Interview – Jean-Loup Izambert : «Si le DRS avait été écouté il n’y aurait pas eu d’attentats à Paris» (II)
Algeriepatriotique : Vous dites que les services secrets américains veulent déstabiliser l’Algérie et que l’un de leurs principaux collaborateurs est Anouar Haddam, réfugié aux Etats-Unis. Sur quoi vous basez-vous pour affirmer cela ?
Jean-Loup Izambert : Tout d’abord, Anouar Haddam est l’un des contacts privilégiés de l’administration étasunienne dans les pays du Maghreb. Issu d’une famille de notables, formé dans les universités étasuniennes, il est très proche d’Ali Benhadj, le cofondateur du FIS – avec Abassi Madani – et l’un des propagandistes de la «lutte armée». Je rappelle qu’Anouar Haddam qui pose aujourd’hui en costume-cravate depuis Washington fut aussi le porte-parole du GIA qui a plongé l’Algérie dans un bain de sang. Washington lui attribua un quasi-statut diplomatique qui, selon un haut fonctionnaire, lui permet de «camper littéralement au département d’Etat et dans les bureaux des membres du Congrès». Faisant référence à un rapport de cent vingt pages édité en 1995 par la Rand Corporation – un centre de recherches officieux de la CIA – et rédigé par Graham E. Fuller sur l’intérêt de promouvoir les mouvements islamistes dans les pays arabes, mon confrère journaliste Richard Labévière donne un éclairage inattendu sur le dirigeant du FIS dans son investigation publiée sous le titre «Les dollars de la terreur» : «A travers l’exemple algérien, Fuller se prononce sur la « nature » de l’islamisme, « conflit de basse intensité » par excellence, dont la configuration correspond aux priorités du Pentagone (…) Se félicitant de voir les islamistes algériens privilégier l’apprentissage de la langue anglaise par opposition au français, Fuller insiste principalement sur les enjeux économiques indiquant notamment que « le FIS accueillerait avec plaisir tout investissement privé américain en Algérie et entreprendrait des relations commerciales avec les Etats-Unis ». (…) Selon plusieurs notes d’orientation, la CIA considère que le FIS et le Refah turc ne sont pas hostiles à un engagement accru de l’Otan en Méditerranée.» L’essentiel des perspectives ouvertes par ce rapport sont le fruit de rencontres et discussions que Fuller et d’autres membres de la CIA ont régulièrement menées avec Anouar Haddam, président de la délégation parlementaire du FIS à l’étranger, exilé aux Etats-Unis depuis 1992. (…) Par son intermédiaire, plusieurs contrats importants ont été signés entre des financiers algériens et des firmes américaines, notamment dans le secteur de l’agroalimentaire.» De plus, alors que le réfugié Haddam rencontre régulièrement ses interlocuteurs de la CIA, celui-ci assure également des liaisons avec des groupes terroristes. Richard Labévière rapporte ainsi qu’«Anouar Haddam connaît aussi l’aile « internationaliste » du FIS qui, avec l’aide des vétérans algériens de la « guerre sainte » d’Afghanistan, lanceront les premières attaques revendiquées par les Groupes islamistes armés (GIA) à l’automne 1994. Selon plusieurs sources autorisées, Anouar Haddam assure la liaison entre le FIS et le GIA, et c’est par son intermédiaire que ces derniers auraient reçu les consignes d’épargner l’infrastructure énergétique et la main-d’œuvre américaine opérant en Algérie». C’est la raison pour laquelle je m’interroge sur le fait de savoir si Anouar Haddam est le représentant de groupes terroristes auprès de la CIA ou l’envoyé de la CIA auprès des mêmes groupes armés qui combattent «le grand Satan» en… l’épargnant ! Par ailleurs, il faut dire également que dès la période d’interdiction du FIS, début mars 1992, Haddam et quelques autres vont se réfugier chez leur «employeur», aux Etats-Unis, et bénéficier également de protections du gouvernement français, y compris pour se livrer à des activités politiques en France contre la République algérienne. A la même époque, le ministre français Kouchner se plaignait officiellement des conditions de détention des assassins du FIS et de ses groupes armés emprisonnés en Algérie. Et toujours à la même époque, des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères s’efforçaient de favoriser l’accès des islamistes aux médias officiels français. Je reviendrai du reste sur cet aspect des relations franco-terroristes dans le tome 2 de 56qui sera publié avec le sous-titre Mensonges et crimes d’Etat.Anouar Haddam, qui se donne aujourd’hui des allures de grand démocrate, déclarait en 1995, depuis les Etats-Unis qui l’hébergent, «soutenir fermement la lutte armée en Algérie (…) comme un moyen». Depuis, à chaque fois qu’une élection est organisée en Algérie, il sort de son exil doré, tantôt pour annoncer qu’il a créé un parti pour la justice et le développement, tantôt pour se présenter comme le dirigeant d’une prétendue «opposition démocratique». Washington lui accorde un rôle de guignol et le remet en scène à chaque campagne électorale pour distraire les Algériens. Mais rien n’effacera le sang des crimes qu’il a soutenus contre le peuple algérien.
