Slim Othmani à Algeriepatriotique : «Il faut provoquer un choc de confiance dans le pays» (II)
Algeriepatriotique : Le dinar s’échange contre l’euro à un taux jamais atteint sur le marché parallèle. A quoi attribuez-vous cela ?
Algeriepatriotique : Le dinar s’échange contre l’euro à un taux jamais atteint sur le marché parallèle. A quoi attribuez-vous cela ?
Slim Othmani : L’euro a touché la barre des 200 DA, je crois. Cela est dû à une peur et à une défiance. C’est un manque de confiance à l’égard de l’Etat, des institutions et de la monnaie du pays. C’est pour cela, justement, que j’ai fait une déclaration, il y a quelques jours, en disant qu’il fallait provoquer un choc de confiance. Ceci est une suggestion pour aller vers la construction de la convertibilité du dinar en se fixant un délai, par exemple, à l’horizon 2017. Imaginez un peu, si vous venez me dire que pendant 18 mois, nous allions travailler et mettre en place les structures et les mécanismes nécessaires pour que le dinar algérien soit convertible. Vous imaginez le choc de confiance qui va se créer auprès du citoyen algérien ! Il va se dire que «ma monnaie va valoir quelque chose !». Aujourd’hui, le citoyen algérien regarde son billet de banque et se dit que demain, il ne vaudra rien du tout, parce qu’il est en train de dégringoler. Cela va se passer comme en Turquie, en Argentine et dans d’autres pays qui ont vécu des crises incroyables où leur monnaie ne valait plus rien.
Mais à quoi cette dégringolade est-elle due exactement ?
C’est dû essentiellement à un problème de confiance, à la peur des lendemains incertains, à ce qui va se passer à l’avenir. Vous savez, il n’y a aucune visibilité. Le citoyen algérien est face à une situation qui l’effraie. Quand les investisseurs n’ont plus confiance, par conséquent, le citoyen n’a plus confiance et la peur se traduit par de l’évasion fiscale. Mais, en fait, c’est, au-delà de l’évasion fiscale, ce qu’il a entre les mains, une monnaie à laquelle il ne croit plus. Je vous donne un exemple : si je vous établis un chèque, aujourd’hui, pour vous payer. Vous me direz : «M. Othmani, je vous fais confiance !». Vous rentrez chez vous. Vous ouvrez le journal et, là, vous lisez un article qui dit : «M. Othmani est un escroc international et un menteur». La valeur du chèque que je vous ai remis avant et après lecture de l’article sera complètement différente. Le citoyen algérien est dans cette même situation. Il n’arrive pas à recevoir des messages qui le mettent en confiance et qui le rassurent sur l’avenir. C’est pour cela que je parle du choc de confiance : j’ai confiance en toi, nous allons emprunter ce chemin, parce que tu m’as dit que ce chemin était le bon. Je vais m’impliquer avec toi. Mais, aujourd’hui, on me dit de faire confiance et quand je demande pourquoi, il n’y a pas de réponse. Quel chemin veut-on emprunter ? Où veut-on qu’on aille ? Quelle Algérie veut-on qu’on construise ensemble ? Le mot «ensemble» est exclu immédiatement. Non, on ne fait pas l’Algérie ensemble ; on vous dit où on va car on est seuls à savoir où on veut aller… Non, cela ne marche pas comme cela…
Devrions-nous comprendre que les différentes déclarations faites par le gouvernement pour rassurer le citoyen ne servent à rien ?
Ce n’est pas qu’elles ne servent à rien. Je pense qu’il y a un problème de technique de communication. Il y a un manque de savoir-faire en matière de communication à l’attention du citoyen. On voit davantage de signes (répressifs), c’est-à-dire que les institutions de l’Etat veulent affirmer leur autorité par des actions dures, plutôt que des signes d’ouverture et de dialogue, au lieu d’être dans une philosophie, pour employer le mot à la mode, de démocratie participative. Puisque l’Etat dit que nous sommes en démocratie, le futur de l’Algérie nous concerne tous. Nous devons être partie prenante du dessein. Je te fais confiance, donc je te légitime et, là encore, il y a un processus de légitimation de l’Etat qui n’est pas mis en place. Ensuite, si on tombe d’accord sur les perspectives, on y va ensemble. J’ai entendu un homme politique, dont je ne citerai pas le nom, dire : «Cela suffit avec cette histoire de vision !». Pourtant, c’est un homme politique et pas des moindre. J’étais surpris. La situation induite par les prix du pétrole devrait justement nous donner de la force, parce que c’est dans l’adversité que nous allons exprimer le plein potentiel de notre talent. C’est dans l’adversité que l’algérien doit montrer sa créativité, sa cohésion et sa force.
L’Algérien n’a plus confiance en son gouvernement. Comment provoquer ce choc de confiance ?
