Contribution de Mohammed Dahlan – La Palestine aux côtés des Lumières et jamais de l’obscurantisme
Parce que la cause palestinienne est directement ou intrinsèquement liée à toutes les crises qui agitent le Proche-Orient depuis des lustres, parce que le conflit israélo-arabe demeure la principale faille géologique des futures secousses géopolitiques, parce que la tragédie palestinienne reste au cœur du ressentiment islamique et qu’elle catalyse toutes les rancœurs, les amertumes, les illusions et désillusions du monde musulman, parce qu’elle constitue une blessure palestinienne jamais cicatrisée et une humiliation arabe jamais surmontée, parce qu’à cette cause que nous avons toujours voulu profane, Jérusalem confère une dimension religieuse et même eschatologique irréductible, les nouvelles générations de fanatiques et de terroristes s’en servent dans leur logomachie nauséabonde et dans leur idéologie théocratique pour donner un sens à leur nihilisme et un alibi à leur barbarie, dont la dernière cible fut Paris et son innocente population. Que cela soit clair tout aussi bien pour les criminels qui ont commis ce carnage que pour les opportunistes de tous bords qui escomptent en tirer le moindre bénéfice politique : ces individus ne défendent pas la cause palestinienne, mais en sont les pires ennemis et la plus affligeante souillure. Lorsque l’obscurantisme frappe les Lumières, les Palestiniens n’hésitent pas à choisir leur camp et à manifester leur compassion et leur solidarité totale à l’égard de cette France qui nous a toujours soutenus dans notre longue lutte pour notre indépendance et notre liberté. Je le dis avec d’autant plus de force et de conviction que j’entends certaines voix israéliennes et certains de leurs relais médiatiques en France établir des liens entre le terrorisme qui a frappé le pays des droits de l’Homme le 13 novembre dernier et le «terrorisme» dont ils disent souffrir et qui concerne le dernier pays colonialiste de la planète. Voyez-vous ce que nous subissons depuis des années, comprenez-vous maintenant notre intransigeance face au terrorisme, suggèrent-ils à ce bon peuple français qui n’a pas encore fini d’enterrer ses 130 morts. Outre l’imposture historique et politique d’un tel rapprochement, cette attitude dénote la conception sioniste de la morale et de l’éthique. Et plus encore, l’opportunisme machiavélique et l’outrecuidance du gouvernement Netanyahou. Etablir des liens de causalité entre la barbarie qui vient de frapper une seconde fois la capitale française et ce qui se passe dans les territoires palestiniens occupés par Israël relève effectivement de l’escroquerie intellectuelle et de l’insolence politique. Car il y a bien d’une part des hordes intégristes qui cherchent à semer la terreur au sein d’une population paisible et dont le but ultime est la destruction d’une civilisation française porteuse de valeurs universelles qui sont aux antipodes de l’idéologie néo-fasciste de ces hordes, et d’autre part un peuple palestinien qui est privé, depuis 1948, de son droit à l’existence et qui lutte pour sa liberté et son autonomie au nom de ces mêmes valeurs universelles que la France incarne. N’en déplaise aux sophistes et aux opportunistes, c’est parce qu’il aime la vie et chérit la liberté que le Palestinien, contraint et forcé, accepte la mort. Ceux qui ont frappé la France dans son cœur palpitant de culture, d’humanisme, de tolérance et de liberté n’ont quant à eux que la haine pour emblème, la mort comme culture et l’intolérance comme «vertu». L’islam qu’ils prétendent défendre et la cause palestinienne dont ils simulent la sympathie ne sont pour eux qu’un faire-valoir pour galvaniser les passions, endoctriner les ignorants et propager leur idéologie mortifère. A l’inverse du terrorisme aveugle et nihiliste de Daech, Al-Qaïda, Al-Nosra… qui recrute beaucoup plus dans les banlieues françaises, belges et britanniques qu’à Ramallah ou à Gaza, la cause palestinienne est moralement noble et politiquement légitime à tout point de vue. Tant au regard des injonctions onusiennes qu’Israël méprise depuis un demi-siècle que selon la Déclaration française des droits de l’Homme et du citoyen suivant laquelle «tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit» et qui énonce en son article 2 le droit à la résistance à l’oppression. C’est au nom de ce droit imprescriptible et universel que sous la conduite du général de Gaulle, certains Français ont mené un combat glorieux contre l’hydre nazie jusqu’à la libération de Paris qui est en deuil aujourd’hui. Qu’ils s’appellent Moulin, Aubrac, Camus ou Hessel…, tous ceux qui ont mené la lutte armée contre le nazisme et le pétainisme n’étaient pas des terroristes, mais des résistants. De même que le combat que nous menons contre le colon israélien n’est pas religieux, mais résolument profane, l’Etat auquel nous aspirons n’est pas califal, théocratique, totalitaire et sectaire, comme c’est le cas de Daech, mais républicain, démocratique, séculier et multiconfessionnel. Il le restera ainsi malgré les tentatives de subversion islamistes qui sont du reste approuvées par certains stratèges israéliens, et tant que la conscience nationale palestinienne sera marquée par l’esprit de son leader inégalable, Yasser Arafat. Ce dernier croyait ardemment à une paix équitable et durable avec Israël, mais cet espoir s’est envolé avec l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un «daéchien» israélien. Le moment est sans doute au deuil et au recueillement par respect aux victimes françaises lâchement assassinées par les mercenaires de Daech, mais il est aussi à la prise de conscience collective et à la remise en cause de certains choix politiques et géopolitiques qui ont conduit à ce désastre. Nous l’avons dit en février dernier à l’Assemblée nationale française et récemment encore à Bruxelles devant les représentants de l’Otan, Daech n’est pas une création miraculeuse d’Allah, mais la résultante de la politique stupide et cynique de l’Occident. Cet «Etat» moyenâgeux s’est établi sur les décombres de deux pays modernes et à la civilisation multimillénaire : l’Irak et la Syrie. Le premier a été détruit par les néoconservateurs américains et le second, dans la foulée hystérique du «printemps arabe», par les entrepreneurs des droits de l’Homme et les promoteurs de l’islamisme «modéré». Daech s’est étendu jusqu’au Maghreb où il contrôle de larges territoires de la défunte Libye, dont on a éliminé le guide illuminé, mais sans assurer à son peuple une transition pacifique et démocratique. N’eût été le sursaut patriotique de son élite et de son peuple, l’Egypte serait aujourd’hui sous le joug des Frères musulmans, la cellule mère de l’Internationale islamiste dont Daech n’est que l’une des ramifications idéologiques. Les mêmes Etats occidentaux ont abrité des années durant les figures emblématiques des Frères musulmans et laissé prospérer dans leurs villes et cités un islamisme fanatique et conquérant qui n’est pas du tout celui de la majorité des musulmans d’Europe. C’est de ce terroir et de ces territoires délaissés par la République que sont partis des dizaines et des centaines de terroristes pour faire le djihad en Syrie. Parce que le phénomène est à la fois endogène et exogène et que la menace est devenue globale, la réaction doit être immédiate, stratégique et multilatérale. Les mesures sécuritaires prises par les gouvernements français et belge sont à la hauteur du défi à relever ; et l’appel du président Hollande de constituer une large coalition militaire aux côtés des forces aériennes russes est une décision sage et pragmatique. Mais l’éradication de Daech ne sera pas possible sans une mise en garde ferme et résolue à l’adresse des pays compromis dans le financement et le soutien logistique à cette organisation criminelle et barbare devenue «Etat».
Mohammed Dahlan
Ancien député et ministre chargé de la Sécurité au sein de l’Autorité palestinienne.