Emeutes de la faim à Gasrine : retour à la case départ ou le retentissant échec du «modèle tunisien»
Cinq ans jour pour jour après la «révolution du jasmin» qui a emporté le régime de Ben Ali, avec tous les espoirs nés des premières réformes démocratiques en Tunisie, voici que, subitement, tout est remis en cause. Alors que tous les feux étaient braqués sur les tiraillements politiques qui continuent à miner le parti au pouvoir, personne n’avait vu venir cette déflagration ni n’en a pressenti l’ampleur. Une situation qui rappelle étrangement ce qui se passe en ce moment en Algérie : déballages publics, parlementarisation du débat politique sur fond de contestation grandissante dans les régions pour réclamer des conditions de vie décentes. Ainsi, les laissés-pour-compte de l’arrière-pays tunisien ont décidé de reprendre l’étendard de la révolte dans le même décor et avec la même hargne que lors des premières émeutes de Sidi Bouzid, provoquées, en janvier 2011, par la mort violente d’un marchand ambulant. Incident dont nul ne pouvait deviner qu’il allait être l’étincelle qui allumera le brasier dans tout le monde arabe. Ces événements de Gasrine prouvent que les Tunisiens se sont soulevés pour exiger que soient améliorées leurs conditions de vie, pas essentiellement pour accompagner la nouvelle classe politique qui, d’ailleurs, ne cesse de s’entredéchirer autour des privilèges de pouvoir. D’Ennahda à Nidaa Tounes, les principaux partis politiques qui gouvernent la Tunisie se sont finalement révélés incapables d’assurer la paix sociale qui est pourtant le socle de tout développement et de toute émancipation démocratique. Avec les menaces qui pèsent sur l’industrie touristique, principale ressource du pays, à cause notamment du terrorisme qui l’a ciblée à maintes reprises, et aussi à cause de l’instabilité politique persistante, tous les ingrédients d’une nouvelle explosion sociale sont réunis. Ces émeutes prouvent, ainsi, que la protestation des citoyens de 2011 a été récupérée de façon éhontée par le mouvement islamiste d’Ennahda et les ONG étrangères pour renverser le régime de Ben Ali et conduire le pays vers la situation dans laquelle il se trouve aujourd'hui. La razzia islamiste était moins le fruit d’une révolution que d’une manipulation à grande échelle. De 1983 à aujourd’hui, les émeutes de la faim, appelées aussi autrefois les «émeutes du pain» ont, à chaque fois, remis en cause les politiques en place, qui font passer en priorité des mots d’ordre de «réformes» et d’«ouverture» qui sont essentiellement destinées à gagner les faveurs des capitales occidentales ou à maintenir une place de choix dans les classements mondiaux du développement humain, souvent au détriment du cadre de vie de la majorité. Une réalité que cachait – et cacherait toujours – cette image exotique ancrée. Les médias et autres faiseurs d’opinion européens, qui voyaient dans la nouvelle Tunisie un modèle de «réussite démocratique» dans le monde arabe – comparé aux chaos libyen et syrien –, commencent à relativiser leur jugement et préviennent contre des scénarios plus funestes, avec la montée en puissance des groupes salafistes et djihadistes. Le pire de ces scénarios est que ces derniers, comme en Syrie, s’emparent des foyers de contestation.
R. Mahmoudi