Abdallah Zekri à Algeriepatriotique : «Je suis favorable à l’expulsion des imams salafistes»
Algeriepatriotique: Une nouvelle action terroriste vient de cibler la capitale française et d’endeuiller la France. Quelle est votre première réaction à ces lâches attentats ?
Abdallah Zekri : Ce sont des attentats horrifiants et terrifiants à la fois. Pour la première fois, la France traverse une telle situation avec près de 130 morts et 350 blessés. Nous ne pouvons que déplorer cet événement tragique qui, naturellement, n’a rien avoir ni avec l’islam ni avec les musulmans de France ou d’ailleurs. Il faut appeler les choses par leur nom : il s’agit de terroristes qui ont semé la mort et la désolation en France. Il faut bien que l’on comprenne que les cinq millions de musulmans qui vivent en France respectent les lois de la République et vivent en paix.
Comment expliquez-vous une telle éruption de la violence en France ?
Je ne fais pas partie des services de sécurité, mais cette éruption de violence était un peu prévisible dans la mesure où, il y a à peine 15 ou 20 jours, le président François Hollande et le ministre de l’Intérieur, M. Bernard Cazeneuve, ont déclaré que des réseaux de terroristes avaient été démantelés, ici en France. Par conséquent, la France n’est pas à l’abri d’attaques de ce genre. Je suppose qu’ils détenaient des éléments pour faire de telles déclarations.
Cet acte va encore une fois pousser à la stigmatisation de la communauté musulmane. Comment protéger celle-ci d’éventuelles représailles d’extrémistes de droite ?
Nous sommes inquiets. Pas plus tard qu’hier, j’ai rappelé à vos confrères français qu’au lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo,nous avions enregistré une explosion de réactions islamophobes. 178 actes racistes ont, en effet, été recensés durant le mois de janvier 2015. Actuellement, il règne un silence inquiétant. Ceci me surprend. D’une part, parce qu’habituellement, il y a une montée assez forte d’actes islamophobes après un attentat et, d’autre part, il va de soi que les groupes identitaires et autres formations extrémistes vont encore une fois se manifester. D’après ce que je lis sur les réseaux sociaux, je pense que les groupes identitaires et ceux qui les assistent pourraient se préparer à des actions de représailles contre les musulmans de France. Si cela est l’objectif de ces messages sur Internet, ce serait vraiment très grave.
Dans certains rassemblements organisés un peu partout en France, des pancartes ont été brandies qui appellent à «l’expulsion des musulmans»…
Il y a des manifestations contre le terrorisme et non contre les musulmans. Il va de soi que certaines manifestations sont menées par certains partis politiques ou certaines organisations [extrémistes]. J’ai été, moi-même, contacté pour participer à ces manifestations, mais j’ai refusé pour une raison simple : si c’est en tant que «citoyen», alors, je dis oui ! Mais je ne veux, en aucun cas – pas plus, d’ailleurs, que tous les autres musulmans de France – manifester en tant que «musulman». Si nous manifestons en tant que tel, nous nous justifierions et expliquerions [indirectement] que nous ne sommes pour rien [dans ce qui s’est passé à Paris]. Nous n’avons pas à nous justifier. Nous sommes des musulmans fiers de nos origines, mais en tant que citoyen, je n’ai pas à manifester en mettant en avant ma confession, car je ne me considère ni responsable ni coupable des tragiques événements qui se sont produits. Et, d’autre part, il est très souhaitable, également, que les pays occidentaux clarifient leur position et leur relation avec certains pays arabes qui financent ce terrorisme.
Comment voyez-vous la situation dans le pays dans les semaines et les mois à venir, à l’aune du renforcement des mesures de sécurité ?
Nous avons discuté avec les autorités françaises au sujet de la décision prise par François Hollande, relative à l’instauration de l’état d’urgence, qui va permettre aux policiers de perquisitionner les domiciles, fouiller les gens, etc. Cette décision nous inquiète parce que, dans la mesure où quand on parle de terrorisme, il s’agit toujours d’Arabes et de musulmans. Il faut à tout prix éviter cela. Déjà, avant même que cette décision n’entre en vigueur, il existe des contrôles de faciès. Si l’état d’urgence était appliqué, il pourrait provoquer un effet contraire. Il faut éviter l’amalgame, la stigmatisation des musulmans. Arrêter des jeunes dans la rue, les plaquer contre un mur, les fouiller…, cela serait fatal pour le vivre ensemble.
Justement, comment prévenir le délit de faciès qui pourrait découler de l’état d’urgence qui autorise les contrôles et les interpellations sans recours préalable à la justice ?
Il faudrait que les services de police chargés des contrôles fassent attention. Le ministère de l’Intérieur doit aussi instruire les policiers d’agir avec précaution. Nous devons nous réunir avec le ministre de l’Intérieur incessamment.
La communauté musulmane agit-elle suffisamment, selon vous, pour sensibiliser les Français sur la nécessité de faire front contre un ennemi commun qui s’appelle «terrorisme islamiste» et dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes ?
Il y a eu des victimes françaises, certes, mais la première victime par rapport aux racines, par rapport à la stigmatisation, du fait d’être montrée du doigt, c’est la communauté musulmane. Il y a cinq millions de musulmans qui vivent en France et tous respectent les valeurs de la République. Il y a des Français convertis qui commettent ce genre d’actes et qui n’ont rien à voir avec les musulmans de France. J’ai pu rencontrer des parents de jeunes qui sont partis en Irak et en Syrie, et j’ai constaté qu’il y avait très peu d’Algériens parmi eux. La majorité de ces jeunes est issue d’autres pays.
Le nombre de terroristes français et européens qui rejoignent les rangs de Daech ne cesse d’augmenter. Peut-on encore parler de «marginalisation» pour justifier cet état de fait ? N’y a-t-il pas d’autres raisons moins évidentes ?
Nous ne pouvons pas dire que ce sont des marginaux. Leur nombre augmente de jour en jour. Le département du Gard, où je réside, est une région très touchée par ce phénomène. Beaucoup de jeunes issus de cette région, une quinzaine, sont morts après avoir été enrôlés dans les rangs de Daech. Les familles ne voient rien venir et les jeunes partent de plus en plus [en Syrie]. Il est vrai que certains évoquent l’exclusion, le racisme, le chômage, etc., mais il y a aussi les discours stigmatisant des hommes politiques, comme, par exemple, M. Estrosi qui parle de «cinquième colonne», ou d’autres qui disent que «les immigrés d’aujourd’hui sont les terroristes de demain» ou encore que «les musulmans n’ont rien à faire en France»…
Pourquoi les autorités françaises ne réagissent-elles pas face aux imams radicaux autoproclamés, bien que le ministère de l’Intérieur affirme que ceux-ci sont recensés ?
Vous savez, la France préfère les discours aux actes. Le ministère de l’Intérieur avait avancé le chiffre de cent mosquées dirigées par des salafistes. S’il est arrivé à localiser ces salafistes, je suis favorable, personnellement, à ce qu’ils soient expulsés, car ils portent atteinte aux musulmans qui cherchent à vivre en paix. Il faut fermer ces lieux et expulser leurs responsables. Je suis désolé de le dire, mais il y a en France des imams autoproclamés qui n’ont aucun diplôme.
Y a-t-il des milieux en France que cette situation arrange ?
Oui, elle arrange surtout la droite. Alors que nous condamnons la présidente du Front national, Marine Le Pen, pour ces discours venimeux, nous avons constaté que les salafistes ne s’attaquaient jamais à elle. Ils n’ont jamais dénoncé les propos de quiconque porte atteinte aux musulmans.
Pourquoi ?
Parce qu’ils veulent que les musulmans soient traités de la sorte afin qu’ils puissent les manipuler et les convaincre de les rejoindre. C’est un intégrisme qui nourrit un autre intégrisme, en somme…
Le nombre d’actes islamophobes a augmenté d’une façon terrible depuis les attentats précédents. Qui en sont les auteurs ?
Ce sont les groupuscules d’extrême droite, les Skinheads et certains nostalgiques [de l’Algérie française]. Le dernier bilan effectué par notre observatoire durant les trois premiers trimestres de l’année en cours fait état de 330 actes islamophobes.
La France participe militairement à la guerre en Syrie. Que pensez-vous de la politique étrangère de la France instituée par Sarkozy et poursuivie par Hollande ?
Il y a trois thèses qui s’affrontent actuellement : celle de Hollande, celle de Sarkozy et celle des députés qui se sont rendus en Syrie et ont rencontré Bachar Al-Assad. Je crois que l’urgence consiste à combattre Daech et non pas Bachar Al-Assad. Qu’il soit dictateur ou non, il a été élu par son peuple et c’est au peuple syrien qu’il appartient de le juger et non pas à un quelconque pays étranger. D’ailleurs, nous avons vu le chaos produit en Irak suite à la politique de Bush. Depuis que Saddam Hussein a été éliminé, la guerre ne s’est plus arrêtée et le pays vit au rythme des massacres incessants. Nous voyons cela en Libye, également, où Sarkozy et son général-en-chef Bernard-Henri Lévy ont déstabilisé tout un pays. Les conséquences de leur intervention en Libye se sont répercutées sur la Tunisie et l’Algérie voisines. Ces responsables doivent assumer leurs responsabilités face à ce qui se passe actuellement. Ils ont tout fait pour que le terrorisme évolue.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et M. Aït Amara