Contribution du Dr Kennouche – Le capitalisme, le wahhabisme et Daech mènent le même «djihad»
Soulever la question de la responsabilité et des commanditaires de la barbarie islamiste ne suffira plus à calmer les esprits depuis les attaques du 13 novembre 2015. Il semble, en effet, que nous ne soyons plus en mesure, chacun d’entre nous, de ne voir dans ces actes séculiers que la volonté et la souveraineté de l’homme. Une question plus profonde d’ordre théologique, voire eschatologique, nous taraude la conscience et nous interpelle au-delà du discours politique ressassant les poncifs des valeurs occidentales bafouées par l’ordre nihiliste des suppôts de Daech. La question n’est plus celle d’un doigt accusateur, de la désignation des coupables ou des véritables commanditaires, mais celle d’une signification philosophique de ces actes sur le plan de l’histoire providentielle. Que la CIA ou les autres agences de renseignement occidentales y trouvent leur compte, ou bien qu’elles manipulent directement ces groupes, ne suscite plus aucun intérêt sociologique, et sans cynisme aucun, un Daech né des mains de la CIA ou bien des banlieues de France, ou bien encore de la misère du monde arabe, soucieux d’une grande revanche sur l’Histoire, revient à tourner autour du pot, celui d’une interrogation déficiente qui occulte le principal, le souci théologique. A ces actes répétitifs de destruction humaine, une seule question revient désormais inlassablement : pourquoi Dieu laisse-t-il faire, ou bien plus précisément, que ce soit Israël, les Etats-Unis, ou bien à l’opposé les seuls Arabes eux-mêmes, pourquoi donc cette série sans fin d’attentats meurtriers sur l’ensemble de la planète devant le regard impassible de Dieu depuis au moins trente bonnes années ? Que nous réserve-t-il ? Quelle signification théologique accorder à cette avalanche d’attentats qui n’en finit plus depuis l’invasion de l’Irak ? Quel est le message subliminal de Dieu ?
La ruse de Dieu
Si on suppose légitime ce genre de questions faisant intervenir la puissance divine, c’est bien pour éviter cet écueil de la responsabilité finale qui noie les petites gens dans un épais brouillard et les dissuade de pouvoir enfin trouver le coupable. CIA, Daech, banlieues françaises et belges, peu importe, car on ne connaîtra jamais les véritables commanditaires à une échelle qui soit significative de la conscience universelle. Que quelques officines, ou quelques personnes soient dans le secret des dieux ou que l’on se mette à divulguer un filet de vérité ne provoquera jamais ce torrent tant attendu par lequel des milliards d’individus sauraient enfin la seule et unique vérité, celle qui est toujours édifiante. Cependant, dans notre impuissante ignorance, et confrontés à l’inextricable vilenie des politiciens internationaux, on peut toujours avoir recours à un questionnement nouveau, celui de la manipulation par Dieu de ces mêmes commanditaires, fussent-ils les plus machiavéliques. N’existerait-il pas, en effet, un plan caché, ésotérique, qui n’apparaîtrait pas ainsi aux grandes puissances du crime international, et qui à leur insu, les pousserait vers des horizons inconnus de leur programme de régence et de gestion des affaires du monde ? On peut le supposer si tant est que l’on accepte l’idée d’un Dieu providentiel qui pourrait utiliser le mal absolu à bon escient, surtout celui des commanditaires de Daech. Sinon, comment interpréter notre impuissance à circonvenir un fléau qui nous assaillit de toute part sans même être capables de l’identifier de visu ? N’est-il enfin pas plus raisonnable de soulever la question théologique en rapport avec ce terrorisme nihiliste, qui comme une catastrophe naturelle s’abat sur l’humanité sans prévenir ! Puisque les Israéliens nous disent que l’islam est foncièrement terroriste et qu’ils se vautrent avec satisfaction dans un rapprochement abominable avec les combattants palestiniens, et que le monde arabe effondré, lui, se répand en larmes et en excuses pour éviter tout amalgame indécent, n’est-il pas opportun, dès lors que nous savons que nous ne saurons jamais à l’échelle de l’humanité tout entière, de poser le problème d’une autre façon et de s’interroger sur la ruse de Dieu, ruse en marche contre la ruse humaine de l’Histoire ! Dans le Coran, Dieu prévient de sa ruse adventice et supérieure envers ceux qui complotent contre les croyants et contre lui-même. Les versets éloquents de la Sourate 86 Al-Tariq (Yakidouna kaidan- Akidou kaidan: Ils fomentent leur ruse et Je fomente la mienne) se lisent majestueusement comme un aveu de surpuissance sur les desseins les plus machiavéliques, ceux que l’on considère comme étant imparables, indestructibles, et qui habitent les esprits des hommes de pouvoir les plus avisés. Cette parole divine encercle le sujet comploteur dans un plan qui lui échappe totalement ou bien qu’il pense maîtriser à la perfection, comme s’il était Dieu lui-même, mais qui au final en détruit tous les buts. Au plus profond de lui-même, il ne sent pas un instant qu’il est l’objet d’un stratagème divin qui le dépasse même dans son appréciation du bien et du mal. Non pas que le comploteur pense ou veuille bien faire, ou qu’il soit dans son droit d’agir comme bon lui semble, mais il se représente souvent comme une invincible armada, une forteresse inexpugnable, un endroit du monde où la colère de Dieu n’a jamais prise. Tel Caïn, qui voulant fuir la furie vengeresse de Dieu, croit s’en prémunir sous la protection du feuillage d’un arbre. Ainsi, comme il ne nous est plus possible de résoudre l’énigme de Daech, étant volontairement noyés dans ce flot d’informations mensongères, éclairer nos consciences par ces intentions divines cachées qui, au dernier moment, retournent la ruse de l’homme contre lui-même demeure l’ultime solution. Et si Daech, celui de l’Occident, était inséré dans un plan divin qui échapperait complètement aux pouvoirs surpuissants des commanditaires des fous de Dieu ? La question est reluisante et rend justice à toute une humanité ballottée entre les mensonges des uns et des autres, entre une conception sélective de la barbarie, et la revendication d’un ordre nouveau médiatique, œcuménique, pacifié, désintégrateur du monde arabe. Elle ouvre également la voie à toute une série d’interprétations de la réalité politique du monde arabe actuel, dont le devenir historique semble lui échapper complètement, selon justement un plan de Dieu.
