L’erreur de trop ?
Par Rabah Toubal – En donnant l'ordre à la chasse turque d'abattre sans sommation le Sukhoi-24 russe, qui aurait violé pendant 17 secondes l'espace aérien de son pays, en franchissant d'un kilomètre la frontière syro-turque, Recep Tayyip Erdogan, le bouillonnant président turc, aurait-il commis «l'erreur de trop», dont les «conséquences seront terribles pour la Turquie», dixit le président russe, Vladimir Poutine ? Sans aucun doute ! D'autant plus que cette agression, qui constitue un acte de belligérance caractérisé, intervient au moment où la Russie, sous de fortes pressions en Ukraine, a marqué de nombreux et précieux points en Syrie où l'Otan patauge, pour ne pas dire s'enlise, à cause des calculs, de l'improvisation et de l'amateurisme des uns et des autres de ses membres, plus ou moins divisés. Quelles que soient les raisons qui ont motivé ce geste extrêmement grave, la Turquie n'avait aucun intérêt à ce que ses relations avec la Russie voisine, globalement bonnes sur plusieurs plans, s'enveniment. A qui profite donc la vive tension qui pèse aujourd'hui sur les relations turco-russes ? Le président Erdogan, dont la politique étrangère s'avère un fiasco, notamment concernant la Syrie et la Libye, où son pays s'est aligné sur les positions non moins désastreuses du Qatar et de l'Arabie Saoudite, qui s'érigent en défenseurs des sunnites syriens, «massivement massacrés» par la minorité alaouite (proche des chiites) qui dirige la Syrie depuis plus de trente ans, à travers notamment les Assad père et fils. Pour atteindre leurs objectifs, la Turquie, le Qatar, l'Arabie Saoudite et leurs alliés, certainement en étroite coordination avec les Etats-Unis, arment et financent les différents groupes terroristes islamistes, qui opèrent en Syrie où ils ont pénétré essentiellement par la frontière turco-syrienne. Affaibli sur le plan interne par la guerre féroce qu'il mène contre le Parti des travailleurs kurdes, le PKK, et l'opposition sans concession des laïcs kémalistes, soutenus par l'armée turque, dont il n'a cessé d'humilier la direction, depuis son accession au pouvoir en 2002, Erdogan, «l'islamiste éclairé», père du «miracle économique turc», a-t-il été piégé par ses nombreux ennemis internes et externes, qui l'ont mis dans de beaux draps avec l'affaire du Sukhoi-24 russe ? Erdogan a-t-il agi seul ou en coordination avec ses alliés de l’Otan et, notamment, les Etats-Unis qui auraient laissé s'enliser cet allié devenu encombrant ? La déclaration du secrétaire général de l'Otan, qui s'est empressé d'abord d'appeler la Turquie et la Russie au calme avant de réitérer timidement le soutien de l'organisation atlantique à Ankara, conforte cette lecture. Au lieu, donc, de se ressaisir en présentant les excuses demandées légitimement par la Russie et d'accepter de réparer le dommage causé à ce pays afin de tourner au plus vite cette page sombre, Erdogan s'est contenté d'exprimer des regrets et de fournir des explications alambiquées pour faire croire que l'armée de l'air turque ne connaissait pas l'identité de sa cible. Cet acte hostile et les déclarations intempestives des autorités turques qui l'accompagnent, dans le cadre d'une dérive dictatoriale que la Turquie est en train de subir ces dernières années, constituent-ils une nouvelle maladresse dont Erdogan n'a sans aucun doute pas mesuré toutes les retombées négatives sur son pays, son parti, l'AKP, et sa carrière politique ? En tout état de cause, la Turquie est en train de perdre une à une les avancées qu'elle a engrangées durant les deux dernières décennies sur les plans politique et économique. Le compte à rebours a-t-il commencé pour Erdogan et son ambition présidentialiste ? L'issue du bras de fer engagé entre le descendant d'Ivan le Terrible et celui de Soliman le Magnifique sera déterminante pour l'un comme pour l'autre.
R. T.
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