Exclusif – L’ambassadeur de Russie : «L’Algérie est un acteur clé dans la lutte antiterroriste»
Algeriepatriotique: La Russie a lancé ses premiers raids aériens contre les positions du groupe terroriste Daech en Syrie. Pourquoi Poutine a-t-il décidé de frapper maintenant et pas avant ?
Algeriepatriotique: La Russie a lancé ses premiers raids aériens contre les positions du groupe terroriste Daech en Syrie. Pourquoi Poutine a-t-il décidé de frapper maintenant et pas avant ?
Alexandre Zolotov : Nous considérons la Syrie comme un pays souverain qui siège à l’ONU et auprès de laquelle il a un représentant permanent. Nous avons tous les droits de maintenir avec Damas des relations de coopération dans différents domaines, ce que nous continuons à faire. En procédant au déploiement de nos forces militaires dans ce pays, nous avons agi en réponse à la demande formulée par les autorités reconnues, donc, en toute conformité avec le droit international, ce qui n’est pas le cas pour la coalition occidentale.
Le président russe a déposé au Conseil de sécurité une résolution soutenant une «coalition antiterroriste» qui devrait inclure l’Iran et l’armée régulière syrienne. N’est-ce pas une cause perdue d’avance, connaissant l’hostilité de ses membres envers Téhéran et Bachar Al-Assad ?
Si nous avions considéré que c’était une cause perdue d’avance, nous n’aurions jamais présenté ce projet de résolution. Pour nous, il est évident que pour lutter efficacement contre ce danger qui est le terrorisme international, il faut unir les forces. D’autant plus avec les Etats qui ont les possibilités d’apporter un soutien efficace, notamment l’Iran. Ces derniers temps, nous avons assisté à une normalisation notable autour de ce pays avec les arrangements concernant le dossier nucléaire. C’est une raison de plus d’associer Téhéran de manière convenable aux efforts pour combattre ce fléau.
L’armée russe aurait-elle pu – ou dû – intervenir en Libye en 2011 ? Pourquoi la Russie ne l’a-t-elle pas fait pour sauver son allié Kadhafi ?
Comme je l’ai dit précédemment, la Russie respecte strictement la législation internationale. Cela prévoit, notamment, qu’il faut agir avec l’accord du pouvoir en place. D’autre part, la Russie n’était pas liée avec la Libye par un quelconque traité d’entraide militaire. Il y avait des relations stables, de coopération, comme celles que la Libye avait avec d’autres pays, même les Etats-Unis, pays avec lequel, à cette époque-là, les rapports commençaient à se rétablir. Il ne faut pas considérer la Libye de M. Kadhafi comme notre allié au sens militaire du terme. D’ailleurs, les autorités libyennes ne nous voyaient pas en tant que tel.
Depuis le début de l’action militaire russe contre Daech, les dirigeants occidentaux multiplient les déclarations d’indignation. Daech est-il un «ennemi utile» pour l’Otan ?
Je ne vais pas entrer dans des spéculations. Je préfère considérer Daech comme l’ennemi de toute l’humanité. Parce qu’avec la philosophie antihumaine des extrémistes et leurs crimes atroces, ils méritent d’être combattus par des efforts conjoints de la communauté internationale.
Comment expliquez-vous, alors, le fait qu’en quelques jours, la Russie a atteint plus d’une centaine de cibles de ce mouvement terroriste, tandis que les frappes des Etats-Unis et de leurs alliés sont insignifiantes ?
Justement, il y a des doutes sur l’efficacité des opérations militaires menées par la coalition occidentale. Mais ce sont des questions à poser à cette coalition (rire). Moi, je voudrais attirer l’attention sur l’efficacité des frappes militaires russes de ces derniers jours. Ce qui est évident, c’est que nous avons touché des cibles importantes, causant des pertes en effectifs dans les rangs des groupes extrémistes. Ce qui veut dire que nous nous sommes assigné comme tâche le combat réel et non déclaratif contre le terrorisme.
Les chancelleries occidentales accusent la Russie de cibler «l’opposition modérée» en Syrie, mais taisent les massacres de civils en Afghanistan et au Yémen par l’armée américaine et les armées des monarchies du Golfe. Comment percevez-vous ce deux poids, deux mesures à Moscou ?
Concernant ces accusations, notre ministère de la Défense, qui produit chaque jour des chiffres concrets sur les résultats des frappes en Syrie, a donné, à maintes reprises, des explications appropriées, affirmant que les cibles étaient bien définies et triées et qu’il ne s’agissait pas de toucher des civils. Nous faisons très attention à ce que les moyens militaires soient employés uniquement contre les extrémistes. Ce que peuvent dire, parfois, certains médias ou certains responsables dans d’autres pays, relève de la guerre de propagande.
