Interview – Le dissident saoudien Yahya Assiri : «La fin du régime des Al-Saoud est proche»
Algeriepatriotique : L’opinion publique mondiale ne connaît du régime saoudien que ce qui lui parvient à travers les médias internationaux dominants et encenseurs. Comment décririez-vous la situation en Arabie Saoudite ?
Algeriepatriotique : L’opinion publique mondiale ne connaît du régime saoudien que ce qui lui parvient à travers les médias internationaux dominants et encenseurs. Comment décririez-vous la situation en Arabie Saoudite ?
Yahya Assiri : Le plus grand problème en Arabie Saoudite est le despotisme qui a trop duré et s’abat sur toute chose. Aucune divergence d’opinion, aucune participation de la société n’y sont permises. La famille régnante détient tous les leviers. Et quand je dis tous les leviers, je pèse mes mots. Je dis bien tous les leviers, sans exception : de la gestion politique aux menus détails de la vie quotidienne, en passant par la religion et la culture. Sa mainmise est totale même sur les secteurs les plus éloignés de la politique. Ainsi, même le football n’y échappe pas. L’information, le commerce, les institutions militaire et religieuse sont tous entre les mains du régime. Cette absence totale de la société a produit une situation complexe qui empêche toute lisibilité. Celui qui n’a pas beaucoup voyagé, n’a pas étudié le mode de vie ailleurs et n’a pas étudié l’histoire de la péninsule arabique peut trouver cette situation normale et ne trouve pas trop à se plaindre, à l’exception peut-être de quelques problèmes qui touchent directement à sa vie quotidienne. Le simple citoyen peut se plaindre, par exemple, de la mauvaise qualité de la santé, de la montée du chômage, de la baisse des salaires en relation avec la hausse des prix et, aussi, du faible niveau de l’enseignement, de la fuite des jeunes pour suivre leurs études à l’étranger. Comme il peut se plaindre du problème du transport, de la paupérisation en hausse de la société et des arrestations politiques. Mais si peu de gens se plaignent de la mainmise et de l’influence qu’exerce la famille régnante et ce qui en découle comme corruption, exploitation des richesses ou contrôle de tous les démembrements de l’Etat, tels que la justice, l’institution militaire, etc. C’est ainsi que cette famille a imposé une doctrine religieuse sectaire et sans ancrage dans l’histoire de l’islam, comme elle a imposé sa propre culture à l’ensemble de la société, effaçant du coup ses spécificités religieuses et culturelles qu’elle dissout de force dans un même moule culturel et identitaire, qui est celui du maître. Aussi, certains cherchent-ils toujours des alibis pour justifier tous les problèmes qu’ils endurent, en feignant d’ignorer que la responsabilité de tous leurs ennuis incombe à celui qui a entre ses mains tous les pouvoirs et qui, lui seul, doit assumer les conséquences de sa tyrannie.
On entend parler épisodiquement d’attentats terroristes dans votre pays. Qui en sont les auteurs ?
Le dogme et le discours religieux perpétués par le pouvoir, et dont celui-ci puise sa légitimité, sont très clairs et pleinement assumés par les dirigeants. C’est un discours qui énonce que toute manifestation, toute opposition affichée contre le gouvernant, voire toute revendication de droit participe d’un acte de désobéissance au tuteur. Une telle conduite est assimilée à un crime et à une sédition. A travers cela, on incrimine clairement l’action civile et pacifique, alors que cette doctrine religieuse officielle dit que le vainqueur qui impose sa loi par la force des armes acquiert naturellement la qualité de tuteur légitime. De toute évidence, cette doctrine, créée par le régime et qui est née d’un pacte entre Ibn Abdelwahhab et Ibn Saoud, et continue d’évoluer et de se transformer conformément aux lubies des tenants du règne, inculque aux générations l’idée que le changement pacifique est haram (illicite) et interdit, et que le changement par la violence, l’autoritarisme et la domination par la force est la seule et unique voie possible. C’est ce qui explique que la violence reste foncièrement associée aux victimes de cette doctrine. Car tous ceux qui s’y identifient deviennent de fait des takfiristes violents qui rejettent les autres. On les retrouve dans différentes sectes, de Daech au mouvement Al-Jamia (fondé par Mohamed Amane Al-Jami, ndlr). Ils ont tous la même pensée, la seule divergence entre eux concerne l’identité du dominateur : Ibn Saoud, Ben Laden ou Al-Baghdadi.
