Une contribution du Dr Arab Kennouche – Portrait idéal type du futur président de la République
Il serait sans doute indécent, il faut le reconnaître, de voir dans certaines décisions politiques de haut niveau de simples erreurs de casting. Il est difficile, en effet, de se faire une idée d’un acte politique sans en connaître tous les aboutissants et loin du feu de l’action. Mais la distance qui nous sépare désormais de l’intronisation d’Abdelaziz Bouteflika est cette mesure nécessaire qui nous permet de voir un peu plus clair dans le rapport entre personnalité et exercice du pouvoir en Algérie. Pourquoi au tout début du XXIe, a-t-on préféré déterrer une classe de dirigeants de l’époque coloniale et postcoloniale plutôt que de confier les rênes du pouvoir à une équipe soudée de technocrates de haut rang qui aurait propulsé l’Algérie sur une voie plus féconde et plus sûre en termes de stabilité socioéconomique ? Pourquoi l’Algérie se tourne-t-elle irrémédiablement vers un passé stérile alors que des défis majeurs l’attendent en ce siècle de développement effréné ? Sans ôter tout l’intérêt et le sérieux de la question, il est utile de se remémorer les fameuses tirades de l’inspecteur Tahar et de son Apprenti qui dans leur délibération représentent ce qu’on pourrait nommer le syndrome d’une culture politique ancrée dans l’image de l’âne mort : celui qui a raison, l’Apprenti poursuit un âne mort selon l’inspecteur (Awa rak tebaâ hmar miyet!), tandis que celui qui a tort poursuit un âne vivant. Combien de fois s’est-on entendu dire, comme une vieille antienne, «qu’il n’y avait personne d’autre», «qu’il était le seul» capable de ramasser les morceaux d’une Algérie en déconfiture. En Algérie, ce réflexe psychologique perdure et rend difficile tout changement de cap sans un reniement profond de son identité politique. Certes, on ne peut nier l’expérience des anciens, mais ne pas comprendre la marche réelle du monde, et s’en tenir à l’âne mort dans la désignation des élites du pays sera un jour fatal à l’Algérie. Alors, comment devra être le futur président ?
Un président universitaire fin connaisseur des technocraties occidentales
Tous les grands dirigeants de ce monde, au moins ceux du Conseil de sécurité des Nations unies sont le produit de l’université. Ils ont des réflexes universitaires dans la façon d’appréhender l’action politique au sens où leur formation leur a donné un sens du monde basé sur une appréciation critique de l’événement politique. Poutine, Obama, Xi Jinping, Hollande, Cameron gardent toujours un sang-froid dans les pires moments de la conduite des affaires qui se veut «scientifique» et universaliste autant que possible. Ces grands dirigeants ne font étalage de leur puissance qu’à partir du moment où on la convoque, mais prennent soin de toujours tenir un discours rationnel et raisonnable sur les événements du monde : on peut comparer cela avec les déclarations incendiaires d’un Bouteflika ou d’un Saïdani, ou bien les amuse-gueule d’un Sellal forcé de faire le clown pour une bonne moitié du peuple. Bien entendu, il n’est pas question ici de lier le parcours intellectuel d’un individu à son talent politique, mais il reste que le critère d’une culture universitaire et scientifique est désormais plus que nécessaire à la gestion des affaires nationales et internationales. Avoir été coulé dans le moule universitaire, quelle qu’en soit la discipline, confère cette capacité à relativiser, juger et penser de façon critique et universelle dans un contexte mondialisé des plus complexes. Les enjeux de ce siècle sont ceux d’un savoir scientifique maîtrisé à tous les niveaux. Un homme qui n’aurait pas eu cette chance de fréquenter des lieux de savoir ne peut être sensible sur les questions de l’acquisition stratégique de diverses technologies d’une façon approfondie. Or, la fonction présidentielle appelle la compréhension du monde de la science aujourd’hui, bien plus qu’aux époques passées. Le futur président algérien ne pourrait se concevoir sans cette dimension universitaire, sous peine de poursuivre encore un âne mort. Surtout, il devra bénéficier d’une expérience professionnelle d’une bonne dizaine d’années au moins dans les pays de l’hémisphère nord industrialisé pour en connaître la culture économique et scientifique.
Un président dynamique, jeune, actif, âgé de moins de 60 ans
Tous les grands de ce monde sont des dirigeants d’un âge peu avancé. Ils donnent l’impression d’être en phase avec la jeunesse de leur pays à l’image d’un Vladimir Poutine, sportif, hyperactif, qui n’est jamais avare d’un bain de foule avec la jeunesse russe, et se soumet sans rechigner à des séances de questions-réponses par de chevronnés universitaires. Nous ne nous attarderons pas plus sur les effets d’une gérontocratie prolongée dans l’exercice du pouvoir et que les Russes nous ont donnés en exemple à ne plus suivre. Notre époque ne s’accommode pas des modes de gouvernance de la guerre froide : le rythme s’est accéléré dans la marche du monde et le tempo est donné en termes d’adaptabilité, de dextérité et de flexibilité. Il faut être jeune dans toutes les sphères de la société, et concevoir la sénilité comme une jeunesse avancée. Les grands dirigeants de ce monde affichent leur cinquantaine non pas comme un retour d’âge, mais comme une force indestructible, une tornade capable d’entraîner tout un pays dans la marche infernale du siècle. Positivité, enthousiasme, volonté de bien faire sont autant de qualités recherchées de présidents voués à l’hyperactivité. C’est que les bouleversements du monde se multiplient à un rythme infernal : le trône, le koursi n’existent pour ainsi dire presque plus ou virtuellement dans l’hémisphère nord. Chez nous, on y parvient pour ne plus le quitter et bien se reposer autour d’un bon plat de maman. Qui a vu un Abdelaziz Bouteflika en tenue sportive ou un Saïdani en jogging ?
Un président maîtrisant l’art de la communication délibérante
Le futur président ne devra plus se contenter de balancer au public des formules incantatoires comme Merlin l’Enchanteur le faisait pour réveiller la forêt. Au XXIe, il ne suffit plus d’endormir les récalcitrants, il faut encore convaincre du bien-fondé des mesures prises. Il faut remplacer la culture politique du règlement de comptes par tous les moyens par une stratégie communicationnelle qui prend en compte l’avis de la nation par corps interposés. La Russie est l’exemple phare de cette transmutation des valeurs, où l’ancien système de conditionnement et de contrôle des esprits a été brutalement remplacé par un dialogue pédagogique, démocratique, responsable entre les élites technocrates et le pouvoir institutionnel. Il faut désormais rendre des comptes, évaluer, faire des bilans intermédiaires et se soumettre au verdict de la nation pour obtenir ce fameux feed-back nécessaire à l’avancement des dossiers. Poutine a excellé dans cet exercice de partage de l’information, de remise en cause du pouvoir institutionnel d’une façon qui fasse droit à la critique responsable de la part de tous les acteurs concernés : Poutine s’est déplacé en personne dans les entreprises qui malmenaient leur personnel contre la loi, en poussant à des négociations forcées mais justes. En exposant le travail du gouvernement dans ses aspects insuffisants, Poutine a su redonner à la nation russe le statut d’un partenaire fondamental dans l’exercice du pouvoir en lui conférant le droit d’un regard critique sur son propre avenir. En Algérie, on marche à contre-courant de cette philosophie de la responsabilisation réciproque. Que ce soit Bouteflika, Sellal ou Saïdani, le traitement de la nation a été déplorable pour ne pas dire profondément insultant. Chaque ville d’Algérie a eu droit à son spectacle clownesque de la part de l’une de ces personnalités qui, une fois arrivée en fanfare, se répand en formules débiles recherchant l’approbation et l’applaudimètre plus que la collaboration intelligente. On ne recherche point dans le peuple la crème de la réflexion. Et l’on repart content d’avoir obtenu une fausse approbation de la part des premiers concernés au lieu de les responsabiliser localement et d’entamer un dialogue visant à l’optimisation. On flatte son ego en faisant salle comble. Les cris de joie fusent le temps d’un bon échange verbeux de civilités. Le futur président algérien devra arrêter ce phénomène de lobotomisation du peuple que les Grine, Sellal et autres saltimbanques ont entamé à son endroit. Il faudra comprendre tout le génie réel de ce peuple et lui rendre son statut de partenaire à part entière de l’Algérie en construction au lieu de l’abêtir par du «marmita/domino» de mauvais aloi et du «ana naaref enta ma taaref».
Un président qui sait s’entourer des meilleurs
La première forfaiture commise par l’actuel locataire d’El-Mouradia est d’avoir contourné tous les corps de spécialistes formés par l’Etat algérien. Bouteflika a fait de l’Algérie une affaire de famille au détriment de la compétence. Erreur de casting par les décideurs qui n’ont pas su voir le degré d’irresponsabilité de ce personnage qui a installé autant de conseillers qu’il avait de frères et sœurs. C’est cette erreur de casting que l’on paye aujourd’hui. Non content d’avoir absorbé toute l’Algérie dans sa famille, Bouteflika l’a absorbé dans sa région de Tlemcen. Nous ne remuerons pas le couteau dans la plaie plus longtemps. Le monde d’aujourd’hui est celui de la compétence partagée dans tous les domaines de savoir. L’Algérie dispose d’énormes compétences pour peu qu’on sache les déceler et les faire fructifier. La véritable force d’un pays, d’une nation, réside dans son université performante qui se prolonge dans tous les corps de l’Etat. Un président qui pense à son cousin ou à son frère avant de penser à l’ensemble de la nation fait l’effet d’une bombe à retardement plus néfaste encore qu’une arme de destruction massive. Tous ceux qui ont laissé s’installer la famille Bouteflika au détriment de la compétence portent une énorme responsabilité sur le devenir de la nation algérienne. Mais il n’est pas trop tard pour réhabiliter les élites compétentes dans chaque domaine stratégique. Il faut se départir une bonne fois pour toutes de ces graves entorses à une logique de développement et de renforcement de la sécurité de l’Algérie, en veillant à un retour conséquent des cerveaux ostracisés (les moyens financiers auraient dû être employés à cet effet) et à une politique de valorisation des grands cadres de la nation, en pensant «algérien» au lieu du «beni âmisme» encore en vigueur. Ainsi se dessine le portrait-robot du parfait président : né en Algérie, universitaire de haut niveau, pratiquant l’art de la concertation, bénéficiant d’une grande expérience professionnelle du monde développé, jeune montrant un tempérament sportif, sur la cinquantaine finissante au plus, et sachant s’entourer de grands spécialistes sans critères subjectifs, familiaux ou régionalistes. Cet homme idéal existe certainement en Algérie, en tout cas sans lui, l’Algérie hypothéquera encore pour longtemps son avenir politique.
Dr Arab Kennouche