Yacef Saâdi raconte la Bataille d’Alger – Flash-back sur les missions de la Zone autonome d’Alger (IX)
Voici, pour l'Histoire, un flash-back sur les missions de l'historique Zone autonome d'Alger où j'ai inclus les faits et les événements importants qui ont eu lieu au cours de cette «Bataille d'Alger» qui nous a été imposée par l'armée française dans le cadre des «pouvoirs spéciaux», votés à Matignon pour mater les «terroristes» du FLN, comme ils le proclamaient à haute voix. Voici, en effet, à titre de rappel, ce document qui vient à point nommé expliquer aux jeunes que l'épreuve endurée n'était pas facile pour nous, surtout en ce tournant décisif et difficile de notre lutte de libération nationale où les ordres qui venaient de France n'étaient pas pour faciliter le dialogue et mettre fin à l'effusion de sang. La radicalisation des positions au-delà de la Méditerranée faisait disparaître tout espoir d'arrangement et François Mitterrand, garde des Sceaux à l'époque, accentuait ses positions en donnant, chaque fois, son aval aux nombreuses sentences de mort prononcées par les tribunaux d'Alger contre des militants de la lutte pour l'indépendance. En son temps, il faut le souligner, la guillotine «fonctionnait très bien» à Alger, il avait couvert l'exécution de quarante-cinq militants algériens condamnés de manière expéditive. De même qu'en son temps, le 7 janvier 1957, les pouvoirs de police à Alger sont confiés au général Massu et à la 10e division parachutiste. Ainsi, et compte tenu de ce qui précède, force est de constater que la «Bataille d'Alger» a été un immense défi, pour nous d'abord, et pour la France ensuite, qui voulait se débarrasser des noyaux durs de la Révolution situés dans la capitale, vitrine du pays. Pour nous, ce n'était pas une sinécure ou une partie de plaisir. Notre «Bataille», à nous, sentait la poudre, le sang, la mort, les pleurs des enfants et les sanglots d'épouses quand les descentes dans La Casbah et les rafles se faisaient la nuit et se terminaient par d'atroces tortures. La «Bataille d'Alger» était synonyme de l'usage massif des supplices, de l'escalade de la violence et d'une radicalisation communautaire, qui a rendu impossible la recherche d'un compromis. La «Bataille d'Alger», sans dire «enfin», parce que je peux raconter encore des «choses» pour instruire les jeunes, doit être dans l'esprit de tout un chacun, aujourd'hui, à l'heure de la négation des valeurs, comme ces fameuses batailles d'antan menées par notre peuple. Elle doit être autant célébrée que celles de Maghran contre les Espagnols en 1558, de la Macta en 1835, d'Icheridène en 1857 ou d'El-Gaâda et du Djorf en 1955 contre les Français, ces repères qui nous replongent dans l'histoire des luttes de notre peuple et nous ont permis d'émerger en tant que nation. Les quatre martyrs emblématiques de la rue des Abderrames, au cours de la «Bataille d'Alger», auxquels s'ajoutent des centaines d'autres, voire des milliers, symbolisent l'adhésion de tout le peuple algérien à l'une des plus glorieuses révolutions du siècle dernier. Ceux-là doivent être toujours dans notre esprit pour nous rappeler le tribut versé à la liberté. Je n'oublie pas tous ces militants inconditionnels, des milliers qui, au prix de tant de sacrifices, ont soutenu le «nidham», comme on l'appelait, dans Alger, malgré les ratissages, les fouilles, le quadrillage, les barbelés, les chevaux de frise, le couvre-feu, les interpellations et, on ne le dira pas assez, les enlèvements et les exécutions sommaires. A tous ceux-là, j'adresse un vibrant hommage et une fière reconnaissance pour tout ce qu'ils ont donné en termes d'engagement et de sacrifice. Je dis également à mes frères et sœurs rescapés de cette bataille et que le destin a épargnés, que même si nous ne sommes pas obligés d'être d'accord partout et sur tout, du fait des divergences d'opinions et d'idées sur des sujets variés, nous pouvons tout de même partager fraternellement, dans un esprit militant, avec respect, nos expériences et notre vécu durant cette phase historique de notre nation, afin de nous enrichir mutuellement de nos différences. J'exprime aujourd'hui ce souhait, parce qu'il est de mon devoir de l'exprimer publiquement, devant mes frères et mes sœurs, qu'un climat de suspicion a failli séparer depuis les premiers jours de notre indépendance, faute de n'avoir pas ou pu dialoguer honnêtement, sincèrement, autour de sujets qui nous «taraudaient» depuis ces moments chauds qui nous réunissaient pour défendre notre pays. Ne sommes-nous pas tous frères d'une même famille : l'Algérie ? Oui, nous avons souffert au cours de cette période cruciale de notre lutte, parce qu'à côté de ces moments d'espoir et de joie, il y avait des moments d'anxiété, de crainte, de panique, de tourment, auxquels s'ajoutaient des instants de lassitude et de peur. En effet, nous avons eu peur, souvent, et c'est humain ! Car dans ce climat de terreur qui s'amplifiait de jour en jour, on était constant et courageux ou on ne l'était pas. Je ne peux pas, aujourd'hui, m'aventurer en lançant des témoignages de satisfaction pour l'un en ignorant l'autre, tant la composante des militants, responsables et dirigeants, au niveau de la Zone autonome d'Alger était, dans mon esprit, très homogène et complémentaire. Elle l'était comme doit être toute organisation en charge d'une mission aussi grandiose que celle de la «Bataille d'Alger». Et c'est cela qui fait que je ne peux pas, devant l'Histoire, incriminer un de nos éléments ou le célébrer outre mesure, tant je suis persuadé que tous ont fait leur devoir avec zèle et abnégation.
Yacef Saâdi
Demain : «Ma réponse aux calomniateurs sur la mort héroïque de mes compagnons»