Une contribution de Houria Aït Kaci – Le terrorisme à l’ombre du capitalisme financier
La mondialisation qui a signé la victoire de l’économie de marché suite à l’effondrement de l’Union soviétique et du bloc de l’Est en 1991 s’est, en fin de compte, transformée en cauchemar pour les travailleurs et les peuples du Sud. Elle n’a apporté que désillusions et pauvreté pour la majorité et un enrichissement sans fin pour une minorité. Cette mondialisation se fait aujourd’hui à l’ère du capitalisme financier, en crise, qui a du mal à cacher son agressivité et qui fait bon ménage avec le terrorisme, ce nouveau business qui rapporte gros. Inédit : un Etat illégal, prétendu islamique (EI ou Daech), contrôlant une superficie de près de 90 000 km2 (en Irak et en Syrie), accapare des puits de pétrole par l’usage de la force. Il semble servir de bras armé à des groupes financiers puissants, dans leur guerre secrète et/ou apparente pour le contrôle des ressources énergétiques (pétrole et gaz) au Proche-Orient et en Afrique. Ces guerres exacerbent les luttes d’intérêt économique au niveau mondial qui sont les véritables enjeux de ces nouveaux conflits.
Guerre contre le terrorisme ou guerre du pétrole ?
La lutte contre Daech et les autres groupes terroristes ne doit pas cacher le fait que les actions de ces derniers servent les intérêts de puissances impérialistes et de leurs alliés, dans leurs plans pour s’assurer des ressources à bon marché et le contrôle des voies d’accès et de transport de l’énergie (gazoducs), afin d’empêcher les économies concurrentes des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) d’y avoir accès et celles des pays du Sud de pouvoir les utiliser souverainement pour leur propre développement. Les conflits autour du pétrole ont certes toujours existé, mais cette fois, en cette période de diminution de ressources et de crise du système capitaliste, de nouvelles guerres de reconquête ou de recolonisation, au profit des forces de l’argent (multinationales et rente), sont menées non pas directement par les armées qu’il devient coûteux et difficile de lever pour les pays impérialistes, mais par le mercenariat, avec un habillage politico-religieux (islamisme wahhabite) qui sert de caution morale aux actions terroristes les plus barbares, pour terroriser les populations, obliger les gouvernements des pays ciblés à adopter une politique économique et énergétique à leur profit exclusif et les rendre impuissants face aux plans de démembrement de toute la région. Si dans les années 70/90, les actions des islamistes armés visaient à provoquer des changements politiques dans un sens favorable au capitalisme, après la victoire de celui-ci, suite à la chute du communisme et du bloc de l’Est en 1991, l’impérialisme américain avait besoin de désigner un autre ennemi à «abattre», pour justifier son hégémonie sur le monde. L’islamisme fut alors un bon alibi et le 11 septembre 2001, une bonne occasion pour commencer l’invasion de l’Irak en 2003, qui sera suivie de celle d’autres régimes laïcs et nationalistes (Syrie, Libye, Yémen), avec le soutien actif de ses alliés des pays du Golfe.
