D’Ali Kafi à Dahou Ould Kablia : pourquoi cette haine inassouvie contre le chahid Abane Ramdane ?
Le débat sur l’exécution d’Abane Ramdane par ses frères d’armes s’emballe de nouveau suite aux graves propos tenus par l’ancien ministre de l’Intérieur et ancien membre du MALG, Dahou Ould Kablia. Au moment où l'on s’attendait à des appels à la fraternité, voire à des mea culpa de la part de tous ceux qui auraient été impliqués dans des crimes pendant la période de la guerre de Libération, Ould Kablia a préféré remuer le couteau dans la plaie et raviver des rancœurs dont sa génération peine, décidément, à guérir. Cela dit, la confirmation d’une vérité jamais reconnue officiellement par un ancien membre de la Direction de la documentation et de la recherche (DDR) sous Boussouf conforte la thèse selon laquelle il existerait des documents, un procès-verbal ou des minutes, consignant le procès fomenté contre Abane. Il faut attendre peut-être le déclassement prochain des archives de l’ALN et celles du MALG, conservées au ministère de la Défense nationale depuis 1962, pour en avoir la certitude et savoir quels sont les griefs qui avaient été retenus contre le défunt. Ould Kablia explique que l’arrogance et l’orgueil présumés d’Abane Ramdane suffiraient pour justifier sa liquidation, non pas politique mais physique. Si c’était le cas, le CCE ou les «3B», Boussouf, Belkacem et Bentobal, auraient pu l’isoler (Ould Kablia lui-même dit qu’Abane était déjà minoritaire au sein de la direction de la Révolution) et l’écarter de toute responsabilité organique ou politique. S’il s’agit d’une accusation pour haute trahison, tous les moudjahidine l’auraient su et le journal El-Moudjahidde l’époque ne l’aurait pas affublé du statut de chahid. Dans ses mémoires, parus en 2002, l’ancien colonel de la Wilaya II, Ali Kafi, n’hésite pas mettre la disparition d’Abane Ramdane sur le compte d’une «trahison». S’appuyant sur une lettre portant la signature du colonel Amirouche et sur une déclaration qu’il aurait faite et qu’il dit avoir entendue de ses propres oreilles lors de la fameuse rencontre d’Oued Asker (Wilaya II), en 1957, Kafi est persuadé qu’Abane a noué des contacts avec l’autorité coloniale. Il estime que cette «initiative» s’inscrivait dans le même esprit de négociation avec le gouvernement Guy Mollet, à laquelle, d’après lui, avaient pris part d’autres dirigeants de la Révolution, citant Ahmed Ben Bella, Lamine Debaghine et Mohamed Khider. Si ces contacts avaient eu lieu, doit-on accuser leurs initiateurs de traîtres, comme le pensait Ali Kafi, relayé étrangement par Ben Bella dans son réquisitoire contre Abane et les hommes du Congrès de la Soummam ? Pourquoi cet acharnement de deux anciens dirigeants qui n’avaient, en apparence, rien de commun ? Dans ses ripostes, l’ancien président du GPRA, Benyoucef Benkhedda, ancien centraliste et fidèle compagnon d’Abane, confirme les contacts que ce dernier et lui-même ont eus avec l’envoyé de Mendès France, l’avocat Charles Verny, et assure qu’aucun pacte secret n’a été signé avec l’ennemi et que les discussions n’avaient pas dépassé ce cadre.
D’autres ont négocié avec la France
D’après Rédha Malek, dans son ouvrage L’Algérie à Evian : histoire des négociations secrètes 1956-1962, Guy Mollet a désigné en mars 1956 un émissaire en vue d’ouvrir un dialogue avec les représentants algériens. «A son retour d’un voyage à New Delhi et à Karachi, M. Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères, s’arrête au Caire où il a, le 5 mars 1956, des conversations avec le président Nasser. Il lui propose l’ouverture de pourparlers secrets avec le FLN», écrit l’ancien chef de gouvernement et ancien négociateur à Evian. Les membres de la délégation extérieure du FLN décident, après un moment de tergiversation, d’aller à la rencontre afin de connaître «les intentions françaises». C’est Mohamed Khider qui fut désigné pour représenter le FLN à cette rencontre. En dépit de l’échec de ce premier contact entre les deux parties, le dialogue, près de deux ans de guerre, est enfin enclenché. Après la rencontre du Caire, le contact est rompu. Mais quelques mois plus tard, l’initiative vient à nouveau du gouvernement français, par l’intermédiaire du représentant du leader yougoslave Jozip Broz Tito à Paris. Le 26 juillet 1956, les deux délégations, algérienne et française, se rencontrent dans la capitale fédérale yougoslave, à l’île de Brioni. Au cours de cette rencontre, la délégation algérienne est représentée par M’hamed Yazid et Ahmed Francis. D’après des historiens, se référant à des témoignages, dont celui de Robert Merle, plusieurs responsables du FLN ont eu des contacts avec les représentants du gouvernement français. Pas moins de cinq rencontres auraient regroupé les deux parties, sous le gouvernement de Guy Mollet dans plusieurs capitales : Le Caire, Belgrade et Rome. Ahmed Ben Bella en personne aurait assisté à ces pourparlers. «En septembre, nous aboutîmes enfin à un accord, dit Ben Bella. Il fut décidé que chacun rentrerait chez soi pour le faire contresigner», écrit l’historien et écrivain Robert Merle. Pourquoi le procès fait à Abane Ramdane n’a-t-il pas été fait également à Ben Bella et à tous les négociateurs du FLN, dont le colonel Salah Zamoum et les officiers de la Wilaya III, entre autres ? Personne ne peut les accuser de trahison, du fait qu’ils voulaient, tous, chacun à son niveau et à sa façon, servir la cause de l’indépendance. Encore, pour ce qui concerne Abane Ramdane et d’après des témoignages concordants, ce dernier aurait rencontré, pour la première fois, deux émissaires de Pierre Mendès France, dont l'avocat René Stibbe à qui il aurait expliqué que le Front de libération nationale «ne pouvait négocier avec le gouvernement français qu'à travers une délégation officielle française et une délégation algérienne dans laquelle devraient figurer des responsables de l'intérieur et de l'extérieur». L'artisan du Congrès de la Soummam aurait mis des «préalables» pour toute négociation avec le gouvernement français, à savoir la reconnaissance du FLN en tant qu'unique représentant du peuple algérien et le droit des Algériens à l'autodétermination et l'indépendance. Alors, pourquoi Abane Ramdane dérange-t-il encore ?
R. Mahmoudi