Capitalisme sauvage, wahhabisme et nihilisme
Le monde arabe d’aujourd’hui n’est plus celui des Al-Ghazali, Ibn Rochd, ou bien encore des grandes traditions, malékite, hanafite, hanbalite, et chafiite, de la miséricorde, de la science et du devoir. Les élites arabes qui représentent l’islam sont complètement en phase avec le système capitaliste anglo-saxon qui gouverne le monde économique. Ce sont les états du Golfe qui dictent la conduite à suivre pour le reste des nations musulmanes même s’ils n’en sont pas les représentants. La recherche du profit absolu, par tous les moyens, est partagée par ces deux entités, l’Occident et le monde arabe. Ces deux mondes ne sont que les deux faces d’une même tête qui pense de la même façon bien qu’en apparence, elles affichent de fausses divergences culturelles, religieuses, politiques. Riyad, Washington, Londres, Paris déterminent un axe de valeurs fondées sur l’exploitation à outrance des richesses de la planète en vue d’une accumulation capitaliste sans limites, dont la fin est la conservation du pouvoir politique mondial. Cette forme de nihilisme inversé, à base économique, n’est pas sans rappeler celui des djihadistes d’Al-Qaïda et de Daech, qui dans leur élan guerrier promettent la destruction du monde occidental, mais qui en fait marchent parfaitement, mimétiquement sur les pas de leurs commanditaires capitalistes. Ainsi, les grandes multinationales, et l’ensemble des entreprises capitalistes se sont lancés dans un vaste pillage des ressources de la planète pour maintenir un taux de profit indispensable à la durabilité de leurs activités. Cette accumulation de richesse en Occident est d’essence nihiliste à partir du moment où elle entraîne une bonne partie de la planète dans un chaos permanent, aux soubresauts politiques dévastateurs, portant atteinte aux droits mêmes de la nature, menacée dans son existence. Le nihilisme des uns suscite celui des autres. Al-Qaïda, Daech, la City ou Washington signent l’avènement d’un tourbillon destructeur et annihilateur des derniers bastions de la civilisation universelle. Que ce soit depuis les grands centres de décision occidentaux, ou ceux de la péninsule arabique, ou bien encore depuis les banlieues sordides des nouveaux damnés de la Terre, le réflexe nihiliste est le même, qu’il se pare d’une mission capitaliste ou djihadiste. Il faut dans les deux cas détruire, éradiquer, raser, épurer autour de soi, ne laisser plus de trace, vestige ou reste qui fasse honneur à un passé glorieux ou à un contrepoids idéologique. La recherche absolue du profit de l’Etat capitaliste l’oblige, dans une fin de l’histoire à la Fukuyama, à se projeter ailleurs et à siphonner les dernières gouttes de pétrole, les dernières nappes de gaz, sans quoi son existence serait remise en cause. L’annihilation des ressources et de la culture des uns fait ainsi le bonheur des autres. De même, pour le djihadiste fanatique, sa propre existence ne repose que sur l’inexistence de l’autre, sur l’éradication de sa mémoire et de ses traditions singulières. Il ne lui sied pas de se voir en conflit avec autrui. Il lui faut éliminer tous les germes de la contestation et provoquer cette vacuité autour de soi par un nihilisme générateur de sa propre existence. Créer le vide et la désolation lunaires, détruire l’altérité gênante, c’est honorer et justifier sa propre vision unipolaire du monde. Le capitalisme et le djihadisme sont donc les deux faces, vues de profil, d’une même tête. C’est Mammon qui parle pour Dieu. Le capitaliste est donc frère du wahhabite et du soldat de Daech. Ensemble, ils mènent le même djihad kabbalistique, celui de la destruction massive de l’humanité par personnes ou objets interposés. Leur existence émerge de ce besoin matériel ou spirituel de création du vide autour de soi, de n’exister qu’au travers de la pulvérisation des autres. L’expropriation des ressources de la planète, leur pillage organisé, systématique, la surexploitation des terres et des mers et les déchets occasionnés créent la même béance et la même décharge sur la nature que le discours fanatique des wahhabites dans les esprits des jeunes de banlieue. Le lavage de cerveau aspire du fond de leur personne toute la substance qui agissait sur leur humanité, leur amour, et leur volonté de procréer, pour la mettre définitivement au