Une contribution de Noureddine Legheliel – Peut-on encore faire confiance à Ahmed Ouyahia ?
Je n’ai pas l’habitude d’écrire des articles sur des personnes. Tous les sujets que j’avais traités dans mes précédents écrits se concentrent sur des analyses financières ou pétrolières. Mais le cas de l’ex-Premier ministre, M. Ahmed Ouyahia, relève de l’exception. Un homme qui personnifie la contradiction ; un ministre qui nous dit que la couleur d’une chose est verte, mais qui, deux ans plus tard, revient pour nous dire qu’elle est orange…
Je n’ai pas l’habitude d’écrire des articles sur des personnes. Tous les sujets que j’avais traités dans mes précédents écrits se concentrent sur des analyses financières ou pétrolières. Mais le cas de l’ex-Premier ministre, M. Ahmed Ouyahia, relève de l’exception. Un homme qui personnifie la contradiction ; un ministre qui nous dit que la couleur d’une chose est verte, mais qui, deux ans plus tard, revient pour nous dire qu’elle est orange…
La Constitution algérienne confère à tout citoyen algérien le droit de parler, de débattre ou de critiquer le bilan et la gestion des affaires du pays, conduites par un président ou un ministre quelconques. Et c’est dans ce sens bien précis que je me permets de parler du bilan de la gestion des affaires économiques du pays sous la gouvernance de M. Ahmed Ouyahia.
En 1996, alors qu’il était chef du gouvernement du président Liamine Zeroual. M. Ahmed Ouyahia avait fait une déclaration à la Télévision algérienne dans laquelle il avait dit ceci : «L’Algérie vaut 9 milliards de dollars sur le marché.» Cette expression est restée, pour moi, un souvenir inoubliable, car je n’ai jamais de ma vie lu ou entendu un économiste évaluer un pays en dollars ! Le célèbre économiste britannique Adam Smith – qui est le père des théories sur l’économie ultralibérale – n’aurait jamais osé utiliser l’expression d’Ahmed Ouyahia. La politique économique ultralibérale menée par Ahmed Ouyahia vers la fin des années 1990 s’est soldée par un cuisant échec et une catastrophe en termes économiques. Le dernier tissu industriel de l’Algérie fut disloqué, des centaines de milliers de travailleurs se sont retrouvés au chômage, des entreprises et des terrains agricoles furent cédés pour des sommes dérisoires, des dizaines de cadres algériens furent jetés en prison au point que ce chef du gouvernement fut appelé «le bourreau des cades».
Première question : pourquoi ce ministre ne reconnaît-il pas cet échec et pourquoi ne demande-t-il pas pardon aux Algériens qui ont perdu leur gagne-pain durant cette triste période ? L’ancien président argentin Carlos Menem avait lui aussi mené une politique économique ultralibérale en Argentine, qui s’est soldée par échec total. Mais il s’est retiré de la politique, contrairement à M. Ouyahia. Face à cette catastrophe économique, le peuple algérien a pleinement le droit d’exiger des comptes à ce chef du gouvernement, selon la Constitution.
Au début de l’année 2003, Ahmed Ouyahia est de nouveau nommé Premier ministre. Il restera à ce poste jusqu’au mois d’avril 2006. Pendant cette période, l’Algérie fut secouée par le scandale de Khalifa. Là aussi, M. Ouyahia chercha par tous les moyens à minimiser l’ampleur de ce scandale et déclina toute responsabilité. Si on suit le raisonnement d’Ouyahia, on peut se demander : à quoi sert un Premier ministre ?
Au mois de mars 2006, c’est-à-dire deux mois avant son limogeage et son remplacement par M. Abdelaziz Belkhadem, dans une conférence de presse télévisée, M. Ouyahia évoqua le bilan économique de l’année 2005. Il avait dit : «Nous avons réussi à créer une croissance économique de l’ordre de 5,5%. Nous avons réussi à réduire le taux de chômage à 13% alors qu’il avoisinait les 20% auparavant, et nous avons réussi à réduire le taux d’inflation à 2,5% alors qu’il était à 22% en 2004.» Augmenter la croissance économique exprimée en PIB, réduire le taux de chômage et réduire en même temps le taux d’inflation de 22% à 2,5%, à supposer que cela fût vrai, aurait signifié que cet ancien Premier ministre aurait défié et mis en doute la courbe – et même la théorie – de Phillips et Lipsey, puisque les salaires des travailleurs algériens sont restés stables, c’est-à-dire sans augmentation durant l’année 2005.
