Inquiétante désinvolture
Par Kamel Moulfi – C’était la pagaille, la bagarre, hier à l’APN, tous les commentateurs ont rapporté presque dans les mêmes termes cette information. Mais sur les chaînes de la télévision publique, le président de cette institution n’a pas semblé condamner l’action d’envahissement de la tribune où se trouve sa place, et, mieux, le ministre des Finances n’a pas perdu son sourire, mettant ce désordre sur le compte de la liberté d’opinion et d’expression. Un peu plus, il aurait parlé de chahut de gamins. Une telle désinvolture face à un événement aussi grave n’a rien de rassurant. On peut comprendre Benkhalfa, s’il pense que l’action spectaculaire des députés de l’opposition amplifiée par la médiatisation «en direct» assurée par les télévisions et les sites d’information privés était une façon d’attirer l’attention du président Bouteflika, voire de l’interpeller sur la dérive véhiculée par la loi de finances 2016. Une partie de l’opposition continue de considérer le Président comme non impliqué dans ce genre de décisions. Dans cette version des faits, ce serait un groupe, qualifié d’oligarque, qui a pris les commandes de la politique économique et sociale du pays. C’est l’explication fournie par les animatrices du groupe des 19-4, Louisa Hanoune et Khalida Toumi. Et ce groupe a décidé que c’est à la population de payer le prix de la crise, et non pas aux fraudeurs à l’importation, champions de l’évasion fiscale et de la fuite de capitaux. Face au déchaînement de l’opposition en plein hémicycle, la meilleure attitude pour Benkhalfa était donc de minimiser les faits. Car sans se faire trop d’illusions, il reste le passage par le Sénat puis la signature du Président avant la promulgation du texte au journal officiel. Certes, il faut être un vrai rêveur pour s’attendre, d’ici là, à un retournement de situation, c'est-à-dire à une prise en compte du point de vue de l’opposition qui estime que ce texte consacre l’abandon du caractère social de l’Etat, c'est-à-dire d’une constante sacrée. Mais, sait-on jamais, l’article 127 de la Constitution permet au président de la République de «demander une seconde lecture de la loi votée, dans les trente jours qui suivent son adoption. Dans ce cas, la majorité des deux tiers (2/3) des députés à l'Assemblée populaire nationale est requise pour l'adoption de la loi». En dehors de cette éventualité, envisageable selon le schéma du groupe des 19-4, la loi qui a été votée hier sera promulguée. Gouvernement et majorité présidentielle sont, en même temps, confortés par le fait que la population est indifférente à ce tintamarre. Personne, dans la rue, n’a jamais cru à l’action parlementaire et les gens ont leurs propres formes de protestation – la grève et les manifestations de rue – pour faire valoir leurs revendications et obtenir satisfaction, et jusqu’à maintenant «ça marche» : logements sociaux, augmentations salariales, prêts bancaires. Le gouvernement a toujours été obligé d’acheter la fameuse paix sociale pour éviter les troubles qui menacent le pouvoir. Sera-t-il empêché par cette loi de finances de continuer à le faire ? Les subventions qui permettent aux pauvres, auxquels s’ajoute la partie défavorisée des couches moyennes, de bénéficier des produits de première nécessité et des services publics de base seront-elles facilement supprimées ? Dans la dure lutte de clans qui se déroule sous les yeux des observateurs, mais loin du peuple, le bradage des entreprises publiques sera-t-il plus aisé qu’avant ? Dans le climat actuel d’incertitudes, la suite des événements nous le dira.
K. M.
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