Que signifie la sortie publique tolérée par le pouvoir d’Ali Benhadj dans le contexte actuel ?
Une poignée de gens ont écouté, récemment, la harangue de l’ancien n°2 du FIS dissous, Ali Benhadj, sur une placette à Oued Rhiou, dans la wilaya de Chlef. Ses sorties étant systématiquement filmées et la vidéo immédiatement diffusée sur YouTube par des acolytes, ses ouailles s’en délectent certainement en la visionnant. Pour les observateurs, c’est, une fois encore, l'occasion de constater la même agitation publique de cet individu, de tendance islamiste salafiste, connu pour son obsession à la surenchère dans le prosélytisme extrémiste. Comme il l’a fait à la fin des années 1980, il récidive dans le contexte actuel, en semant la diversion sur les problèmes brûlants que vivent les Algériens et qui appellent à une réflexion urgente pour trouver la bonne issue à la grave crise qui menace le pays. Les premières paroles d’Ali Benhadj et le slogan inscrit sur la banderole brandie par ses acolytes et disciples confirment sa manœuvre à travers la volonté de faire tourner la roue de l’histoire à l’envers pour ramener les Algériens, près d’un quart de siècle en arrière, à la période de troubles et de violences qui a conduit à la décennie noire. Mais force est d’admettre qu’en 2016, il prêche dans un véritable désert à côté d’une autre Algérie, celle qui est née de la négation de son projet intégriste destructeur. Les Algériens ont payé cher pour avoir le droit à leur part de modernité et de progrès dans le concert des nations et pour avoir la possibilité de vivre dans leur temps. L’anachronisme du projet islamiste du FIS dissous est perçu de manière encore plus nette en 2016, malgré une tentative grossière de tromper (la fameuse ruse de guerre) son auditoire en laissant croire qu’il est pour les libertés. En 1989 et en 1990, il avait décrété que la démocratie était kofr, c'est-à-dire pas de libertés individuelles, d’expression et d’opinion, ni de liberté de la presse, et la classe politique dans son projet totalitaire se limiterait aux partis islamistes qui seraient les seuls à être autorisés à exister. A Oued Rhiou, il a voulu faire croire à son maigre public, d’où étaient absents ses anciens complices – reconvertis aujourd’hui dans les affaires lucratives et les commerces juteux– qu’à l’époque, il était pour l’alternance au pouvoir, alors que tout le monde se rappelle que, dans la rue, ses ouailles défilaient au pas de course à la façon des commandos militaires, accoutrés de tenues afghanes et vociférant des menaces à l’égard du reste de la population qualifiée de koufars (impies) ou taghouts (tyrans). C’était le temps où les milices islamiques, organisées par le FIS dissous et constituées d’activistes fanatisés, patrouillaient librement durant les veillées de Ramadhan pour harceler les Algériens et leur interdire les jeux de dominos ou les soirées musicales. Le recul que permet cette période lointaine et le contraste avec l’Algérie réelle d’aujourd’hui fait ressortir plus fortement la démagogie et l’hypocrisie qui ont pu induire en erreur, il y a vingt-cinq ans, les gens crédules qui avaient été placés dans une situation de désespoir par la politique irresponsable et anti sociale du pouvoir. Il était facile alors à des démagogues du type Ali Benhadj d’exploiter à fond et de la façon la plus cynique le sentiment religieux profond des Algériens pour remplir de fanatisme leur protestation et finalement la dévoyer vers l’extrémisme, loin du climat indispensable à la recherche de solutions aux vrais problèmes du pays. Dans le contexte actuel d’incertitudes créées par la chute des prix du pétrole, le pouvoir devrait prendre garde à jouer avec le feu en tolérant de telles activités. Il est vrai que les Algériens sont aujourd’hui instruits de leur propre expérience et également par ce qui se passe dans la Libye voisine pour ne plus être tentés par l’aventure. Au contraire, ils s’opposeront de toutes leurs forces aux écervelés qui chercheraient encore une fois à les ramener vers la décennie noire. Tout le monde sait à quel point Ali Benhadj est manipulable, comme peuvent l’être les extrémistes islamistes. Il n’y a rien de plus facile que de le faire bouger pour effrayer. Mais cette sortie publique d’Ali Benhadj, certes très loin de la capitale et des grandes villes, mais visiblement tolérée par le pouvoir, soulève, pour le moins, l'incompréhension et, chez beaucoup d’Algériens, l’indignation même si les temps ont changé et que son audience a chuté, son masque étant tombé.
Houari Achouri