Une contribution de l’Anaaf – Le 17 octobre 1961 : un crime d’Etat trop longtemps occulté !
Durant les dernières années de la guerre d'Algérie, les Algériens de France étaient soumis à la loi d'un couvre-feu qui leur était spécialement appliquée. Ils n'avaient pas le droit de sortir entre 20h30 et 5h30. Les cafés et restaurants dont ils étaient propriétaires devaient fermer à 19h. Face à ces pratiques et restrictions discriminatoires, plus de 30 000 Algériens avaient décidé, le 17 octobre 1961, de manifester pacifiquement dans les rues de la capitale française. Ce jour-là, ils étaient loin d'imaginer que Maurice Papon, connu pour avoir été un fidèle fonctionnaire et un serviteur zélé du régime de Vichy sous l'occupation nazie lors de la Seconde Guerre mondiale, devenu préfet de police de Paris, allait ordonner une répression sauvage et sanguinaire pour stopper leur marche pour la dignité et la liberté. La décision de Maurice Papon avait-elle reçu, à l'époque, l'aval des plus hautes autorités de l'Etat ? La réponse relève encore aujourd'hui de l'énigme … et de l'amnésie politiquement entretenue. Toujours est-il que 54 ans après, tous les citoyens français, la diaspora algérienne en France et notamment sa jeunesse française d'origine algérienne, aimeraient savoir pourquoi, dans la capitale du «pays des droits de l'Homme et du citoyen» et de la révolution de 1789, plus de 11 000 Algériens furent arrêtés et plus de 200 d'entre eux furent tués et jetés dans la Seine le jour du 17 octobre 1961. Au même titre que d'autres pays européens, la France reste encore confrontée aux dates sombres de son passé. Ailleurs, comme en Belgique, un véritable débat a été ouvert pour mieux regarder le passé colonial en face et l'assumer. Au Royaume-Uni, le gouvernement de David Cameron vient de prendre une importante décision qui risque de faire jurisprudence pour tous les pays d'Europe qui ont été colonisateurs. Au-delà des mots dits ou tus au nom de tous les citoyens de la République française, la jeunesse française d'origine algérienne de notre diaspora en France attend des représentants de la nation, du gouvernement et du président de la République, Monsieur François Hollande, un acte politique fort, de la même portée historique que le discours du Vel d'Hiv, prononcé par l'ancien président de la République, Monsieur Jacques Chirac, reconnaissant pour la première fois, au nom du peuple français, et après des années de tergiversation, la responsabilité de la France dans la déportation des juifs par le régime de Vichy.
Cette demande est d'autant plus légitime pour le crime d'Etat commis le 17 octobre 1961, la France ne peut pas ignorer la décision du gouvernement de Sa Majesté britannique qui vient de signer la fin d'un combat judiciaire qui aura duré plusieurs années. En effet, Londres s'est engagé à financer l'érection au Kenya d'un monument du Souvenir et dédommager les 5 228 victimes africaines défendues par le cabinet d'avocats londonien Leigh Day ; 19,9 millions de livres (23,5 millions d'euros) seront versées par l'Etat de Grande-Bretagne en guise de réparation. C'est, en effet, en octobre 2012 que la haute cour de Londres avait autorisé trois anciennes victimes à poursuivre le gouvernement du Royaume-Uni après que ce dernier eut tenté, en vain, de plaider la prescription de l'action pour des faits remontant aux années 50. Si vous n'avez jamais entendu parler de la révolte des Mau-Mau, il y a de fortes chances que l'accord qui a sanctionné le règlement du différend dont il est question ne vous dise pas grand-chose. Il est encore plus plausible que vous ne sachiez pas qui sont ces victimes qui viennent de remporter une victoire sans précédent contre un ancien Etat colonisateur devant ses propres juges, ni de quels abus se sont rendues coupables les forces impériales britanniques au cours de la décennie qui accoucha de l'indépendance du Kenya en 1963. Les réparations que s'apprête à verser le gouvernement de David Cameron concernent les survivants et les ayants droit des victimes tombées sous la répression menée par les forces britanniques contre les membres du mouvement de résistance anti-coloniale