Peut-on considérer Daech comme un ennemi du régime des Al-Saoud, sachant que cette organisation est le produit du wahhabisme ?
Certes, ils sont ennemis et chacun guette l’autre et lui assène des coups de boutoir, mais, comme je l’ai mentionné dans la question précédente, ils sont issus de la même école et leur divergence se limite à l’identité du maître. Sinon, tous s’accordent à réduire la glorieuse histoire de l’islam à une doctrine sectaire, perverse et sans fondement théologique solide. C’est la monarchie saoudienne qui a semé la graine et fondé la doctrine et continue à l’adapter à ses intérêts. Or, de temps en temps, des fissures apparaissent. Cela s’est passé, très tôt et de façon éclatante, quand le pouvoir a voulu adapter une fatwa édictée par la secte pour ses besoins de l’heure. Lorsque le roi Abdelaziz voulait changer la fatwa déclarant kofr (apostasie) tout traitement avec un infidèle, par laquelle il avait excommunié les Ottomans et massacré les tribus qui avaient accepté l’autorité des Ottomans, puis, en voulant l’adapter à ses relations avec les Britanniques, il s’est heurté à la contestation des gens crédules qui restaient attachés aux fatwas dans leur ancienne version. Ceux-là se sont constitués en groupe appelé «Ikhwân men ta’â Allah» (Frères des obéissants à Dieu). Le roi Abdelaziz les a réprimés et anéantis, alors qu’ils furent ses nervis qu’il avait utilisés pour massacrer des innocents.
Comment expliquer les relations de l’Occident démocratique avec le régime despotique des Al-Saoud ?
La seule constante au sein de la famille régnante est de se maintenir au pouvoir, et la seule constante de leur doctrine religieuse est de répondre aux demandes du maître et d’adapter la religion à sa guise. Par conséquent, les autorités saoudiennes font tout pour renforcer leur alliance avec l’Occident démocratique, afin d’assurer leur propre protection. Or, comme toutes les richesses de notre pays, le pétrole notamment, sont entre les mains de la famille seule, alors que le peuple n’a aucun droit à la parole, le pouvoir a la voie libre pour accéder aux demandes de l’Occident, en le soudoyant avec de l’argent. Malheureusement, les politiques sont souvent fondées sur les intérêts et non pas sur les valeurs.
D’ex-officiers de la CIA affirment que les dirigeants américains ont des intérêts directs avec les Al-Saoud, en étant actionnaires dans les compagnies pétrolières saoudiennes…
Je ne sais pas. Ce que je sais et ce qui m’importe ici, en premier lieu, c’est de savoir que cette richesse appartient à la nation et non pas à la famille, et que leur monopolisation est une corruption et un crime. Je sais aussi que le peuple, tout le peuple, ignore tout de la distribution et du partage de cette richesse et que la famille épuise cette richesse pour ses intérêts personnels, soit par le pillage direct – qui est, d’ailleurs, reflété dans leur vie publique, connue par le monde entier, à travers les châteaux, les grosses voitures, les commerces, le luxe démesuré –, soit par le soutien apporté à des forces qui sont souvent celles du mal.
Cheikh Imran Hosein dit que l’Arabie Saoudite et Israël sont «deux sœurs» et que l’entité sioniste et le régime des Al-Saoud se protègent mutuellement. Etes-vous d’accord avec cette analyse ?
