Trois anciens responsables du renseignement français pointent du doigt les décideurs politiques
Trois anciens hauts responsables des services des renseignements français rendent les responsables politiques de leur pays indirectement responsables de la vague de terrorisme qui s'abat sur la France où règne un véritable climat de psychose. On sent, finalement, une profonde dichotomie entre les décideurs politiques français et les responsables des différents services secrets, qui serait à l’origine des dysfonctionnements relevés par de nombreux observateurs à l’occasion des derniers attentats de Paris. Ce qui a fini par faire sortir certains anciens responsables de leur réserve. Ainsi, après Yves Bonnet, l’ancien patron de la DST, et Alain Chouet, ancien officier de la DGSE, qui se sont exprimés cette semaine dans Algeriepatriotique,c’est au tour de l’ex-directeur central du renseignement intérieur français (DCRI), Bernard Squarcini, de reprocher aux autorités politiques de son pays leur passivité coupable dans la gestion de la lutte antiterroriste. Dans une déclaration à l’hebdomadaire Le Point, Squarcini a révélé que l’actuel Premier ministre et ancien ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, «pour des raisons idéologiques», lui avait refusé, il y a deux ans, la liste de «djihadistes» français engagés en Syrie qui lui avait été remise par les services de renseignements syriens. Paris se refuserait, à ce jour, à toute idée de coopération avec Damas. Pour cet ancien chef du contre-espionnage, qui a déjà mis en garde contre certaines failles dans la surveillance de la filière djihadiste, il est clair que les services français «paient les conséquences de certaines décisions politiques». «Comme M. Hollande traite Bachar Al-Assad de tous les adjectifs, les services syriens ne veulent plus coopérer avec les services français», regrette Bernard Squarcini qui en tire cette conclusion lourde de sens : «Sans ces errements idéologiques, dit-il, peut-être pourrions-nous éviter que des drames se produisent.» Cette conclusion recoupe avec le constat fait par l’ex-patron de la DST, Yves-Bonnet : «Des mesures à long terme comme un renforcement de la coopération avec les services amis (…) et le rétablissement du service militaire sont des armes de bon rapport. Il va falloir (…) tirer, sur le plan de notre diplomatie, des enseignements définitifs : la France n'a pas à s'immiscer dans les affaires des autres pays, comme nous l'avons fait en Libye. Elle doit, par contre, bien choisir ses partenaires et ses amis», a-t-il déclaré à Algeriepatriotique. Or, il est établi chez tous les hommes de renseignement qu’une entraide entre tous les services secrets du monde (donc y compris syriens) est de mise dans la lutte antiterroriste, nonobstant les positions politiques ou idéologiques des régimes en place.
Les amalgames ont commencé avec Mitterrand et Balladur
Pour le cas de la France, son interventionnisme débridé dans certains pays du Sud a eu comme résultat, non seulement de ternir son image de «pays des Lumières», mais surtout de permettre au mouvement obscurantiste de poursuivre son expansion et d’accroître ainsi les risques d’instabilité et d’insécurité dans la région. L’attitude de la France officielle vis-à-vis de la décennie noire en Algérie illustre parfaitement cette dérive dangereuse dont les Français recueillent les fruits aujourd’hui. On se souvient du fameux sermon du président de gauche François Mitterrand, en janvier 1992 : «Il faut rétablir le processus démocratique !», qui a inspiré au Premier ministre de droite, Edouard Balladur, une autre périphrase tout aussi vénéneuse qui en disait long sur l’idée de coopération que se faisaient les dirigeants politiques français : «J'ai dit au général Zeroual», avait-il affirmé avec arrogance, dans un documentaire sur le détournement de l'Airbus en 1994, en parlant du chef de l'Etat algérien de l'époque. Balladur insinuait que Zeroual était le «chef d’une junte militaire». Sans oublier l’hébergement sur le sol français et la protection des extrémistes du FIS «opprimés en Algérie». Alain Chouet, dans son interview à notre site, rappelle que la guerre à laquelle est confrontée la France «n’a pas été déclarée aujourd’hui». «Elle existe, a-t-il dit, depuis que les Occidentaux ont toléré, et parfois encouragé, l’existence de bandes armées salafistes et elle continuera tant que nous ne les aurons pas éradiquées par une démarche collective et résolue, associant étroitement nos partenaires des pays arabes et musulmans dont les dirigeants ne pratiquent pas une lecture néo-hanbalite du Coran». Seront-ils entendus cette fois-ci ?
R. Mahmoudi