Vous parlez d’un plan des Frères musulmans adopté dans tous les pays du Maghreb et dont l’objectif était de déstabiliser les pays de cette région, mais que ce plan a échoué en Algérie. Pourquoi a-t-il échoué ?
Le plan de prise de pouvoir des Frères musulmans appliqué à tous les pays du Maghreb repose sur la terreur et la fabrication de «martyrs» par des assassinats planifiés. J’en décris les principales étapes dans 56et sa mise en application avec le soutien des services occidentaux et des dictatures du Golfe. Celui-ci a échoué en Algérie principalement grâce à trois facteurs : la grande mobilisation du peuple algérien dans toutes les principales villes contre le terrorisme, la loyauté de l’armée à la République algérienne et l’efficacité du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), très certainement le plus moderne des services de renseignement des pays du Maghreb. A ce sujet, je dois rappeler qu’en octobre dernier, le DRS a transmis une liste de plusieurs noms de «radicaux» français d’origine algérienne et maghrébine qui sont en contact avec les combattants algériens de l’Etat Islamique. Il a également recueilli des informations très précieuses sur les plans de l’organisation terroriste et ses relais dans plusieurs pays d’Europe occidentale. Les renseignements recueillis par les agents du DRS ont également permis d’établir une liste nominative des «frères» originaires de France, dont des jeunes issus des banlieues, qui arrivent dans les aéroports algériens pour rallier ensuite des centres de formation «théologique» du courant salafiste. En pistant leurs filières, ils ont constaté que ceux-ci retournent en France après avoir amélioré leur arabe et leur connaissance de la religion. Plusieurs d’entre eux ont été repérés par le DRS en Syrie ou à la frontière turco-syrienne. Dans sa note à la DGSE, le DRS avait notamment signalé les agissements suspects d’Omar Ismaïl Mostefaï, l’un des kamikazes français du Bataclan. La radicalisation de cet individu avait été signalée par les services algériens lors de ses séjours répétés en Algérie auprès de sa famille. Dans la note qu’il avait transmise à la DGSE, le DRS avait également alerté ses homologues français sur un fort risque d’attentats terroristes dans la région parisienne au niveau des «centres abritant de grands rassemblements de foule». La DGSE n’a visiblement pas tenu compte de ces informations qui auraient permis d’éviter les attentats. De même, en 2013, une alerte des services secrets syriens avait été refusée par le Premier ministre Manuel Valls, au prétexte qu’elle venait de Damas. Cela étant dit, l’Etat algérien doit se moderniser, donner toute sa place à la citoyenneté, développer et moderniser ses infrastructures publiques par des financements importants. C’est, à mon avis, une impérieuse nécessité pour que la jeunesse algérienne s’engage dans les secteurs décisifs de la santé, de l’éducation, de la recherche et du développement économique. Cette bataille pour l’emploi et la modernité redonnera ses couleurs à la révolution algérienne et éradiquera les racines du terrorisme que les Occidentaux nourrissent. L’Algérie dispose des moyens humains et financiers pour aller de l’avant et jouer un rôle moteur sur le continent africain et bien au-delà. N’en a-t-elle pas déjà donné l’exemple dans le passé, dans les années soixante-dix, sous la direction de Houari Boumediene ?
