Aït-Laoussine à Algeriepatriotique : «Les réserves de change pourraient s’épuiser dans deux ou trois ans»
Algeriepatriotique : Les prix du pétrole sont orientés vers la baisse depuis une année. Pouvez-vous nous en expliquer les causes de cette baisse et son impact sur l’économie algérienne, basée essentiellement sur l’exportation des hydrocarbures ?
Nordine Aït-Laoussine : Les causes de la baisse sont connues. La production pétrolière mondiale dépasse de loin la demande. Il y a donc un surplus d’offre qui, l’an dernier, provenait essentiellement des Etats-Unis, du Canada et de la Russie, mais qui est alimenté, cette année, par l’Opep et notamment les pays du Golfe. Son impact est particulièrement dramatique pour notre pays, non seulement parce que les prix ont chuté de plus de 50% depuis juillet 2014, mais aussi parce que notre production est en déclin, et que les prix et les exportations de gaz diminuent également. Tout compte fait, nos revenus d’exportation vont diminuer de moitié (de 60 à 30 millions de dollars en moyenne annuelle).
L’Algérie a-t-elle les moyens de résister à une baisse durable des cours de pétrole ? Si non, quelles en seront les conséquences immédiates sur le quotidien des Algériens ?
La majorité des pays exportateurs de pétrole et de gaz sont confrontés à de graves difficultés financières. Pour le moment, certains, dont l’Algérie, s’en sortent mieux que d’autres grâce à leurs réserves financières. Si la chute du prix du pétrole devait perdurer, ces réserves s’épuiseront fatalement après un délai plus ou moins long en fonction des réformes qui seront décidées pour rationaliser les dépenses et limiter les importations. Ce délai est déjà consommé au Venezuela. Il peut s’étendre à quatre ou cinq ans dans les pays «riches» du Golfe et, selon mes estimations, l’Algérie en a pour deux à trois ans. Les conséquences pour le citoyen algérien ne se feront donc pas sentir dans l’immédiat, mais il faut se préparer à se «serrer la ceinture» dès à présent.
L’endettement serait-il envisageable dans le cas où les moyens financiers de l’Algérie ne suffiront plus pour répondre aux besoins du développement et à ceux de la vie quotidienne des Algériens ?
Oui, l’endettement est possible, car nous n’avons pratiquement plus de dettes, mais son coût, en termes de taux d’intérêt, sera de plus en plus élevé en fonction de la baisse prévisible de nos réserves de change.
L’ancien PDG de Sonatrach, Abdelmadjid Attar, a averti qu’une intensification de l’exploitation des hydrocarbures n’est pas une solution. Etes-vous du même avis ? Pourquoi ?
L’intensification de l’exploitation, c’est-à-dire «pomper plus» de nos gisements actuels, n’est pas souhaitable étant donné le degré de vétusté de certains de nos champs. De toute façon, cette intensification ne donnerait pas de résultats immédiats et réclamerait d’énormes capitaux. A plus long terme, on peut, en effet, espérer des gains de productivité dont l’ampleur dépendra d’une multitude de considérations propres à chaque gisement, à son environnement géologique et au prix de revient du baril supplémentaire produit.
Malgré la chute des cours de pétrole, l’Opep maintient sa production. Pourquoi ? Si cette instance de régulation du marché pétrolier décidait de réduire sa production, cela aiderait-il à résorber la surcapacité du marché ?
L’Opep est en crise parce qu’il y a un désaccord profond entre ses membres. Pour simplifier, le nœud du problème réside dans le clivage qui a toujours existé au sein de l’Organisation entre, d’un côté, les pays soi-disant «riches» (ceux du Golfe) et, de l’autre, les pays réellement «pauvres». Les premiers sont particulièrement préoccupés par le long terme, compte tenu de l’ampleur de leurs réserves pétrolières, alors que les autres sont davantage concernés par les incidences à court terme et la protection immédiate de leurs revenus. Il est clair que si cette «instance de régulation», comme vous dites, jouait correctement son rôle et acceptait de réduire l’excédent de production, on pourrait effectivement espérer un redressement des prix.
Selon vous, quels seront les choix macroéconomiques immédiats que l’Algérie doit prendre pour éviter le retour à la crise de 1986 ?
Les choix sont connus, le diagnostic est posé, nous sommes tous d’accord sur ce qu’il faut faire et de nombreux experts algériens ont même suggéré une thérapie. En dépit des revenus considérables que nous avons accumulés, nous avons réalisé des performances décevantes en termes de croissance économique du secteur «hors hydrocarbures», malgré les nombreuses mesures d’incitation dont il a fait l’objet. De ce fait, notre croissance économique est toujours soumise aux aléas de la conjoncture pétrolière, parce que nous ne sommes toujours pas en mesure de nous affranchir de notre dépendance excessive à l’égard des revenus pétroliers.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi