Le président de la Mouvance migratoire Ô Canada : «L’article 51 est une abjection morale»
Algeriepatriotique : L'article 51 a soulevé un tollé général auprès de nos concitoyens établis à l'étranger. Pourquoi cet article a-t-il été inséré dans le projet de révision de la Constitution, selon vous ?
Algeriepatriotique : L'article 51 a soulevé un tollé général auprès de nos concitoyens établis à l'étranger. Pourquoi cet article a-t-il été inséré dans le projet de révision de la Constitution, selon vous ?
Ahcène Moussi : Je dois rappeler que la diaspora algérienne vivant à l'étranger avoisine, sans nul doute, les 8 millions de personnes, dont 75% en France. Elle représente 20% de la population algérienne. C'est l'équivalent des habitants du Gabon, de la Gambie, de la Guinée Bissau et de la Namibie réunis. Cela pour vous dire combien son apport, pour son pays d'origine, est important. Elle apporte à son pays d'origine de la technicité ; elle transfère des idées innovatrices en matière de marketing, de stratégie et de processus d’affaires. Elle contribue à renflouer les caisses de l'Etat en devises fortes. Elle soulage les pouvoirs publics, puisqu'une personne sur deux économise ses dollars ou ses euros pour construire sa maison en Algérie ou aide ses parents dans le lancement d'une petite affaire, etc. Personnellement, je n'ai pas pris connaissance d'un seul pays au monde qui s'est permis ce luxe d'exclure, par un simple article, autant de ses propres citoyens, majoritairement jeunes et surtout riches de leur expérience variée et de leur savoir-faire. Je dirai que c'est grave, c'est même de l'abjection morale, si par malheur «ces architectes de l'avant-projet» auraient décidé, volontairement, d'exclure les binationaux, cette ressource humaine inestimable, dans un but inavoué, d'un calcul politique… surtout que cette loi 51, puisque c'est d'elle dont il s'agit, est arrivée, bizarrement, au même moment que cette déchéance de nationalité, «utopique» elle aussi, projetée par Hollande. Je pense, cependant, que nos dirigeants, plutôt que d'aller une fois pour toutes vers l'essentiel, vers ce qu'ont les Algériens de commun, persistent à poursuivre, au détriment des intérêts de toute la nation, la politique de la médiocratie, de la division et de l'exclusion, de la démagogie, de slogans stériles et de coup bas. Cet article 51 est un autre subterfuge, faisant partie de leur tactique coutumière, qui consiste à détourner l'attention du citoyen algérien des vrais problèmes sociaux et sociétaux.
Le président de la République a ordonné d’élargir l’article 51 en y ajoutant : «La loi déterminera la liste des hautes fonctions de l’Etat.» Qu’en pensez-vous ?
Le problème n'est toujours pas réglé, c'est du pareil au même, il demeure une contrainte majeure et plus encore, cet article 51 est juridiquement anticonstitutionnel. Je persiste et signe, c'est un article discriminatoire puisqu'il permet à un Algérien de postuler à telle ou telle fonction, de quelque nature que ce soit, et d'en exclure un autre Algérien, pour sa candidature à cette même fonction. Cet élargissement préconisé s'appelle, comme on dit dans notre jargon, du «Moussa Hadj, Hadj Moussa». La question est : nos gouvernants, ont-ils ou non cette volonté politique à changer honnêtement et concrètement les choses et à aller dans le sens des aspirations du peuple ? Encore une fois, qu'on se le dise haut et fort, c'est tout le peuple algérien, pas seulement les binationaux, qui exige le retrait pur et simple de cet article 51 du contenu de la Constitution. Telle est la solution, pour ce point précis.
La Mouvance migratoire Ô Canada (MMC) dont vous êtes le président est à l’origine du rassemblement de la diaspora algérienne, samedi dernier, devant le consulat d’Algérie à Montréal contre les articles 51 et 3 bis. L’objectif du rassemblement a-t-il été atteint ? Si oui, comment ?
L'objectif ne serait atteint qu'une fois cet article 51, insolite et insensé, retiré totalement du contenu de la Constitution et que l'article 31 réécrit positivement, en donnant à la langue tamazight, cette langue ancestrale de toute la région de Tamazgha, les mêmes droits, les mêmes prérogatives et les mêmes moyens que sa consœur arabe.
Le MMC a menacé de recourir à d’autres actions si les revendications de notre diaspora ne sont pas prises au sérieux. Quelles seront ces actions ?
Nous sommes pacifiques et portés sur le dialogue critique et positif, un dialogue dans l'intérêt de toute la nation algérienne. Notre message est certes parvenu aux autorités compétentes. Bien que pessimistes quant au feed-back, nous demeurons prudents et éveillés tout en adoptant le «wait and see» (attendre pour voir). Maintenant, si nos revendications ne sont pas prises en compte, nous adopterons une action plus percutante. Des contacts sont en cours entre tous les représentants de l'immigration algérienne : du Canada, de France, d'Angleterre, de Suisse, de Russie, etc. pour une démarche commune.
Des analystes affirment que ce projet de révision constitutionnelle a été fait délibérément pour faire oublier au peuple algérien l’impasse politique dans laquelle se trouve le pays actuellement. Quelle en est votre lecture ?
