Chafia Mentalecheta à Algeriepatriotique : «L’article 51 est destiné à diviser les Algériens»
Algeriepatriotique : L’article 51 a soulevé un tollé général auprès de nos concitoyens établis à l’étranger. Pourquoi cet article a-t-il été inséré dans le projet présenté par Ouyahia, selon vous ? Cet article vise-t-il des personnes particulières ?
Algeriepatriotique : L’article 51 a soulevé un tollé général auprès de nos concitoyens établis à l’étranger. Pourquoi cet article a-t-il été inséré dans le projet présenté par Ouyahia, selon vous ? Cet article vise-t-il des personnes particulières ?
De toute évidence, cet article a été inséré pour éliminer des personnes supposées vouloir empêcher certains de tourner en rond ou de garder exclusivement le pouvoir et la mainmise sur notre pays. Je ne suis pas assez érudite sur la notion de sérail pour vous dire qui est exactement visé. Par contre, j’ai le sentiment profond qu’en constitutionnalisant le bannissement de la sphère décisionnaire et de l’espace politique d’une partie du peuple algérien, on veut empêcher l’Algérie de se construire démocratiquement pour devenir un pays fort et leader. Et cette volonté d’affaiblir le pays est inacceptable. Par ailleurs, avec cet article 51, le voile de l’hypocrisie est bel et bien déchiré et ces fameux appels incessants aux compétences nationales établies à l’étranger n’étaient finalement que des chants de sirènes. Enfin, je pense que cet article 51 est destiné à diviser les Algériens, en faisant croire que ceux qui vivent à l’étranger sont susceptibles d’être des traîtres potentiels. Pour autant, l’histoire retient que les traîtres à la Révolution n’étaient pas binationaux.
Le projet de révision de la Constitution a été validé, hier lundi, par le Conseil des ministres. Le président de la République a élargi l’article 51 en y ajoutant : «La loi déterminera la liste des hautes fonctions de l’Etat». Cela suffira-t-il pour calmer nos binationaux, selon vous ?
Non. D’une part, il n’y a aucun communiqué officiel, à l’heure où je vous réponds, qui confirme cet élargissement et la communauté a un peu l’impression qu’on insulte son intelligence. Le seul communiqué officiel du Conseil des ministres ne fait absolument pas état de cette nouvelle approche. D’autre part, parce que s’il est parfaitement compréhensible que les postes stratégiques de la défense et de la sécurité soient dédiés aux stricts nationaux, il n’y a nul besoin de l’inscrire dans la Constitution. La loi et le code militaire sont largement suffisants. Donc, si la loi doit déterminer la liste des fonctions visées, il n’y a nul besoin de garder cet article 51.
Des marches vont avoir lieu en France contre cet article. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’après les longues files d’attente devant les consulats qui ont terni l’image de notre pays aux yeux de la population française, il est dommage qu’une fois de plus l’Etat algérien donne à notre communauté des raisons encore plus importantes et plus graves pour manifester son mécontentement hors des frontières.
Vous avez signé une pétition appelant au retrait de cet article. Quels en sont les premiers échos ?
Très favorables. Plusieurs associations se mobilisent et sont à l’initiative de pétitions que je signe toutes d’ailleurs. Cela prouve bien que le mécontentement n’est pas le fait de quelques agitateurs, mais bien de la communauté dans son ensemble. Je sais également que beaucoup de nos concitoyens vont adresser des courriers directement à la Présidence pour exprimer leur désarroi.
Si l’article était maintenu malgré la large opposition qu’il suscite, d’autres actions seront-elles envisagées ?
Certainement. Mais, en l’état, je ne peux m’avancer sur le type d’actions qui seront menées. La communauté fonctionne beaucoup en mode démocratique. Avant de lancer des actions, nous nous concertons, nous débattons et nous élaborons ensemble les stratégies nécessaires.
Comment percevez-vous la situation générale du pays à partir de votre position de députée de la communauté algérienne en France ?
Difficile. La crise financière due à la chute du baril de pétrole mais également à une réelle absence d’anticipation et de vision à long terme va créer de plus en plus de difficultés à la population. La fracture entre les citoyens et les responsables politiques a rompu le pacte de confiance. La cohésion sociale est mise à mal. Malgré les réformes, la bureaucratie bat son plein. Et cette Constitution qui devait rassembler les Algériens est en passe de les diviser. J’espère toutefois que chacun va mettre un peu de l’autre dans son regard et qu’ensemble, Algériens de tous horizons, nous allons relever le défi et construire cette Algérie dont ont tant rêvé nos martyrs.
Vous vous êtes indignée en raison d’une question offensante que vous a posé une journaliste d’un journal algérien…
En effet, une journaliste se présentant d’Ennahar m’a contactée téléphoniquement pour me dire que ce journal avait en sa possession une liste de députés binationaux et la journaliste me demandait de confirmer ma binationalité. Le ton employé indiquait que ce journal avait soulevé un très gros lièvre, genre le scoop de l’année. Comme je n’ai aucune affinité avec la ligne éditoriale de ce média et que je refuse depuis mon élection de répondre aux questions de ses journalistes, j’ai répondu : «Je confirme que je ne réponds pas aux questions d’Ennahar». Je n’ai aucun secret à cacher concernant ma binationalité. Lorsque j’ai déposé mon dossier de candidature, j’ai dû justifier de la légalité de ma résidence en France (carte de résidence ou carte d’identité française). La bataille qui bat son plein concernant l’article 51 ne plaît pas à tout le monde et j’imagine que ce journal va tout faire pour discréditer les opposants à cet article. Comme sa ligne habituelle est de jeter les gens en pâture, j’imagine que je vais me découvrir une nouvelle vie dans la presse ou peut-être pas… Qui sait ? Personnellement, je suis imperméable à ce genre de méthodes.
Interview réalisée par Karim Bouali