rebut. Vidé de ces derniers ressorts, le jeune propage son inhumanité pour revendiquer un droit exclusif des autres à la vie, comme le condottiere d’une multinationale qui pose son édifice injustement sur la terre nourricière du pauvre paysan. Le djihad capitaliste est en marche, les deux faces éradicatrices se conjoignent dans leur élan de destruction massive de l’humanité, par l’esprit et la matière. Le nettoyage spirituel du wahhabisme postmoderne n’est donc qu’un vent du diable soufflant sur le monde pour n’en laisser que des décombres en signe de résurrection. Il partage avec l’organisation capitaliste la même rationalité instrumentale destructrice, les mêmes organigrammes de soumission totalitaire, les mêmes procédures de dissection et de dépeçage, et la même bissection annihilatrice entre le besoin de profits capitalistiques et le dévidage du monde civilisé. Les djihadistes banlieusards des temps postmodernes sont autant de soldats du capitalisme sans le savoir. Ils partent à l’assaut des dernières terres vierges inexploitées de la terre sans en être conscients. Ce sont les premières lignes d’un nouveau front de la barbarie capitaliste et la chair à canon des grands banquiers qui lorgnent les richesses incommensurables de l’Eurasie. Ils créent par leurs actes terroristes les dernières brèches de l’avidité capitaliste sur les confins inexplorés de la terre où reposent encore un peu d’humanité et de naturalité. Riyad, Doha, Abu Dhabi sont donc les avant-postes par lesquels retentissent les derniers coups de feu du monde capitaliste anglo-saxon, avant, sans doute, que ne survienne une brise salutaire de Dieu ?
La fin inéluctable de Daech
Le joujou des Américains est appelé à disparaître un jour. Il n’y aura pas de troisième Al-Qaïda. Le subterfuge d’une poignée d’hommes braquant l’ensemble de la planète sera découvert un jour, à n’en pas douter. La terreur nourrie essentiellement par le puissant appareil médiatique sera comme un feu de paille comparé à ce qui nous attend si les grandes puissances nucléaires se mettent à faire parler leurs canons. Daech aura été une mèche nécessaire dans la provocation nihiliste et capitaliste de l’Occident dirigée contre l’Eurasie. Dans cette fresque apocalyptique, le monde arabe n’aura été, lui, qu’un nouveau cheval de Troie lancé contre les derniers réfractaires à l’ordre capitaliste occidental. Les groupes terroristes contrôlés par les Etats y ont été installés, et profitant de ce que l’animal en bois ne réfléchit pas, la porte est libre pour la création infinie de terroristes jetables à la bonne heure. Il n’est pas dit, néanmoins, que le procédé dure et fasse encore des émules sur la scène internationale. Il est évident que ces pauvres enfants d’immigrés délaissés par leur pays de naissance, et leur pays d’origine cesseront d’être les victimes expiatoires de l’hypocrisie des grandes nations, qui, au lendemain de grands attentats, se retrouvent tous ensemble à communier, comme si de rien était. Nous ne verrons plus les Bush, Sarkozy, Hollande, avec les princes arabes, et les Saoud, ainsi que tout le gotha mondial, converger vers l’autel du pardon et de l’absolution comme s’ils n’étaient responsables de rien, et que toute la faute incombait à ces jeunes de banlieue. Car il existera une justice immanente, pour ces âmes instrumentées par les grands de ce monde, pour ces enfants et adolescents pris dans les rouages de la finance capitaliste et djihadiste, et abandonnés de tous. Il n’est pas dit, en effet, que ce jeu pervers continue plus longtemps. Car la ruse de Dieu se met progressivement en place et lèvera le voile sur les véritables protagonistes de la fausse daechisation du monde. Alors, le rideau se lèvera définitivement, et on verra dans toute sa splendeur le spectacle d’un monde réel autrement plus dangereux que celui de la blogosphère et des médias sensationnalistes. Dieu ordonnera cette fois une justice impitoyable contre les manipulateurs de la foi, grandes puissances du mal, ayant brisé la vie de milliers d’innocents arabes ou occidentaux. Cette fois-ci, ils ne pourront échapper à leur destruction mutuelle, car la ruse de Dieu aura été telle qu’ils n’auront pas perçu que leurs armes létales se retourneront immanquablement contre eux-mêmes, selon ces mêmes mots de Dieu : Yakidouna kaidan, Akidou kaidan.
Dr Arab Kennouche