Une contribution de Chafia Mentalecheta – L’indigénat constitutionnalisé entre les deux rives
L’amitié entre la France et l’Algérie n’aura jamais été aussi profonde tant les deux pays pour des raisons différentes comptent bien faire de leur société commune – les binationaux – des indignes de la citoyenneté de part et d’autre de la Méditerranée. Terroristes potentiels pour l’un et subversifs républicains pour l’autre, antidémocrates pour l’un et trop démocrates pour l’autre, immigrés pour l’un et émigrés pour l’autre, nationalité à dégrader pour l’un et nationalité à dénaturer pour l’autre, enfin cinquième colonne pour l’un et aussi cinquième colonne pour l’autre. Finalement, jamais ces deux pays n’auront formé un couple aussi parfait. Après un divorce douloureux, leur nouvelle union se base sur le rejet des enfants qu’ils auront eus ensemble. Vue sous cet angle, la phrase prononcée par M. Debré, président du Conseil constitutionnel français, en visite à Alger suite à l’invitation de son homologue algérien, «ce que nous voulons faire, c’est de nous enrichir mutuellement et éviter de nous imposer des choses» prend tout son sens. Les binationaux faisant partie des «choses à ne pas se faire imposer», chacun des deux pays, à sa manière, va traiter de cette question en révisant sa Constitution. La France en constitutionnalisant la déchéance de la nationalité, certes dans un premier temps pour suspicion de terrorisme, mais plus tard, pourquoi pas, pour non-respect d’un feu rouge. L’Algérie en constitutionnalisant la sujétion qui fera passer les binationaux du statut de citoyen à celui de simple sujet. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’article 51 qui prévoit que «la nationalité algérienne exclusive est requise pour l’accès aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques». Cet article prive définitivement le citoyen de la part symbolique de sa propre représentativité et de l’espace d’expression de son entière citoyenneté. Electeur mais non éligible, il devient donc un simple sujet. Ainsi, pour les penseurs de cette nouvelle Constitution, l’urgence absolue pour moderniser et démocratiser l’Algérie, c’est donc de faire des binationaux, des accessoirement touristes, des essentiellement pourvoyeurs de devises, des potentiellement clients pour les compagnies de transport, des précieusement compétents pour partager les connaissances, des logiquement investisseurs pour accompagner la ré-industrialisation, mais aussi des irrémédiablement sujets indignes d’avoir en plus de leur amour pour leur pays, une vision pour leur nation. La distance n’aura jamais été aussi grande entre les discours enflammés sur le retour au pays des compétences établies à l’étranger et la vision que les penseurs et les rédacteurs de cette nouvelle mouture de la Constitution en ont. Les sportifs binationaux qui portent haut et fort l’emblème national apprécieront que leur seul droit se résume désormais à tirer dans un ballon, à sauter des obstacles ou à mettre K.-O. l’adversaire. Les femmes et les hommes de culture à double voire triple nationalité sauront désormais que de faire jaillir la lumière sur leur pays n’est point un signe de patriotisme. Les universitaires et les entrepreneurs binationaux apprendront que leur apport intellectuel, technologique et financier au pays est un simple privilège qui leur est accordé. Enfin, ces milliers de jeunes qui sortent dans les rues du monde entier pour faire flotter le drapeau algérien au moindre petit score de l’équipe nationale, ces jeunes, cette partie de l’avenir algérien, qu’ils sachent que plus jamais ils n’auront le droit d’avoir de rêves, de l’ambition, de vision pour leur pays d’origine. Porte-drapeau oui, penseur, bâtisseur non. Pourquoi tant de haine pour ces millions d’enfants et de petits-enfants de vrais et valeureux combattants de la Libération ? Pourquoi tant de haine pour cette diaspora amoureuse de sa patrie d’origine qui sans cette bi, tri, quadri-nationalité n’aurait pas pu accéder et développer ses fameuses compétences tant recherchées pour participer à la construction de l’Algérie du XXIe siècle ? Cet article 51 marque la rupture du contrat de confiance mutuelle entre la diaspora et le pays. Cette nouvelle version de la Constitution sonne comme un nouveau code de l’indigénat pour la partie de la population algérienne établie à l’étranger. Un code de l’indigénat de l’Algérie indépendante ! Cette nouvelle version de la constitution que nulle urgence n’appelait va institutionnaliser inégalité et discrimination entre enfants d’un même pays. Et l’histoire retiendra que pour être un haut responsable ou avoir une fonction politique dans son pays, il vaut mieux être national, détenteur d’une carte de résidence et placer ses avoirs dans un pays étranger que d’être binational et venir investir intellectuellement et financièrement dans sa patrie d’origine. Au nom de la communauté nationale établie à l’étranger, composée de millions de binationaux attachés à l’Algérie comme peu savent le faire, jaloux de leur algérianité comme peu peuvent le comprendre, liés à la nation algérienne par le sang et par l’histoire, je refuse que l’Algérie se mette au diapason constitutionnel de la France en instituant une variante de la déchéance de la nationalité.
Chafia Mentalecheta