Mau-Mau et contre les personnes soupçonnées de fournir une aide directe ou indirecte à ces derniers. Malgré tout cela, l'Etat français ne semble pas pressé de rétablir la vérité sur des crimes et des atrocités, commis en son nom, ou sur la domination barbare du système colonial en Algérie qui doit être présentée, sans maquillage, à tous les Français pour que la mémoire de ses victimes ne soit plus insultée par tous ceux qui veulent la minimiser, l'occulter et même la valoriser. Il ne s'agit pas de tomber dans le piège de la critique stérile de la France ou de son peuple. Il ne s'agit pas non plus d'évoquer une forme de repentance d'opportunité ou qui serait ritualisée. Mais même si la France n'a pas eu le monopole de la brutalité criminelle du colonialisme qui a sévi un peu partout dans le monde, il est légitime pour l'écrasante majorité des citoyens de sa République de demander qu'on arrête de leur mentir ainsi qu'à leurs enfants au sujet des crimes et des atrocités engendrés et perpétrés par le système colonial en Algérie. L'histoire et le passé d'un pays ou d'un peuple ne s'effacent pas. Il doit être tout simplement expliqué et assumé. Surtout lorsque le devoir de mémoire l'exige. Lors de son voyage officiel en Algérie du 19 et 20 décembre 2012, le président François Hollande déclara au nom du peuple français, dans un discours historique devant les deux chambres du Parlement algérien, «qu'il reconnaissait les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien (…), pendant 132 ans. L'Algérie, a-t-il tenu à affirmer, a été soumise à un système profondément injuste et brutal.» Toujours devant les parlementaires algériens, il précisa également que «la relation franco-algérienne à laquelle il aspire au nom de la France doit reposer sur un socle de vérité», car «rien ne se construit sur des dissimulations, dans l'oubli ou le déni». Et cette vérité, a-t-il encore souligné, passe par la reconnaissance «des injustices», «des massacres» et de «la torture». Parmi ces massacres et ces crimes, celui du 17 octobre 1961 est d'autant plus et à jamais imprescriptible parce qu'il s'agit, d'après beaucoup d'historiens, d'un véritable crime d'Etat. Pour le président François Hollande, «le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d'une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes». Ces centaines d'Algériens évoqués par le président de la République française, alors qu'ils manifestaient pacifiquement en portant fièrement la vie, élevée au rang sacré de valeur humaine et universelle à défendre pour qu'elle soit toujours libre et digne pour tous, ont été sauvagement massacrés sur ordre du préfet Papon, donc au nom de l'Etat français. Il ne faut plus qu'il continue d'être broyé par l'oubli devenu aujourd'hui impossible parce que le cri de leur douleur et de leur supplice résonne encore dans les eaux de la Seine et au-delà. Leur cri est notre cri à tous, Algériens et Français. C'est le cri soutenu par une exigence citoyenne de vérité, pour que soit interrogée la politique de l'amnésie sur le crime d'Etat dont ils ont été les victimes et que soit également soulevée la question des pratiques de l'Etat français vis-à-vis des Algériens à cette époque. Beaucoup de ces Algériens, massacrés le 17 octobre 1961, avaient, eux-mêmes ou leur parents, été mobilisés durant la guerre 1939-1945 et firent l'objet de nombreux reportages vantant cette «force nouvelle», venue d'Algérie, capable de vaincre le nazisme et le fascisme. Ne plus laisser l'oubli et l'indifférence les exterminer à nouveau, c'est faire œuvre de justice, honorer tous les combats pour la liberté et la dignité, tous les combats contre le nazisme et le fascisme. Ne plus ignorer le crime, commis par un haut fonctionnaire de l'Etat le 17 octobre 1961, c'est aider tous les Français à regarder en face les pages, noires ou tachées de sang, de leur histoire, car il s'agit, comme l'avait si bien formulé l'ancien président Jacques Chirac, de «témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'Etat», car «ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté, de sa dignité».
Alliance nationale des associations des Algériens de France