Vous êtes le seul journaliste à avoir pu accéder au meeting de l’ex-FIS à Paris en mars 1992. Pouvez-vous apporter quelques éclairages sur cette période ? Quelles étaient les relations cachées de ce parti extrémiste ? Ses bailleurs de fonds, etc.
Comme vous le savez, la chambre administrative de la cour d’Alger a prononcé le 4 mars 1992 la dissolution du FIS. Ses principaux dirigeants, arrêtés, doivent alors répondre de différents crimes et de conspiration armée contre l’Etat. De 1992 à 2000, des criminels de cette organisation et de celles qui lui sont proches, soutenus par l’Arabie Saoudite et le Qatar, assassinent plus de cent mille personnes (militaires, fonctionnaires, intellectuels, militants communistes, journalistes, syndicalistes, artistes, femmes). Près d’un million d’autres seront victimes de leurs exactions. Pourtant, ce même mois de mars, Anouar Haddam et Saïd Hilali, deux des principaux dirigeants du FIS, se rendent en France sans aucune difficulté avec l’objectif d’établir des contacts avec des parlementaires et les médias. Anouar Haddam présidera même le premier meeting organisé en Europe par l’association Fraternité algérienne en France (FAF) alors dirigée par Djaffar El-Houari. Moussa Kraouche, le porte-parole du FIS en France, sera l’un des organisateurs de cette réunion. Cette manifestation se déroule le 29 mars 1992 dans les locaux de la cité universitaire d’Antony, dans les Hauts-de-Seine, en région parisienne. Des représentants du mouvement des Frères musulmans tunisiens, dont plusieurs sont recherchés par Interpol et soustraits par les autorités françaises aux demandes d’arrestation de l’organisation internationale de la police criminelle, y participeront également comme invités. Prenant la parole à cette réunion publique, Anouar Haddam a appelé à «renverser tous les régimes du Maghreb (…) le FIS s’est donné pour cible le pouvoir en place». Le ministre de l’Intérieur est alors le «socialiste» Philippe Marchand. Trois ans plus tard, le 30 janvier 1995, depuis les Etats-Unis qui l’hébergent, Anouar Haddam apporte médiatiquement son soutien à la «lutte armée». Ce jour-là, à Alger, boulevard Amirouche, un attentat à la voiture piégée visant le commissariat central fait trente-huit morts et près de trois cents blessés. Cet attentat est le premier d’une longue série avec des voitures piégées ciblant plusieurs quartiers d’Alger et qui feront des dizaines de morts et de blessés. Exception faite de la période où Charles Pasqua fut ministre de l’Intérieur (de mars 1993 à mai 1995), les principaux soutiens des groupes criminels agissant au Maghreb et dans les pays arabes laïcs furent les présidents Mitterrand, Sarkozy et Hollande et les ministres de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense du gouvernement Fillon et de tous les gouvernements «socialistes». Dans le tome 2 de 56,je nommerai les principaux d’entre eux impliqués dans ces protections comme dans le soutien logistique et militaire des groupes criminels qui répandent la terreur dans les républiques laïques arabes. Bien évidemment, ils sont nombreux, mais 56 d’entre eux, dirigeants et hauts fonctionnaires du renseignement civil et militaire, sont plus particulièrement concernés par ces relations franco-terroristes pour la période des années quatre-vingt-dix à ce jour. Ces relations suivies avec des dirigeants du FIS comme avec ceux d’autres organisations des Frères musulmans ont conduit la France en pleine illégalité internationale avec un président et plusieurs ministres coupables de crime d’agression, de crime de guerre et de crime contre l’humanité.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
Lire la première partie de l’interview
Commentaires