Non. Israël est conscient de la faiblesse de sa position dans la région, notamment au double plan historique et moral. Au plan historique, il se construit sur les ruines des maisons des innocents tués et forcés à l’exode. Au plan moral, les Israéliens commettent des crimes sans relâche. Cette faiblesse affecte leurs relations et fragilise leur position, même auprès de leurs plus grands parrains. Ce sentiment les conduit à chercher des alliés et à essayer de convaincre les Arabes de normaliser les relations avec eux et d’ignorer leur double déficience morale et historique. Cela les amène forcément à chercher à établir des relations. Par ailleurs, le régime saoudien est lui aussi fragile et n’a aucune légitimité réelle. Historiquement, les Al-Saoud sont des agresseurs qui ont attaqué les tribus pour les spolier et confisquer leurs richesses, leurs biens et leur souveraineté. Sur le plan de la légitimité, ils s’appuient sur la pensée wahhabite, qui est aujourd’hui déliquescente et ébranlée de l’intérieur, avec l’apparition de Daech qui a mis à nu ses tares. Comme je l’ai déjà mentionné, leur seule constante est de consolider leur position politique pour survivre le plus longtemps possible. Donc, pour l’Arabie Saoudite, Israël n’est pas une sœur, mais peut plutôt en faire une ennemie si ses intérêts le lui dictent, comme elle peut s’allier et entretenir de bonnes relations avec Israël, toujours conformément à l’intérêt de la famille régnante. Le même principe s’appliquerait à tout le monde ; à l’Iran et, avant elle, à l’Irak. Elle n’a d’autres principes dans les amitiés ou animosités qu’elle entretient que ce qui lui garantit la survie de la famille régnante, quel que soit le prix à faire payer à la nation et au peuple.
Combien y a-t-il d’opposants au régime saoudien ?
Ils sont très nombreux, mais le problème qui se pose est dans le peu de moyens dont ils disposent et la cruauté de la répression qui s’abat sur eux. Ceux qui sont à l’intérieur redoutent l’oppression et la répression violente, et ceux qui vivent à l’extérieur manquent, à ce jour, d’instruments efficaces pour créer une influence forte, effective et efficace.
Combien y a-t-il de prisonniers politiques en Arabie Saoudite ?
Nous ne disposons pas de statistiques officielles à ce sujet, en raison du flou qui entoure cette question. Néanmoins, le gouvernement reconnaît le chiffre de 4 000. Mais en tenant compte du taux d’accueil des prisons, adossé à la surpopulation carcérale, nous estimons le nombre de détenus à environ 30 000.
Comment sont-ils traités ?
Souvent, ils subissent la torture pendant l’interrogatoire et lorsque le détenu est accusé de violence, le pouvoir se sent renforcé dans ses pratiques et s’adonne à la torture en toute impunité. Quant aux autres, les prisons saoudiennes s’en chargent à leur manière. Car il n’y a ni contrôle populaire, ni presse libre, ni organisations pour surveiller les éventuelles violations. La justice, quant à elle, appuie la position du ministère de l’Intérieur et reçoit les aveux arrachés sous la torture, sans se soucier aucunement des plaintes pour torture. Donc, rien ne les dissuade de poursuivre ces atteintes aux droits humains.
Les accusés ont-ils droit à un avocat ?
Dans très peu de cas, si. Mais dans la plupart des cas, ils ne sont pas autorisés. Souvent, ils ne sont traduits devant la justice qu’après dix ans de détention, alors que la plupart des procès sont secrets. Parfois, les détenus sont conduits devant le tribunal sans même le savoir.
Existe-t-il des tentatives de créer des partis d’opposition en exil en vue de renverser le régime et d’instaurer la démocratie dans votre pays ?
Oui. Et je pense qu’avec la volonté de Dieu, ce projet va voir le jour bientôt.
Interview réalisée par M. Aït Amara