L’ancien ambassadeur des Etats-Unis à Alger Robert Ford «interrogé» à Washington
C’est sans doute la première fois que le Congrès américain engage un débat aussi franc et direct sur un des sujets qui étaient considérés, jusque-là, comme un tabou au pays de l’Oncle Sam. Un signe que les Américains commencent à se remettre en cause sur leurs relations avec Riyad et qu’une nouvelle stratégie serait mise en place pour y remédier. Cela s’est passé lors d’une séance de débat programmée cette semaine, en présence de responsables du secrétariat d’Etat, du département de la Défense et des services de renseignement autour du wahhabisme et du rôle de l’Arabie Saoudite et sa relation avec le terrorisme international. En tête des responsables interrogés, l’ex-ambassadeur américain à Alger, Robert Ford, un pro-islamiste notoire connu pour ses contacts avec le FIS et le GIA en Algérie dans les années 1990, et, depuis 2011, pour son rôle dans les soulèvements dans plusieurs pays arabes qui ont conduit à des guerres civiles. Les questions sont posées par un député républicain, Hank Johnson, de Georgia. Première interpellation : «N’est-ce pas une évidence que les mouvements djihadistes internationaux sont étroitement liés aux préceptes du wahhabisme ? Oui ou non ?» Réponse d’un représentant des Affaires étrangères : «En effet, je peux dire que le wahhabisme est une source d’inspiration pour eux (les djihadistes, ndlr), notamment pour les deux plus importants groupes djihadistes activant à l’échelle internationale, Daech et Al-Qaïda.» Le responsable reconnaît, au passage, que le wahhabisme est une idéologie «qui nourrit l’intolérance au sein même de l’islam». Question posée à Robert Ford : «La famille régnante en Arabie Saoudite ne tire-t-elle pas sa légitimité de la doctrine wahhabite ?» Réponse édifiante, mais gênée du trublion diplomate : «Les Al-Saoud sont montés sur un tigre. C’est qu’ils ne peuvent ni continuer ni en descendre. Je ne peux pas dire que les Saoudiens s’appuient exclusivement sur le wahhabisme comme source de légitimité. Ils tirent leur légitimité de beaucoup de choses, dont le wahhabisme.» Le député veut l’acculer au pied du mur, en poussant plus loin : «Etes-vous d’accord que la famille régnante saoudienne propage le wahhabisme à travers la création d’écoles religieuses à travers le monde, avec les rentes pétrolières ?» «Il est certain, rétorque Robert Ford, que ces projets sont financés par les revenus des hydrocarbures.» Moment crucial dans le débat : «La doctrine wahhabite s’accorde-t-elle avec celle de Daech ?» Réponse immédiate et détournée de l’agent de la CIA Robert Ford : «Je pense que non. Par exemple, les wahhabites officiels en Arabie Saoudite ne tuent pas les chiites. Ils les oppriment, c’est vrai, ils ne leur accordent pas tous leurs droits, mais ils ne les tuent pas. Or, les chiites à Raqqa ou à Mossoul sont exposés à la mort.» Devant l’insistance du député, le diplomate finit par avouer que les deux doctrines «s’accordent dans le fondement, même si Daech est beaucoup plus extrémiste», nuance-t-il. Enchaînement : «Est-ce raisonnable d’accepter que le wahhabisme continue à préparer le terrain à Daech à travers l’endoctrinement et le recrutement ?» Robert Ford n’hésite pas à lâcher : «Je pense effectivement que la propagation du wahhabisme par l’Arabie Saoudite aide au recrutement de l’Etat Islamique.» Devant cette impasse, l'ancien directeur adjoint de la CIA Michael Morell, intervenant en dernier, suggère un dialogue avec l’Arabie Saoudite à propos de sa doctrine wahhabite et de «la manière avec laquelle ce problème devrait être traité».
R. Mahmoudi