionnalisme», a indiqué sur la Chaîne I le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi. Quelle bonne nouvelle ! On peut enfin se «re-mettre» au travail. Depuis l’an 2 000 avec ses trois «zéros» qui ont ouvert la porte à de nombreux z’héros dans l’édition, on a vu des gérants se bâfrer dans les successifs budgets consacrés à l’édition par le ministère de la Culture. On a vu naître sans fleurir une pléthore de maisons d’édition. Intéressé par le sujet, je m’étais mis à étudier cette question pour savoir ce qui se tramait dans notre champ culturel. De mes recherches, j’ai choisi trois tableaux significatifs sur des dizaines d'inepties :
Tableau 1 :
Nous sommes en l’an 2000. Je me balade place du Polygone à Constantine avant une réunion à la wilaya. J’aperçois une enseigne «Maison d’édition L). «L», c’est un prénom féminin. J’entre, je demande à la jeune fille derrière un ordinateur «J’ai un livre à éditer.»
«Le patron n’est pas là », me répond-elle.
Je lui demande si la maison d’édition a déjà édité. «Non, on vient d’ouvrir.»
Que veut dire «L» ? je lui demande. «C’est le prénom de sa femme», me répond-elle.
«Ce n’est pas sérieux et c’est narcissique», lui dis-je.
«Oh ! Il ne faut s’étonner de rien. Mon patron est un éleveur. Il a vendu quelques vaches pour ouvrir cette maison d’édition.» (véridique)
Tableau 2 :
Le monsieur costumé et cravaté me remet une carte de visite toute en couleur : maison d’édition X, numéro de téléphone 0551…, Birtouta. Je téléphone au numéro indiqué.
«Allô, vous êtes la maison d’édition N. ?»
«Oui, à votre service», me répond une dame.
«Voilà, j’ai un roman à éditer.»
Moment de silence, puis : «Ça parle de quoi ?»
Je réponds : «Ça parle du ministère de l’Intérieur vu de l’extérieur.»
Silence, puis : «On s’excuse, monsieur, on ne fait pas de politique.» (Véridique)
Tableau 3 :
2008, la rumeur circule. Le ministère lance une opération d’aide à l’édition dans le cadre d’un événement culturel. La rumeur se confirme. Les éditeurs se téléphonent : «Ouèche, fiha oualla ma fihache ?»
«Je vais me renseigner», répond l’autre éditeur. Ça se confirme, «fiha» (il y a de l’argent à racler). Délit d’initié par quelques fonctionnaires du ministère : «Oui, c’est prévu, envoie tes livres, je m’en occupe, fhemtni ? (tu m’as compris ?)»
Bien sûr qu’il a compris, l’éditeur. La course aux auteurs commence : «Ouèche, Zakad, kech livre aândek ? (alors, Zakad, aurais-tu un livre à éditer ?)»
Ça téléphone tous azimuts, les auteurs sont sollicités avec des salamalecs et des bisous sincères. Quelques fois avec de la «chita» (brosse). Chaque maison d’édition dépose trois à dix livres. C’est la pêche à la bonite, «koul ouahad ouzahrou».
Deux mois passent. On s’informe, on use ses chaussures dans les couloirs tortueux du ministère, on téléphone, on attend, on espère. C’est la spécialité des éditeurs : draguer. Et le couperet tombe : «flen» (untel) a trois romans d’acceptés, «flana» (une telle) quatre romans, les pistonnés six romans, les «mahgourine» (ceux qui n’ont pas de piston) un roman, les copains (mystère), les gueulards (un roman bessif) (à grand-peine). Qui a lu les romans ? Qui a décidé que tel roman est bon et que tel autre est mauvais ? Personne ne le sait. Combien de livres, combien d’argent pour chaque maison d’édition ? Pas d’information. L’opacité totale.
Merci, Monsieur Mihoubi, de fermer le robinet. Il faut maintenant fermer les chiottes et laisser place au professionnalisme, comme vous dites. Se pose alors une énorme question : qui est professionnel ?
A. Z.
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