Le terrorisme stade suprême de la mondialisation
Tout comme le 11 septembre américain, le «11 septembre français» (attentats de Paris du 13 novembre 2015) ne signe-t-il pas lui aussi le début de nouvelles guerres d’invasion, de reconquêtes coloniales, de pressions, de menaces, pour satisfaire les besoins – sans limite – du capital, des multinationales, surtout celles de l’armement et de l’énergie ? «La guerre mondiale contre le terrorisme» déclarée à Washington et à Paris ne vise-t-elle pas à faire oublier la nécessaire lutte contre les monopoles oligarchiques ? Car au fond, le capitalisme semble faire bon ménage avec le terrorisme, un nouveau business qui rapporte gros ! Les rapports capitalisme-terrorisme ont été mis en évidence par des analystes comme Richard Labévière, qui dans un entretien à L’Orient Le Joursoutient que «Daech et le terrorisme sont indispensables au capitalisme», que «le terrorisme» est devenu le «stade suprême de la mondialisation», qu’il est «nécessaire à l'évolution du système capitaliste lui-même en crise, mais qui se reconfigure en permanence en gérant la crise», pour permettre le redéploiement du capital. Il ajoute que «le terrorisme est organiquement lié à l'évolution du capitalisme mondialisé» et que «si Daech n'existait pas, il faudrait l'inventer», car il «permet de maintenir une croissance du budget militaire, des millions d'emplois de sous-traitance dans le complexe militaro-industriel américain, dans la communication, dans l'évolution des contractors. «La sécurité est devenue un secteur économique à part entière» et l’on assiste à «la gestion du chaos constructif où Daech n'est donc pas éradiqué, mais entretenu parce que cela sert l'ensemble de ces intérêts». Abondant dans le même sens, le journaliste et analyste américain Caleb Maupin, cité par Spoutnik, affirme que si «la défaite de l'Etat islamique est souhaitée par tout le monde, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Russie (…), cependant, le gouvernement américain continue d'être hostile aux forces qui combattent activement l'EI sur le champ de bataille. Cette politique pernicieuse est dictée par l'oligarchie financière (…) qui n'est dévouée ni aux Etats-Unis, ni au peuple américain, ni à la paix universelle». Cette oligarchie est formée par «les élites financières qui ont surgi au sein du capitalisme mondial. Quand Daech devient plus fort, ils regardent leurs profits monter en flèche» à Wall Street, souligne-t-il. Il ajoute que «les terroristes se fournissent en armes auprès des pays du Proche-Orient, comme l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et le Qatar qui coopèrent étroitement avec de grandes compagnies pétrolières américaines comme Exxon Mobile et d'autres groupes pétroliers influents des Etats-Unis». Ces derniers ont d’ailleurs augmenté leurs ventes d’armes en 2014 de près de 10 milliards de dollars en 2014, soit 36,2 milliards de dollars (contre 26,7 milliards en 2013), selon le Washington Times. Ces hausses sont liées à des accords de plusieurs milliards de dollars avec les monarchies du Golfe en particulier, ce qui permet aux Etats-Unis de confirmer leur première place de marchands d’armes, avec plus de 50% du marché mondial. Les complicités de certains pays avec Daech ont par ailleurs été mises à nu par le président de la Russie, dont le retour en force sur la scène proche-orientale a bousculé et freiné les projets de ce groupe et de ses commanditaires. Vladimir Poutine a dénoncé cette duplicité lors du sommet du G20 à Antalya (Turquie), au lendemain des attentats de Paris du 13 novembre, affirmant que son pays détient «des informations concernant le financement de différentes structures de Daech par des personnes physiques» et «que ce financement provenait de 40 pays, dont certains pays membres du G20». Il s’est avéré que le pétrole de Daech est vendu à très bas prix au marché noir à la Turquie, la Jordanie et Israël, et bien d’autres encore. Selon le centre de recherche IHS cité par l’agence Spoutnik, «les revenus mensuels de Daech à la fin de l'année 2015 sont estimés à environ 80 millions de dollars», précisant que «la plupart des revenus, environ 50%, proviennent des impôts sur l'activité commerciale des organisations situées sur les territoires sous contrôle de Daech et de confiscation des terres et de propriétés, alors que 43% proviennent des impôts sur la vente de pétrole. Le reste provient du trafic de drogues, de la vente illicite des antiquités, de la fourniture d'énergie et des donations». Pour sa part le ministre russe de la Défense avait déclaré, lors d’une conférence de presse tenue le 2 décembre, que «les frappes russes avaient permis de diviser par deux les revenus journaliers des terroristes provenant du pétrole, les faisant passer de 3 à 1,5 million de dollars par jour». Mais la lutte contre le terrorisme a servi encore une fois, lors des attentats de Paris, de prétexte pour déclencher des actions islamophobes en Europe et aux Etats-Unis (où le candidat aux présidentielles Donald Trump est allé jusqu’à proposer l’interdiction d’entrée aux musulmans). L’islamophobie, après chaque attentat, ne sert-elle pas à détourner les enquêteurs et l’opinion publique des véritables commanditaires de telles actions pour les braquer sur les exécutants, les seconds couteaux, facilement identifiables, pour jeter l’opprobre sur les musulmans et aussi diviser entre ces derniers et les autres croyants et citoyens ? «Pourquoi mène-t-on une campagne de haine contre les musulmans ?» s’est interrogé le Pr Michel Chossudovsky (CA Mondialisation) avant de répondre : «Comme par hasard, plus de 60% des réserves mondiales de pétrole brut se trouvent dans des pays musulmans. Et les projets impérialistes américains consistent à s’approprier le contrôle de ces réserves mondiales de pétrole.» Il poursuit : «La diffamation des musulmans à laquelle se livrent les pays occidentaux sert des visées impérialistes, elle est un moyen permettant de justifier la déstabilisation des pays musulmans sous prétexte humanitaire. Citons le cas de l’Irak, de la Syrie, de la Libye, du Nigeria et du Yémen. La diabolisation sert des objectifs géopolitiques et économiques. Les pays qui possèdent de grandes réserves de brut sont destinés à être déstabilisés.» Le terrorisme évolue aujourd’hui à l’ombre du capitalisme financier qui traverse une crise financière depuis 2007-2008 (subprimes) d’abord aux Etats-unis, puis en Europe où sévit depuis 2011 la crise de l’endettement. Ce système cherche par tous les moyens à accroître ses profits au détriment de l’investissement productif et de la création d’emplois. Contrairement au capitalisme industriel, producteur de richesses et d’industrie (Allemagne, Japon, Chine), le capitalisme financier (anglo-saxon) s’oriente, lui, vers des produits spéculatifs (Bourse, fonds d’investissement), sources de bénéfices pour les propriétaires et les actionnaires des sociétés.
Concentration des capitaux et déshumanisation
Les capitaux se concentrent de plus en plus entre les mains de quelques banques privées et quelques entreprises, surtout celles de l’armement, de l’énergie, des TIC, comme l’illustre la liste Forbes des 400 personnes les plus riches aux Etats-Unis, dont les fortunes s’élèvent à 2 290 milliards de dollars en 2014. Une partie de ces capitaux ne prend-elle pas la direction des paradis fiscaux, comme révélé par le scandale de la banque anglaise HSBC par «Swissleaks» ? Pourquoi ces banques et les entreprises qui traitent ou sous-traitent avec les groupes terroristes ne font- elles pas l’objet d’enquêtes de la part de l’ONU ? Le développement du capitalisme depuis ces 30 dernières années est marqué par le «celui des oligopoles ou monopoles généralisés», selon l’économiste Samir Amin. «On assiste, dit-il dans une interview au journal Le Grand Soir,à une centralisation du capital sans commune mesure avec aujourd’hui 500 oligopoles dont les décisions contrôlent toute l’économie mondiale, dominant en amont et en aval tous les secteurs dont ils ne sont pas directement propriétaires.» Les fusions-acquisitions de sociétés ont enregistré en 2015, selon Reuters, près de 4 600 milliards de dollars, soit un record depuis 1980, avec des transactions supérieures à cinq milliards de dollars, qui ont bondi de 54%. Les Etats-Unis à eux seuls totalisent 2 300 milliards de dollars, soit la moitié du marché mondial de ces transactions réalisées par les banques d’affaires, dont l’américaine Goldman Sachs, en tête avec 1 728 milliards de dollars d'opérations. Si le socialisme avait été vilipendé par les libéraux, pour son absence de liberté, le capitalisme qui règne aujourd’hui sur la planète a, quant à lui, relégué l’être humain au rang de marchandise et de la seule valeur qu’il connaisse : l’argent ! La crise morale qui sévit aujourd’hui n’est-elle pas celle de la société capitaliste, suite à la substitution de l’argent dans les relations humaines ? Il ne s’agit pas d’un «choc de cultures ou de civilisations», mais d’une crise de valeurs du système capitaliste financier, qui n’a plus rien à proposer aux gens que de gagner de l’argent, toujours plus d’argent, plus vite et par tous les moyens, quitte à tuer et à massacrer ! L’argent est devenu le symbole de la réussite, la base de toute relation dans la société consumériste où les citoyens sont vus comme de simples clients, de simples numéros de carte de crédit ! Même la sphère culturelle censée véhiculer des valeurs non matérielles n’échappe pas à la «marchandisation». L’argent est devenu roi, il est devenu dieu et ceux qui ne peuvent en gagner sont culpabilisés et poussés au désespoir. L’argent sert aussi à une corruption généralisée, aussi bien de simples individus que des entreprises, des banques, des organisations sociales, des partis, des médias, que des Etats qui ont érigé cette pratique en mode de gouvernance. Pour l’obtention de marchés, de contrats et d’avantages, on n’hésite pas à sortir le chéquier pour écarter les concurrents. La corruption est devenue une véritable arme de destruction massive, tout aussi nocive que Daech, qui permet de tout acheter et de tout vendre, même son âme au Diable ! Pour l’organisation anticorruption Transparency International, «la corruption est un mal qui affecte tous les pays. Il incombe aux grandes places financières d’Europe et des Etats-Unis de travailler main dans la main avec les économies à croissance rapide pour empêcher les corrompus de s’en tirer impunément». José Ugaz, le président de cette organisation, a déclaré que «l’Indice de perceptions de la corruption 2014 montre que les abus de pouvoir des responsables politiques et des hauts fonctionnaires entravent la croissance économique et les efforts de lutte contre la corruption. Certains élus corrompus font passer des capitaux d’origine frauduleuse dans des territoires pratiquant le secret bancaire par l’intermédiaire de sociétés offshore en toute impunité».