En 2006, lors d’une conversation que j’ai eue avec un cadre haut placé au sein de la Commission d'organisation et de surveillance des opérations de bourse (Cosob), ce dernier m’avoua que «onze entreprises nationales allaient être introduites en Bourse, mais qu’à la dernière minute, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a adressé une instruction au président de cette institution lui ordonnant de tout arrêter».
Au mois de décembre 2008, dans une déclaration reprise par les journaux, Ahmed Ouyahia est allé jusqu’à se moquer des experts financiers algériens qui ont conseillé au gouvernement de créer un fonds souverain. J’étais parmi ces analystes et j’étais le plus engagé dans le débat sur la création de ce fonds souverain en Algérie. «L’Algérie rejette l’aventure des fonds souverains», lança-t-il, affichant un refus catégorique quant à la convertibilité du dinar.
Questions : pourquoi le Premier ministre ne veut-il pas que la Bourse d’Alger soit développée ? Comment se fait-il que l’homme qui était un adepte de l’économie ultralibérale puisse être contre la Bourse ? Incroyable !
La Bourse est avant tout la vitrine de l’économie d’un pays ; qui dit Bourse, dit transparence. Si les entreprises algériennes étaient cotées partiellement en Bourse, peut-être n’aurait-on pas assisté aux scandales financiers qui ont touché certaines entreprises nationales. Une société cotée en Bourse est obligée de publier ses résultats financiers chaque trimestre. Et si les dirigeants de cette entreprise étaient tentés par des détournements de fonds, ils n’auraient jamais assez de temps pour entreprendre une telle action.
Question : comment se fait-il qu’un ministre qui disait que l’Algérie valait 9 milliards de dollars sur le marché soit devenu un adversaire farouche à toute idée de convertibilité du dinar ?
Question : M. Ahmed Ouyahia qui a occupé le poste de Premier ministre et de ministre, sait pertinemment que le meilleur moment d’acheter les actions en Bourse, c’est lors des crises économiques et financières qui ont duré dans le temps et dont on commence à observer les premiers signes de la fin (chose qui s’est produite en décembre 2008). J’avais publié une série d’articles dans quatre quotidiens nationaux, dans lesquels j’avais exprimé d’une manière empirique la nécessité pressante de la création d’un fonds souverain. C’était le moment opportun.
M. Ahmed Ouyahia, si vous aviez écouté les conseils des experts que vous avez cherché à ridiculiser en décembre 2008, l’Algérie de 2016 ne serait pas touchée par la crise actuelle. Regardez la Norvège, les Emirats arabes unis et le Koweït ! Ces pays ont été épargnés par les retombées de la chute des prix du baril grâce aux gains amassés par les portefeuilles de leurs fonds souverains. Le dénominateur commun qui existe entre la Bourse et les fonds souverains, c’est la transparence.
En 2009, lors de la présentation de la loi des finances, M. Ahmed Ouyahia tint un discours zélé, honorant le patriotisme économique proche de celui du défunt Hugo Chavez. Quel paradoxe ! Que restait-il de l’adepte de l’économie ultralibérale des années 1990 ?
Les taxes, les taxes et encore les taxes ! Le Premier ministre algérien taxait les salariés, mais pas les riches (taxe sur les salaires, vignette automobile, etc.) «Je taxerai même l’oxygène que respirent les Algériens», ironisa-t-il.
Automne 2015. Ahmed Ouyahia nous reparle de l’économie du marché, des ambitions honorables et profitables des patrons algériens du FCE, de la Bourse… Ahmed Ouyahia est-il saisi par la nostalgie des années 1990 ? Malgré tous ses échecs tant sur le plan économique que politique, et malgré ses contradictions qui peuvent faire de lui un candidat sérieux au livre des records Guinness, M. Ahmed Ouyahia jouit du soutien, voire de la complaisance de certains journaux qui ont un certain poids sur la scène médiatique algérienne. Ces journaux nous décrivent M. Ouyahia comme un «fin diplomate», un «homme qui lance des discours codés», un «chevronné de la politique», etc. Or, nous sommes en droit de nous poser des questions sur l’honnêteté, l’impartialité et la crédibilité de ces journaux.
Pour conclure cette modeste contribution, je tiens à porter à la connaissance des lecteurs d’Algeriepatriotiqueque je n’appartiens à aucun parti politique et j’espère du fond du cœur que cet article ne sera pas interprété comme un soutien aux adversaires politiques de M. Ahmed Ouyahia.
Noureddine Legheliel
Analyste boursier auprès de Carnegie