La ville de Lagouira convoitée par Nouakchott : la Mauritanie s’incruste dans le conflit sahraoui
Assez grave pourtant, l’information est passée inaperçue : la Mauritanie a renforcé son dispositif militaire dans la ville frontalière de Lagouira – en principe «sous contrôle marocain» – où les soldats mauritaniens ont déployé le drapeau de leur pays. Selon des médias marocains, le Maroc a convoqué l’ambassadeur de Nouakchott à Rabat pour protester contre ce fait. Pour le palais, cet agissement des soldats mauritaniens relève de la provocation. Les médias marocains ajoutent que les Mauritaniens ont répondu que leur intention était d’empêcher des éléments du Front Polisario de s’infiltrer dans la ville qui fait partie du territoire du Sahara Occidental. En fait, Lagouira est souvent visitée par les véhicules blindés de l’armée sahraouie et les forces mauritaniennes qui sont dans cette ville de la côte atlantique ne semblent pas être dérangées par la présence des militaires sahraouis. Que peut faire le Maroc de plus que la convocation de l’ambassadeur mauritanien à Rabat ? Les médias aux ordres du Makhzen soulignent la complaisance des autorités mauritaniennes à l’égard du Polisario. Ils estiment que la Mauritanie n’est pas neutre dans le conflit qui oppose le peuple sahraoui en lutte pour son droit à l’autodétermination et à l’indépendance de l’occupant marocain. Le palais avait senti venir cette tempête, puisque bien avant que le drapeau mauritanien soit hissé sur Lagouira, il avait envoyé à Nouakchott une forte délégation qui comprenait, selon des sources marocaines, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Salaheddine Mezouar, du général Bouchaïb Arroub, Inspecteur général des Forces armées royales commandant la zone sud, et du Directeur général des études et de la documentation (DGED), Mohamed Yassine Mansouri. Le but réel de cette visite – tenter de faire pression sur le président mauritanien à propos de la présence de ses soldats à Lagouira – avait été camouflé derrière la version officielle qui a avancé le motif de la coopération sécuritaire entre les deux pays et celui de la relance des relations entre les deux pays, caractérisées par un climat de tension depuis trois ans. Mais depuis quelques jours, avec l’affaire de Lagouira, la tension entre les deux pays est montée d’un cran. Le palais tente de sortir de cette situation par un démenti de l’information, donnée pourtant par les médias marocains aux ordres du Makhzen, sur le déploiement du drapeau mauritanien à Lagouira. Mais ce qui inquiète au plus haut point le Makhzen, c’est justement le rapprochement entre la Mauritanie et le Front Polisario. Il y a quelques mois, des parlementaires mauritaniens et des dirigeants du Polisario ont créé un «groupe d’amitié parlementaire mauritano-sahraoui» et une délégation parlementaire de Mauritanie a assisté au 14e Congrès du Front Polisario, en décembre dernier, où elle a réaffirmé son soutien au Front Polisario, tout en appelant le gouvernement mauritanien à jouer pleinement son rôle dans le règlement de la cause sahraouie. En avril 2015, le président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, n’avait pas hésité à faire transmettre par Christopher Ross, médiateur onusien dans le conflit sahraoui, une plainte qui a été intégrée au rapport du secrétaire général de l’ONU sur le Sahara Occidental, à propos des craintes de la Mauritanie concernant les quantités de cannabis en provenance du Maroc. Le palais n’a jamais digéré ce coup qui lui a été porté par son voisin.
Houari Achouri