Le capitalisme financier en contradiction avec les valeurs humaines
«L’American way of life», dont le président Bush avait dit qu’il «n’était pas négociable», a-t-il cédé la place au projet «Daech» ? Beaucoup de jeunes qui aspiraient à ce mode de vie américain ou occidental sont aujourd’hui réduits au chômage, à la précarité, sans perspectives. Ils sont sacrifiés sur l’autel du capitalisme financier et jetés dans les bras des salafistes qui leur proposent de faire «œuvre utile» pour «l’intérêt de la communauté islamique», moyennant salaires et autres avantages. A l’âge de la révolte, du «don de soi», de partage, de sacrifice, plusieurs jeunes sont attirés par la propagande «djihadiste», surtout ceux issus du lumpenprolétariat, pour lesquels les capitalistes n’auront pas besoin de créer des emplois, puisque Daech va s’en charger, en les rémunérant avec son butin de guerre (pétrole, objets archéologiques, rançons) et la drogue. Le terrorisme qui se reproduit tant que les conditions de son financement existent permet aux détenteurs du capital d’opérer une diversion sur les revendications sociales et démocratiques aussi bien dans les pays capitalistes développés que ceux de la périphérie et d’imposer une restriction des libertés, au nom de l’union sacrée contre le terrorisme, pour empêcher ou juguler la contestation sociale. Le terrorisme sert les partis de l’extrême droite et nationalistes en Europe, qui érigent de nouveaux murs (après la destruction du mur de Berlin symbolisant la chute du communisme). Opposer «les valeurs traditionnelles européennes», à la «barbarie» de l’islam, c’est oublier que c’est la barbarie du système capitaliste financier qui a servi à enfanter Daech ! En 2012, Samir Amine décrivait le capitalisme comme étant dans une phase «sénile», qui «peut inaugurer une nouvelle ère de massacres» et de «mouvements sociaux amenant des changements politiques, pour le meilleur et pour le pire : fascistes ou progressistes». Il compare la crise actuelle à celles des années 1930 qui a «mené au Front populaire en France, mais aussi au nazisme en Allemagne». Son analyse a été confirmée par la suite des évènements dans certains pays avec la percée de la gauche radicale (Grèce, Espagne) et la montée de l’extrême droite (France). En 2015, selon Dimitri Konstantakopoulos (Réseau Voltaire), «une alliance entre les classes supérieures européennes et un "empire mondial de l’argent" a utilisé la crise pour lancer une offensive contre les conquêtes fondamentales des peuples européens et les soumettre à la dictature des forces monstrueuses et insensées, obscurantistes et totalitaires d’un argent lié de moins en moins à la valeur, à la production, à la société et à l’Homme». Le capitalisme financier et rentier est devenu un blocage pour le développement économique et l’épanouissement des êtres humains. Il est en contradiction avec les valeurs positives que l’homme a créées et préservées tout au long de sa tumultueuse histoire et qui ont fait sa richesse : solidarité, justice, égalité, tolérance, démocratie, paix, amitié. Il est devenu fou. Il faut le stopper avant qu’il n’entraîne toute l’Humanité dans sa chute !
Houria Aït Kaci
Journaliste