Les contorsions marocaines pour sortir du piège européen ou comment le Makhzen s’est fait hara-kiri
La formule fleurie, attribuée à l’ambassadeur de France, Gerard Arnaud, qui considère le Maroc comme une «maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n’est pas particulièrement amoureux, mais qu’on doit défendre», semble connaître une bonne fortune au sein des instances européennes. Le déplacement de Federica Mogherini au Maroc, fortement réclamé par un partenaire boudeur et qui ne manque pas de montrer toute l’étendue de son dépit depuis le coup de tonnerre du 10 décembre 2015 – arrêt du Tribunal européen au sujet de l'accord agricole Maroc-UE –, entre dans le cadre de la diplomatie publique. Celle-ci consiste pour la Haute représentante Mogherini, expliquent nos sources, à «lancer quelques formules diplomatiques convenues pour encourager un Maroc à l’humeur chagrine à revenir sur sa décision de suspension des contacts avec l’Union européenne». Cet exercice est, bien entendu, à destination de l’opinion publique marocaine pour lui «montrer» que l’UE est revenue à de «meilleurs sentiments» sur la question stratégique du dossier du Sahara Occidental qui entache certains des accords signés avec Rabat. Il a surtout pour objectif de proclamer suffisamment fort que l’UE a donné des «clarifications et des garanties» suffisantes qui vont conduire le gouvernement marocain à sortir du piège dans lequel il s’est enfermé lui-même en décrétant le gel de ses contacts avec l’ensemble européen. Suite à cette décision mal inspirée, plus de 120 millions d’euros inscrits dans le cadre de la coopération sectorielle sont actuellement bloqués, faute de réunions entre les experts des deux parties. En effet, mis à part la programmation d’une prochaine visite du nouveau ministre délégué marocain à Bruxelles pour maintenir un dialogue «continu et transparent» avec la partie européenne, la Haute représentante, pour des raisons évidentes liées au respect de l’instance judiciaire européenne, a soigneusement évité de se prononcer sur l’arrêt du Tribunal de grande instance et des recours judiciaires sur lesquels le Maroc veut avoir un droit de regard. Pour rappel, le dernier déplacement, à la mi-février, du nouveau ministre délégué marocain ne lui aura guère laissé de bons souvenirs tant il a été piteusement ballotté entre différents services européens sans aucun égard pour son statut de ministre. Elle n’a pas, non plus, acquiescé aux affirmations fumeuses du ministre marocain des Affaires étrangères, Salah-Eddine Mezouar, qui déclarait que «l’UE respectera ses engagements avec le Maroc et continuera à appliquer l’accord agricole», oubliant que l’accord est toujours valable, sauf en ce qui concerne les produits agricoles en provenance des territoires sahraouis occupés, et que la commission européenne ne peut que se plier à la décision du tribunal, en attendant les suites du pourvoi en appel. Un autre acteur important, le Parlement européen, suit de près cette interaction sur la saga marocaine et de nombreux eurodéputés soucieux de l’état de droit ne manqueront pas de monter au créneau pour interpeller la Haute représentante sur la confusion entretenue par le partenaire marocain sur l’application de l’arrêt du 10 décembre 2015 du Tribunal de première instance de l’Union européenne.
Karim Bouali