Une des façons de procéder, pour provoquer ce choc de confiance, est d’entamer déjà des réformes. Communiquer autour de ces réformes qui doivent être consensuelles, discutées et partagées en démocratie participative, portées et approuvées pas tous. Il faut que nous nous inscrivions dans cette démarche. C’est vrai que le politique et l’économique sont fortement liés mais, moi, en tant que chef d’entreprise, certains me disent : «De quoi te plains-tu ? Ton entreprise tourne !» C’est toujours ce fameux leitmotiv qui sape, absolument, le moral de tout le monde et provoque une absence de confiance. Moi, en tant que chef d’entreprise, ma responsabilité – je l’ai dit à plusieurs reprises – ne s’arrête pas au mur de l’enceinte de mon entreprise. J’ai une responsabilité sociale. Il y a des familles qui sont avec moi et j’ai besoin aussi de les rassurer. La productivité et la performance de l’entreprise ne s’expriment que dans un environnement socioéconomique sain et heureux. Si vous êtes dans un environnement socioéconomique où le citoyen n’a plus confiance, où il a peur, comment voulez-vous qu’il produise bien et s’intéresse au savoir, à la science et à la technologie ? Comment voulez-vous qu’il évolue si l’environnement dans lequel il se trouve lui envoie des signaux noirs ?
Je suis optimiste pour l’Algérie, non pas parce que je constate des changements dans la politique du pays, mais parce que, d’abord, je vois les opportunités et le potentiel. Parce qu’aussi, je discute avec beaucoup de gens, des citoyens tout à fait simples, chez qui je trouve la force pour accompagner un changement, s’impliquer pour que l’Algérie change. Je ne parle pas de révolte populaire, je parle d’engagement. Quand je vois les pouvoirs publics qui sanctionnent fiscalement les activités de service, dont vous faites partie, en mettant un IBS à 26% et une TAP à 2%, je me dis que les rédacteurs de ce texte n’ont pas compris – et ceux qui l’ont validé encore moins – comment fonctionne l’économie d’un pays. Je ne suis pas expert en économie, je suis pratiquant. J’ai une entreprise. Je fais appel à des gens qui sont dans l’activité de service et 80% d’entre eux me disent : «Ne nous faites pas de facture !». Nous avons beaucoup de choses à faire en termes de communication…
C’est de l’utopie…
Non, ce n’est pas utopique. Beaucoup de pays ont eu des projets mobilisateurs où la population s’est engagée. Et ils ont réussi leur challenge. Cela peut arriver chez nous. Moi, je crois en l’Algérien et je crois en l’Algérie, mais je pense que nous avons des décisions douloureuses à prendre. Certes, l’Etat a, depuis quelque temps, dit qu’il a fait le pari de nous dire la vérité, mais cela n’est pas suffisant. Dis-moi la vérité, mais dis-moi aussi ce que tu veux faire ! Laisse-moi critiquer et discuter avec toi de ce que tu veux faire ! Et si nous tombons d’accord, à ce moment-là, on pourra, éventuellement, donner le quitus pour que nous suivions ensemble cette voie-là. Le quitus doit être donné par l’ensemble de la société.
Vous affirmez que «nous sommes enfermés dans un modèle qui n’est pas ouvert au monde. Nous allons inévitablement vers l’endettement»…
Je découvre, de plus en plus, les contradictions parce que le pouvoir s’est tellement enfermé dans un modèle dans lequel il veut travailler seul. Le message de la voiture Renault est à lui seul emblématique «dernaha djazaïriya» (nous l’avons faite algérienne). Qu’avons-nous fait ? Rien ! On a juste assemblé une voiture. L’Etat est enfermé dans cette rhétorique qui consiste à raconter au peuple que nous ne pourrons jamais envoyer une fusée dans l’espace seuls. Bien sûr que j’ai confiance en l’Algérien, mais pas comme cela. Nous sommes obligés d’intégrer le savoir et d’importer la technologie. On ne peut pas continuer à vendre l’idée, aussi, qu’une économie doit tout produire. Cela n’existe plus et ce n’est pas possible. Si vous produisez tout, vos importations vont littéralement exploser parce qu’il y a beaucoup de matières premières qui n’existent pas dans le pays et dont vous avez besoin pour fabriquer ces nouvelles choses sur lesquelles vous comptez pour être en autarcie comme la Corée du Nord. Je ne pense pas que ce soit cela le message, mais nous avons tellement raconté cela au peuple… Il y a aussi le poids des entreprises publiques qui, pour le moment, posent un vrai problème politique au gouvernement parce que des partis politiques les soutiennent. Certaines d’entre elles ne sont pas performantes et constituent un fardeau pour l’Algérie. D’autres sont définies comme étant des entreprises stratégiques. Je ne sais même plus ce que signifie une «entreprise publique stratégique». Il y en a, aussi, qui sont définies comme étant des entreprises publiques de souveraineté. Il faudra qu’on nous explique un peu tout cela. Tout ceci me fait dire qu’on raconte une histoire pour les besoins de la consommation locale. Seulement, on sait qu’on ne peut pas continuer à la raconter indéfiniment. Il faut se réveiller et sortir du rêve et du modèle autarcique dans lequel on veut enfermer le pays. Nous devons regarder différemment notre économie pour qu’elle puisse devenir une destination attractive pour les IDE. Si nous continuons à être enfermés comme nous le sommes, nous iront inévitablement vers l’endettement.
Ces dernières années, beaucoup d’entreprises étrangères ont investi en Algérie…
Il n’y en a pas beaucoup. Il n’y en a même pas, à vrai dire. Combien d’entreprises étrangères ont investi en volume en Algérie ? Aucune !
Que dire, alors, du ballet des délégations étrangères à Alger ?
Ils veulent investir, oui. Quand vous rencontrez Lady Olga Maitland, l’Anglaise qui dit publiquement que la règle 49/51 n’est pas un problème, dans un salon et que vous discutez avec elle de ce sujet, elle vous dira que la règle 49/51 est un désastre. Tous les politiques font cela. Elle est obligée de cacher la vérité, car elle vient dans le cadre d’une démarche d’accompagnement, voulant, en quelque sorte, rassurer les pouvoirs publics algériens que son pays n’est pas «dans le conflit». Et elle a raison. Les investisseurs ne viennent pas pour se confronter au gouvernement. Ce dernier pense que les investisseurs étrangers doivent impérativement discuter avec lui alors qu’ils doivent discuter avec des investisseurs. Ces investisseurs discuteront avec l’administration sur les conditions d’investissement. Si les conditions ne leur conviennent pas, s’ils perçoivent trop de risques dans le pays, ils repartent. Des centaines de délégations viendront en Algérie et c’est comme ça que ça se passe dans le monde entier. Le seul pays qui n’a pas de centaines de délégations qui s’y rendent, c’est bien l’Algérie, parce qu’on ne s’exporte pas. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas de produits exportables. C’est juste que nous ne sommes pas dans un esprit exportateur. Nous n’avons pas une politique économique qui a tout un volet export, soutenu et accompagné et qui dit à la sphère économique : «Allons-y ensemble !». Nos voyages officiels ont une connotation fortement politique et non pas économique. Quand les Turcs viennent en Algérie, on n’entend pas parler du volet politique ; ils viennent pour le business. Chez nous, c’est le contraire ; quand ils viennent, ils rencontrent les ministres et le Premier ministre. A quoi cela sert-il de voir les chefs d’entreprise rencontrer les membres de l’Exécutif ? Strictement à rien !
Aujourd’hui, le Forum des chefs d’entreprises s’inscrit dans cette nouvelle démarche…
Le FCE s’inscrit, peut-être, dans cette démarche. Il a sa façon de faire. Je n’ai pas à le critiquer. Mais sa démarche s’inscrit aussi dans une perspective que j’avais, personnellement, proposée lors de ma candidature au FCE. Je considérais que le Forum devait être proactif pour tout ce qui concerne les questions de l’exportation, du développement et du rayonnement de l’Algérie à l’international. Je pense, encore une fois, que nous n’avons pas assez d’éléments d’analyse. Les chiffres ne sont pas au rendez-vous. Faites une enquête et comparez entre l’Algérie, la Tunisie, le Maroc et d’autres pays africains en termes d’IDE, et vous verrez que nous sommes très loin derrière. C’est trop peu par rapport au PIB du pays, à la taille de la population, à la démographie potentielle et aussi à la structure actuelle de notre économie. Le tissu économique est pauvre, même le tissu industriel ne produit pas des choses sophistiquées du point de vue technologique. L’engineering financier nécessaire aux projets n’existe pas encore en Algérie. Le système bancaire algérien est encore à la traîne par rapport aux grandes banques internationales.
La Banque centrale ne permet pas l’arrivée d’instruments de compétitivité. Pourquoi ?
Parce que les banques publiques ne sont pas encore structurées, formées et mises à niveau. Prenons l’exemple de la monétique : vous allez dans n’importe quel distributeur, il n’y a souvent pas d’argent. Combien de personnes utilisent la carte de crédit ? Combien y a-t-il de terminaux ? Pourquoi la modernité n’a pas pénétré complètement la société algérienne ? Parce qu’il y a un problème quelque part. Les solutions existent, mais dès qu’il y a une connotation politique, ça bloque. Je vais citer deux autres problèmes. Le premier concerne l’entreprise publique et est relatif à la fameuse pénalisation de l’acte de gestion ; le second se situe au niveau politique. Il s’agit de la fameuse prise de décision qui signifie qu’il faille assumer ses responsabilités. Les hommes politiques n’assument plus leurs responsabilités ; ils ne veulent pas, parce que la sanction tombe très vite et parce qu’il y a un pouvoir économique qui dicte le jeu que nous ne connaissons pas nous-mêmes. Nous ne savons pas qui produit, aujourd’hui, réellement des textes de loi qui sont parfois aberrants qu’ils sont obligés de revoir 15 à 20 jours après leur promulgation. Qui sont ces experts cachés que nous ne voyons jamais ? Tout le monde est unanime pour dire que ces textes émanent d’experts tapis dans l’ombre. Qui sont-ils ? J’aimerais bien les rencontrer…
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
Demain : La règle 49/51 est répulsive et absolument absurde