Du champ culturel et de la communication
Par Abderrahmane Zakad – Je tiens à dire dès l’entrée que je ne suis pas écrivain. Je suis urbaniste et lecteur assidu et perspicace. J’aime le livre, j’aime lire. Depuis une dizaine d’années, voire plus, j’assiste à une comédie qui se joue dans notre champ culturel en nous proposant au menu ce que décident les hommes de l’ombre en matière d’édition, de livres, de lecture, de films et de communication. La hogra et le mépris sont devenus des moyens de gestion de notre culture qui pourtant ne sont pas inscrits dans nos gènes. Nous vivions mieux du temps d’El Moudjahid,l’unique, de Parcours Maghrébinet de Révolution Africaine.Il y avait peu d’écrivains, ceux qui écrivaient étaient bons, peu de livres, mais sérieux et dépourvus de narcissisme profond et peu de hogra. La hogra, on la subissait au souk el-fellah, lorsqu’on cherchait à acheter un gigot et que l’on nous donnait les pieds de veau. Le gigot était réservé pour le directeur. D’ailleurs, le mouton arrivait sans gigot, parti déjà depuis les abattoirs vers son destinataire dans tel ou tel ministère. Nous avons subi cette hogra d’estomac, ce n’est pas grave. Aujourd’hui, je constate que nous vivons l’ère du stalinisme culturel puisque ces messieurs du ministère de la Culture et du ministère de la Communication ne se rendent pas compte que tout leur échappe et que dans notre champ culturel se meut une faune qui, sans bruit, accapare les leviers de décision et de la répartition de la rente écrite dans une partition musicale où on ne sait si c’est du chaâbi, du jazz, du rock, de la symphonie, de l’andalou ou du malouf. A l’exemple de l’année culturelle arabe de Constantine. Passons aux vérités : le ministre de la Culture déclare que «le livre est la première source de la connaissance». Merci, monsieur le ministre, c’est ce que m’avait dit mon instituteur en 1948, l’année des sauterelles. D’ailleurs, mon aîné et ami Kaddour M’Hamsadji a sorti un recueil intitulé «A quoi sert le livre» où sont rassemblés une cinquantaine de textes, d’avis divers et utiles, concernant le sujet. Son riche recueil n’est pas connu, car non distribué. Et puis on s’en fout, personne ne lit.
Concernant mézigue (excusez), le ministre de la Culture et celui de l’éducation ne savent pas qu’Abderrahmane Zakad a écrit des livres pour enfants et adolescents que l’on ne trouve pas sur les étals des librairies. Pourtant, ces livres ont été aidés par le ministère de la Culture : «L’enfant et la mer», en français et en arabe, destiné aux collèges et aux lycées en deux versions et selon les niveaux ; «Le patrimoine», poésie, soutenu par l’ONDA grâce à son directeur. Si ce n’était pas lui, «Le patrimoine» n’aurait pas eu une reconnaissance internationale avec inscription de mes poèmes dans Terre D’Afrique – Anthologie de la poésie africaine,éditions NDZE, Cameroun. Enfin, mon livre «L’orphelin», éditions Baghdadi, société privée, que le gérant, dans son vaste paradis, a bien voulu éditer. «L’orphelin» traite d’une tranche de notre société et des us et coutumes qui la consolide : le M’zab. Je m’en fous, personne ne lira «L’orphelin», on préfère Coelho et Yasmina Khadra qui sont largement étalés dans les librairies avec un pousse-pousse derrière : leur maison d’édition de là-bas, les importateurs d’ici, les médias dociles et le bizness. Zakad oualou,il est embêtant, perturbant, ya latif! Et d’abord qui c’est.
Croyez-vous, monsieur le ministre de la Communication, vous qui êtes soucieux de la déontologie, croyez-vous que l’ENTV et les journaux parlent de mes livres ou de ceux de certains auteurs «sous-dev» comme moi ? Pensez-vous que l’on m’invite à présenter mes livres «Les amours d’un journaliste», «L’orphelin», «L’enfant et la mer» et les douze romans que j’ai commis. Jamais. Suis-je blacklisté ? Je m’en fous. Voulez-vous que je vous donne la preuve. Prenez Livresqn°43 (novembre/décembre 2015), revue a-culturelle soutenue par le ministère de la Culture, paraît-il, qui organise un forum international du roman en Algérie et parmi les participants au cirque ne figurent ni Abdelali Merdaci, le spécialiste de la littérature algérienne, ni Rachid Oulebsir. Pour ce qui me concerne, je m’en fous. Rachid Oulebsir, le meilleur de nous tous, qui sillonne la Kabylie pour récolter les dires des derniers Kabyles, vient de sortir «Le Rêve des momies» (2014) ; il a écrit «L’olivier en Kabylie, entre mythes et réalités» (2008) et «Les Derniers Kabyles» (2009). Non ceux-là, on ne les invite pas, on invite ceux qui se gratte le nombril, qui écrivent leur roman dans leur salon et qui connaissent l’Algérie en ouvrant leur fenêtre. Ceux qui accourent au moindre voyage en France annoncé, qui ne ratent ni brin de paille ni la moindre miette, et qui attendent le prix Goncourt avec conviction. Le comble, c’est qu’ils y croient ! Ya Rabi, ya rabi. Ouine rayhine.Et puis, après tout, on écrit en langue étrangère pour notre peuple qui ne saisit rien et en plus on lui raconte des histoires qui ne le concernent pas. Je ne suis pas d’accord, permettez que je ne le sois pas, avec cette histoire de «butin de guerre» qu’on a attribué faussement à Kateb Yacine. La langue française ne me semble pas être un butin de guerre, telle que nous l’utilisons. Elle nous aliène comme l’arapède collée au rocher. Elle nous a confisqué nos libertés et je suis conscient que je suis un handicapé forcé de l’utiliser comme l’esclave porte ses chaînes. Ceux qui, pour service rendu dans notre champ culturel, obtiennent visas et bourses et envoient leurs enfants dans les universités françaises grâce aux relations. Lesquels enfants grandiront, auront de grandes moustaches gauloises et qui seront ministres en République algérienne démocratique et populaire. Alors que nos enfants seront plantons ou chargés de sécurité. Rachid Oulebsir, un immense écrivain dont on ne parle pas, cherche, enquête, jour après jour, dans les montagnes de Kabylie pour sauver ce qui reste à sauver de la mémoire et qui est le fils spirituel de Mouloud Mammeri. Non, lui aussi on ne l’invite pas à la télé, on n’en parle pas dans les journaux. Ya latif,fils de Mouloud Mammeri ? A-t-on parlé également de «La pensée kabyle» de Younès Adli ? Ya latif.Du livre de Youcef Khider Louelh «Un homme du peuple», préfacé par Sadek Hadjeres. Ya latif.A-t-on parlé des nombreuses recherches sur les auteurs algériens qu’effectue Abdelali Merdaci, de ses critiques et de ses livres, que l’on ne trouve pas en librairie faute de distribution, d’incompétence ou de mystère. Les liaisons et les échanges sont plus aisés dans le sens Paris-Alger que Constantine-Alger. Peut-être. Non, messieurs des journaux et de la télé, épargnez-moi l’invitation. Je vous hais.
A. Z.
Agitateur culturel, Béjaïa
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