Le Premier ministre irakien Haïder Al-Abadi a donné son feu vert pour que l’armée russe bombarde le groupe terroriste Daech en Irak. Moscou étendra-t-il son intervention militaire à ce pays ?
Cela dépend de la position du gouvernement irakien. S’il nous demande de le faire, dans ce cas-là, cette demande sera traitée avec toute l’attention requise.
L’Europe connaît un flux massif de migrants fuyant la guerre et la violence dans leur pays. On n’entend pas beaucoup la Russie parler de cette question d’une brûlante actualité. Que dit Moscou à ce sujet ?
Il faut revenir un peu aux racines de cette crise d’immigrants. Et la racine justement est l’instabilité et cette confrontation qui se poursuit en Syrie depuis quatre ans. C’est état des choses est le résultat d’une politique de certains pays qui ont poussé l’opposition syrienne vers la voie de la violence et l’utilisation des armes pour l’aboutissement de leur revendication qui est le changement du régime à Damas. Et comme vous le savez très bien, dès le début, nous avons prôné une approche différente. Nous avons favorisé la résolution politique de la crise. Il fallait évidemment introduire des perfectionnements dans le modèle politique et économique de la Syrie. Mais les reformes, pour porter leurs fruits, doivent être entreprises de façon non violente. Cette crise de réfugiés est justement la conséquence d’une politique de courte vue irresponsable de certains acteurs sur la scène internationale.
Plusieurs analystes politiques ont déclaré à notre journal que l’Algérie était sur la liste des pays à déstabiliser. Que savez-vous, à Moscou, sur le «printemps arabe» ? Qui l’a déclenché et pourquoi ?
Vous êtes au centre du monde arabe, c’est plutôt à moi de poser cette question (rire). La Russie est éloignée géographiquement, ce qui fait qu’on consulte régulièrement nos collègues algériens sur différentes questions régionales et internationales. Ici, le potentiel de réflexion sur ce qui se passe dans la région est très important est nous en tirons profit. Cela dit, je tiens à souligner que pour des bouleversements d’une telle envergure, comme ceux intervenus dans le monde arabe, il y a des raisons objectives. L’immobilisme politique et économique a produit un élan vers le renouveau. Un élan que les régimes en place n’ont pas réussi à négocier convenablement. Ils ont employé des moyens inappropriés, en utilisant la force et la répression. Il est évident qu’il y a eu des prémices objectives pour un changement profond sur la scène arabe.
Les Etats-Unis ne tarissent pas d’éloges sur le rôle et l’expérience de l’Algérie dans la lutte antiterroriste. Y a-t-il une coopération entre l’Algérie et la Russie dans ce domaine, ou les deux pays se limitent-ils à leur relation historique liée à l’équipement de l’armée algérienne en armement russe ?
Naturellement ! Nous considérons l’Algérie comme un acteur clé dans le combat antiterroriste dans la région et même à travers le monde, compte tenu de votre expérience antiterroriste acquise dans la lutte contre l’extrémisme violent. Nous coopérons dans le cadre d’un dialogue bilatéral et aussi dans un format multilatéral comme le Forum global antiterroriste, et autres cadres internationaux. Ces derniers temps, lorsque la communauté internationale a commencé à considérer le terrorisme comme un danger majeur, il y a pas mal de forums spécialisés dans lesquels nos deux pays sont actifs. Mais ce qui nous rapproche le plus, c’est le constat qui dit que c’est l’Organisation des Nations unies qui doit diriger ce combat international contre l’extrémisme. Elle a des structures et des organismes appropriés qui doivent prendre des décisions et aider à l’amélioration de la législation internationale dans ce domaine. Tout doit être chapeauté par son Conseil de sécurité et non pas par tel ou tel pays, enclin à se proclamer leader dans la lutte contre ce fléau.
Croyez-vous à l’imminence d’un conflit généralisé, pour ne pas dire à une «troisième guerre mondiale», qui serait une conséquence de la guerre actuelle en Syrie ?
Je ne suis pas adepte du scénario catastrophe et je ne suis pas non plus Cassandre pour prédire quoi que ce soit (rire). Pour moi, nous ne sommes pas dans ce cas de figure. Nullement. Vous vous référez à certains problèmes qui sont apparus ces derniers temps, dans les relations entre mon pays et d’autres acteurs internationaux. Des dissensions sont inévitables de temps en temps, mais je suis sûr qu’ils vont disparaître, tôt ou tard. Parce que ce n’est dans l’intérêt de personne de pousser les choses vers un conflit majeur. Au contraire, nous, en tout cas, avons émis différentes propositions pour revenir à la normale et sommes toujours ouverts à la restauration d’une coopération productive d’égal à égal.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi