Interview – Jacob Cohen : «La stigmatisation des musulmans fait partie d’une politique systématique»
Algeriepatriotique : Une nouvelle action terroriste vient de cibler la capitale française et endeuiller la France. Quelle est votre première réaction à ces lâches attentats ?
Algeriepatriotique : Une nouvelle action terroriste vient de cibler la capitale française et endeuiller la France. Quelle est votre première réaction à ces lâches attentats ?
Jacob Cohen : D’abord, la stupeur devant l’ampleur, la coordination, le timing, le choix des cibles par leurs auteurs. Leur détermination et leur jusqu’au-boutisme. Ils voulaient un carnage. Ce qui m’a frappé sur le coup, c’est l’absence de toute cible juive ou sioniste. Pourtant, un vendredi soir, veille du shabbat, aurait pu être l’occasion de frapper l’imagination et d’envoyer un message. De même, aucune cible médiatique ou ayant une relation avec le pouvoir n’a été visée.
Cet acte va encore une fois pousser à la stigmatisation de la communauté musulmane. Comment la protéger d’éventuelles représailles d’extrémistes de droite, selon vous ?
La communauté musulmane est stigmatisée depuis des années par tous les dirigeants français qui comptent. Cela fait partie d’une politique systématique pour freiner l’épanouissement des musulmans, réduire leur influence et les obliger à épouser la vision occidentale du monde. De ce fait, les attentats sont pain bénit pour les tenants de cette politique. Et ils ne viennent pas seulement de l’extrême droite. Tous ceux qui soutiennent le camp occidental, et en particulier les pro-sionistes, vont saisir l’occasion pour enfoncer les musulmans. Ces derniers – et c’est ma conviction depuis longtemps – ne devraient pas entrer dans ce schéma et s’excuser d’une culpabilité qui ne les concerne pas.
Comment expliquez-vous une telle éruption de violence en France ?
On peut voir d’abord des raisons internes. La France, par sa culture coloniale d’une part et par sa soumission au lobby judéo-sioniste de l’autre, a développé une politique de harcèlement, de diabolisation, de stigmatisation, de mépris et de racisme vis-à-vis des musulmans. Racisme au niveau du travail, du logement, des bavures et des contrôles, de l’attitude brutale des flics. Stigmatisation dans les médias qui ne montrent des quartiers que la violence et les trafics. Quant aux raisons extérieures, on peut se demander à juste titre ce que la France est allée faire en Syrie après avoir détruit la Libye. Si ce n’est pour complaire à l’Amérique et à Israël. On peut ajouter son attitude d’une hostilité viscérale, incompréhensible et contraire même à ses intérêts économiques, à tout accord avec l’Iran.
Comment voyez-vous la situation dans le pays dans les semaines et les mois à venir, à l’aune du renforcement des mesures de sécurité ?
Il était prévisible qu’un nouvel attentat de grande ampleur allait donner le prétexte au gouvernement d’adopter une politique répressive avec la bénédiction de la majorité de la population. Avec l’état d’urgence, on y est déjà. Et comme il ne fait aucun doute que cet état sera prolongé de plusieurs mois, on va vivre sous une quasi-dictature. Quelles que soient les manipulations autour des attentats dont on ne connaîtra jamais les vrais commanditaires, le gouvernement aura les mains libres pour contrôler et réprimer les dissidents et les sites contestataires, interdire les publications gênantes et les spectacles politiquement incorrects. On va donc vers une répression sans merci de toute expression d’opposition, et cela concerne aussi les «critiques de haine» contre le lobby juif et Israël. La loi sur le renseignement et le contrôle pourront être renforcés sans désormais aucune contestation.
Comment prévenir le délit de faciès qui pourrait découler de l’état d’urgence qui autorise les contrôles et les interpellations sans recours préalable à la justice ?
Le délit de faciès – spécificité bien connue des flics français – a toujours existé et n’est pas près de disparaître. La police française n’a jamais accepté la moindre mesure, contrairement aux promesses électorales de François Hollande, qui aurait restreint ses prérogatives ou qui les aurait placées dans un cadre légal restrictif. Avec ces derniers attentats, les musulmans vont subir encore plus ce genre de désagréments.
La communauté musulmane agit-elle suffisamment, selon vous, pour sensibiliser les Français sur la nécessité de faire front contre un ennemi commun qui s’appelle «terrorisme islamiste» et dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes ?
Pourquoi la communauté musulmane en France devrait-elle constamment s’excuser de faits qui ne lui sont pas liés ? Est-ce qu’on demande au Crif de se désolidariser des crimes commis par des juifs dans les territoires occupés ? Est-ce qu’on a demandé aux catholiques de prendre position sur le massacre commis en Norvège par un chrétien ? Cette façon de raisonner est une des facettes de la mise en condition des musulmans de France pour les empêcher de revendiquer la justice et l’égalité, et de les mettre constamment sur la défensive. De toute façon, les responsables musulmans qui s’expriment semblent prêcher dans le désert et peu de gens leur donnent crédit.
Le nombre de terroristes français et européens qui rejoignent les rangs de Daech ne cesse d’augmenter. Peut-on encore parler de «marginalisation» pour justifier cet état de fait ? N’y a-t-il pas d’autres raisons moins évidentes ?
Proportionnellement à la population musulmane en Europe, le nombre de ceux qui rejoignent Daech me paraît faible sinon insignifiant. Sans compter que la propagande occidentale a longtemps soutenu les groupes qui combattent le régime syrien et favorisé leur départ sur le champ de bataille par la Turquie. Sur une population de plusieurs millions de musulmans en Europe, on ne trouve que quelques milliers qui prennent la voie du terrorisme, surtout si on ajoute dans la balance les violences en Palestine et d’autres régions arabes (Irak, Yémen, Syrie, etc.). Je serais tenté de dire que les musulmans font preuve d’un grand pacifisme au regard de ce qu’ils subissent.
Le nombre d’actes islamophobes a augmenté d’une façon terrible depuis les attentats précédents. Qui en sont les auteurs ?
Leurs auteurs se recrutent partout. Aujourd’hui, il y a une terrible surenchère anti-musulmane. C’est à qui montrerait le plus de détermination contre les musulmans avec des mesures préventives généralisées. L’assimilation «musulman = citoyen non assimilable tenté par le terrorisme» est quasiment admise par beaucoup. Je suis convaincu que la responsabilité incombe en grande partie au lobby judéo-sioniste qui profite largement de cette situation. Comme il contrôle la plupart des institutions en France, il lui est loisible, sans monter au créneau, de répandre cette idéologie.
Les terroristes islamistes font le jeu de l’extrême droite qui gagne des voix à chacune de leurs actions. Comment expliquez-vous cela ?
L’extrême droite ne bénéficie que très peu de ce terrorisme, électoralement parlant. Elle a conquis son électorat depuis longtemps chez les déçus de la gauche et avec les arguments populistes comme la préférence nationale. Paradoxalement, en même temps qu’ils diabolisent les musulmans, les partis politiques, y compris le Front national, tentent de s’attirer le vote musulman, car il peut faire pencher la balance. On l’a vu en 2012 pour François Hollande.
La France participe militairement à la guerre en Syrie. Que pensez-vous de la politique étrangère de la France instituée par Sarkozy et poursuivie par Hollande ?
C’est une politique catastrophique. D’abord elle coûte énormément à la France, en termes de crédibilité, en financements et en perte de marchés. Elle détruit ensuite des Etats qui contribuaient à la stabilité de la région, amenant des millions de migrants en Europe. La seule explication à cette dérive aventureuse réside dans la perte de souveraineté de la France et son alignement, on peut presque parler de soumission, à l’axe américano-sioniste.
Propos recueillis par Mohamed El-Ghazi