J'ai répondu quelque peu, plus haut à cette question. Je suis totalement d'avis avec ceux qui pensent que cet avant-projet a été fait dans le but de détourner l'attention populaire des vrais problèmes des Algériens. C'est vrai aussi que le problème algérien est d'abord politique. Sur ce point, j'en conviens qu'il y a des points d'ombre et des choses qui nous échappent. Bien sûr qu'on veut zoomer sur autre chose que sur les vraies causes, sinon, pourquoi ces architectes de ce projet l'ont-ils mis à la disposition du citoyen, des associations et de la classe politique, après quelques jours seulement du décès de Hocine Aït Ahmed, au moment aussi où les Algériens se demandaient ce que leur veut cette loi des finances 2016 qui les menace de se serrer davantage la ceinture, pour ne pas dire d'aller vers la mendicité, et enfin lors de l'annonce par tous les médias du monde de cette chute vertigineuse du coût du baril du pétrole ?
En tant qu’économiste, quelles seront, selon vous, les conséquences de la chute des prix du brut sur l’économie algérienne qui vit principalement des hydrocarbures ?
Malgré une richesse excessive, une très grande majorité de la population ne voit pas le bout du tunnel. L'irresponsabilité, les dépenses faramineuses et inutiles, ajoutées à une corruption inégalée ont conduit le pays aux résultats que nous vivons aujourd'hui. Notre pays va inévitablement entamer une période de turbulence stressante et hors du commun en même temps. A moins d'un miracle, c'est incontestablement une période de vache maigre que notre peuple va vivre, pendant un minimum d'une dizaine d'années. Nos dirigeants n'ont jamais voulu apprendre les leçons du passé. Nous avons pourtant connu une crise similaire avant 1988. Nos experts n'ont cessé de tirer la sonnette d'alarme, nous avons pourtant exporté des quantités importantes de pétrole et de gaz durant une bonne décennie, à un coût supérieur à 100 dollars le baril … C'est entre 2005 et 2010, avec cette accumulation de plusieurs centaines de milliards de dollars de réserves de change, que des réformes et des réajustements auraient dû être lancés, et des supplétifs au pétrole recensés et mis en chantier. Nos dirigeants sont malheureusement restés sourds et muets à tous ces appels de spécialistes, indifférence qui nous a conduits à cette réalité amère que nous vivons aujourd'hui, qui nous fait honte, et que nous sommes condamnés à prendre en charge. C'est un vrai chaos, un échec généralisé. Au-delà de cette volonté politique qui fait défaut dans notre pays, il y a aussi cette gestion scabreuse des affaires qui nous a ruinés. On a mis la gestion de notre économie entre les mains de la médiocrité. On l'a confiée à des amateurs sans compétence aucune, qui font, comme dans une simple épicerie, dans l'alignement des chiffres et dans leurs additions, dans la petite écriture administrative et de bureau, pour planifier, suivre et manipuler un tissu industriel énorme et diversifié, éparpillé sur 2,4 millions de kilomètres carrés, et pour mouvementer et transacter des milliards de dollars, alors qu'il s'agit de domaines importants et sensibles, comme l'économie, les finances, les stratégies de développement… qui conditionnent l'avenir de toute une nation et qui exigent, donc, une grande transparence, l'inclusion de toutes les compétences et, surtout, la présence permanente d'experts et de spécialistes en la matière. Cela dit, notre pays, dont 98% de ses rentrées en devises proviennent des seules exportations du pétrole, va indiscutablement réviser à la baisse l'ensemble de ces programmes d'investissement. La chute très marquée du prix du baril, en raison du retournement imprévu du marché international, va dans un premier temps affecter le budget de l'Etat, puisque les réserves de change et le Fonds de régulation des recettes vont automatiquement se rétrécir, je dirai même fondre, conséquence directe sur le coût de la vie des citoyens, avec naturellement toute cette cascade de problèmes qui vont suivre, comme la dévaluation de la monnaie, la compression des importations, les licenciements du personnel, la suppression de certaines subventions, etc. C'est un vrai effet dominos auquel nous assisterons dans un proche avenir. Tenant compte du maintien des quotas actuels de production par l'Opep, de l'importante quantité de pétrole accumulée par les Etats-Unis, de l'arrivée prochaine, dans ce marché, de l'Iran, de l'Irak et de la Libye, et du ralentissement de l'économie mondiale, notamment chinoise, le marché pétrolier va encore vivre ses jours sombres et le prix du baril ne fera que baisser pour aller chercher les 22 à 24 dollars au cours du mois d'avril ou de mai de cette année 2016. Il est temps, à mon avis, que les pouvoirs publics fassent preuve de plus de transparence sur la gravité de la situation économique que traverse notre pays, d'engager des débats impliquant les spécialistes et les experts ainsi que la société civile autour de cette question, de créer des commissions indépendantes de réflexion et de propositions, d'imposer au sommet de l'Etat la plus grande rigueur budgétaire, d'utiliser à bon escient les réserves de change et de faire supporter davantage aux hauts fonctionnaires, les conséquences de l'austérité. Sont là les quelques propositions que j'aurai à formuler, pour mieux avancer ou, du moins, limiter les dégâts dans notre pays.
Comment la diaspora algérienne perçoit-elle la situation générale du pays ?
Inquiétante, sur tous les plans, mais avec beaucoup de questionnements pour une meilleure option de sortie du tunnel. Il est souhaitable de faire appel à cette diaspora, du moins aux meilleurs, pour l’impliquer dans cette tâche noble qui consiste à trouver les voies et moyens pour sortir notre pays de ce marasme dans lequel il patauge.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi