Une délégation houthie reçue à Paris : la France est en train de lâcher l’Arabie Saoudite

Les attentats terroristes du 13 novembre 2015, une série de fusillades et d’explosions à Paris et Saint-Denis, provoquant la mort de 130 personnes et revendiqués par Daech, ont provoqué une onde de choc dont les conséquences commencent à se faire sentir sur la politique de l’Elysée au Moyen-Orient et le conflit au Yémen. Pour preuve, et c’est une première, une délégation d’Ansar Allah a été reçue au Quai d’Orsay ! Comme quoi ce qui n’est pas bon à Paris ne peut l’être à Sanaa. La France, un des principaux soutiens de l’Arabie Saoudite dans la guerre qu’elle conduit contre le Yémen depuis le 26 mars à la tête d’une coalition arabe, laquelle a déjà fait plus de 5 000 victimes dont la majorité sont des civils, commence à réviser ses positions sur ce conflit, qu’elle expliquait jusque-là comme une riposte de la puissance saoudienne (sunnite) à une expansion des «Houthis» (chiites) soutenus par l’Iran. La France et l'Arabie Saoudite, liées par d’importants contrats d’armements, ont signé en octobre dernier des contrats et des lettres d'intention pour un montant d’environ dix milliards d'euros, en marge d'un forum d'affaires franco-saoudien à Riyad. Ces contrats ont porté notamment sur les secteurs de l’armement (30 patrouilleurs), les satellites, le maritime et l'énergie. Selon le site yéménite yamanyoon.com,une délégation du comité révolutionnaire d’Ansar Allah (houthis), a été reçue dernièrement par le chef adjoint du département Moyen-Orient et Afrique du Nord au ministère français des Affaires étrangères, et ce, à l’invitation de la partie française. Lors de la rencontre, la délégation yéménite a informé les autorités françaises sur «les crimes brutaux commis par l’Arabie Saoudite dans la guerre d'agression contre des civils yéménites ainsi que par des organisations terroristes soutenues par l'agression». La délégation, qui a demandé au gouvernement français «d'intervenir pour faire cesser l'agression et le blocus du peuple yéménite», a souligné «l'importance du dialogue national entre toutes les parties yéménites loin de l'intervention étrangère». Pour sa part, le chef adjoint du département Moyen-Orient et Afrique du Nord au ministère français des Affaires étrangères a souligné «la nécessité de la paix au Yémen, tout en condamnant toute violation du droit international», ajoutant que la «France soutient une solution pacifique et les efforts des Nations unies à cet égard» dans le conflit yéménite. Selon le chercheur et activiste politique yéménite Ismail Mohamed Al-Wajih, de passage à Alger, les changements de la position française étaient prévisibles après les attentats sanglants de Paris. Cette réunion au Quai d’Orsay est «porteuse de plusieurs messages, dont le plus important est que la France procède à une reformulation de ses alliances internationales en général et arabes en particulier». Cette nouvelle position, estime-t-il, «rapproche la solution politique au Yémen», comprenant «un amoindrissement du rôle des forces islamiques qui soutiennent les idées extrémistes» et «un renforcement des forces opposées à l'intervention de l’Arabie Saoudite dans les affaires intérieures yéménites et qui lui donnaient l’occasion de soutenir les islamistes». Selon la même source, la délégation du comité révolutionnaire devra se rendre dans d’autres pays européens, dont la Suisse et l’Italie, mais la date n’a pas encore été encore fixée. Plusieurs pays membres de l’Union européenne ont appelé à la fin de la guerre au Yémen et appelé à une solution politique. Federica Mogherini, qui participait à une réunion commune de l'Union européenne et du Conseil de coopération du Golfe à Doha, en mai dernier, avait souligné que «l’unique issue à la crise au Yémen est politique» et appelé «toutes les parties yéménites» à assister aux négociations de Genève et «faire preuve de bonne foi». Si les appels au changement de la politique extérieure française au Proche-Orient et notamment son soutien à la coalition saoudienne au Yémen n’étaient pas très audibles jusque-là, les attentats de Paris du 13 novembre ont changé la donne. «L’engagement militaire saoudien au Yémen depuis mars 2015, soutenu par la diplomatie française, apparaît à cet égard bien problématique dans la mesure où il amène à renforcer les positions djihadistes», a souligné Laurent Bonnefoy, politologue français, chargé de recherche au CNRS. «Certes, corriger quatre décennies de politique étrangère exigera du temps et de l’énergie, tout comme le retissage des liens sociaux à l’intérieur, mais rien n’est plus désastreux que le déni.» Pour Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, dans une interview à RT France, sur les enjeux du revirement français au Moyen-Orient, perceptible bien avant les attentats, est lié aux intérêts économiques et les changements géostratégiques dans la région. «Dans l'affaire syrienne, si l'Iran avait été un meilleur client, on n'aurait pas eu la même position sur la Syrie. Maintenant que les sanctions commencent à être levées sur l'Iran, que les chefs d'entreprise français se précipitent à Téhéran, que l'Arabie Saoudite, du fait de la baisse du pétrole, achète moins, on commence à réajuster notre politique étrangère vis-à-vis de l'Iran pour bénéficier de l'ouverture de son marché. Cela nous oblige aussi à évoluer sur la Syrie. Quand Fabius s'est rendu en Iran, il a été fraîchement reçu : on lui a fait comprendre que si la France voulait bénéficier de quelques contrats, elle devait changer de position vis-à-vis de l'Iran et de ses alliés dans la région». La politique de Laurent Fabius anti-Assad, alignée sur Riyad, Doha et Ankara, «qui nous a permis d'avoir pas mal de contrats à Riyad», aujourd'hui «n'est plus tenable», souligne Fabrice Balanche. «Les Saoudiens eux-mêmes, après le deal sur le nucléaire iranien, ont fait contre mauvaise fortune bon cœur. Surtout qu'ils sont tétanisés par la guerre menée au Yémen et que la Syrie leur semble maintenant secondaire. La politique d'Erdogan joue aussi avec le feu. Hollande a fini par comprendre que la politique de Fabius mène à une catastrophe, d'autant que plusieurs voix au PS commencent à le dire à voix haute.» Jacques Attali, assistant en chef de l’ancien président français François Mitterrand, va plus loin et affirme que «l’Occident doit cesser de s’opposer à la Russie, à l’Iran et même à la Syrie pour pouvoir lutter contre le terrorisme». Il ajoute que «cette reconstruction des termes du défi terroriste ne peut toutefois faire l’économie d’une sérieuse réflexion sur le rôle de la France à l’échelle internationale et sur ses alliances, avec Israël notamment tant qu’il poursuivra sa politique répressive à l’égard des Palestiniens et sa stratégie de colonisation».
Houria Aït Kaci
Journaliste
 

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