Visite de Manuel Valls en Algérie : pour un respect mutuel et un partenariat gagnant-gagnant
L'intensification de la coopération entre l’Algérie et la France ne sera possible – tout en n'oubliant pas le devoir de mémoire – que si les deux pays ont une approche réaliste du co-partenariat, un partenariat gagnant-gagnant loin du mercantilisme et de l'esprit de domination. Les deux pays doivent avoir une vision commune de leur devenir. La symbiose des apports de l'Orient et de l'Occident, le dialogue des cultures et la tolérance sont source d'enrichissement mutuel. Les derniers événements devraient encore mieux nous faire réfléchir, évitant cette confrontation des religions, car autant l'islam, le christianisme que le judaïsme ont contribué fortement à l'épanouissement des civilisations, à cette tolérance en condamnant toute forme d'extrémisme. La mondialisation est un bienfait pour l'humanité, à condition d'intégrer les rapports sociaux et ne pas la circonscrire uniquement aux rapports marchands en synchronisant la sphère réelle et la sphère monétaire, la dynamique économique et la dynamique sociale. Au moment de la consolidation des grands ensembles, enjeux de la mondialisation, le rapprochement entre l'ensemble des pays du Maghreb est nécessaire pour une intensification de la coopération avec la France et l'Algérie via l'Europe à la mesure du poids de l'histoire qui nous lie. L'intégration du grand Maghreb devrait servir de pont entre l'Europe et l'Afrique, les avantages comparatifs à moyen et long termes étant pour les deux pays en Afrique, continent d'avenir et à fortes potentialités, sous réserve de sous-intégrations régionales, de la valorisation de l'économie de la connaissance et d'une meilleure gouvernance. Par ailleurs, n'oublions pas le nombre de résidents d'origine algérienne en France, estimé en 2012 à quatre millions, dont deux millions de binationaux. Quel que soit le nombre, la diaspora est un élément essentiel du rapprochement entre l'Algérie et la France, du fait qu'elle recèle d'importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre l'Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d'intervention l'initiative de l'ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile. Comme le note justement le professeur Jean-Louis Guigou, délégué de l'Ipemed et conseiller du président français, il faut faire comprendre que dans l'intérêt tant des Français que des Algériens et plus globalement des Maghrébins et des Européens et de toutes les populations sud-méditerranéennes, les frontières du marché commun de demain, les frontières de Schengen de demain, les frontières de la protection sociale de demain, les frontières des exigences environnementales de demain, doivent être au sud du Maroc, au sud de la Tunisie et de l'Algérie, et à l'est du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie, passant par une paix durable au Moyen-Orient, les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique.
Dans la pratique des affaires n'existent pas de sentiments, les entrepreneurs étant mus par la seule logique du profit. Mais la mise en œuvre d'affaires saines, comme l'image d'un pays, ne repose plus comme par le passé des relations personnalisées entre chefs d'Etat ou de ministres, mais doit être la résultante de réseaux décentralisés favorisés notamment par l'implication de la société civile d'ONG et d'entreprises dynamiques innovatrices. C'est que l'on assiste au niveau mondial à l'évolution d'une accumulation passée se fondant sur une vision purement matérielle, caractérisée par des organisations hiérarchiques rigides, à un nouveau mode d'accumulation fondé sur la maîtrise des connaissances, des nouvelles technologiques et des organisations souples en réseaux comme une toile d'araignée à travers le monde avec des chaînes mondiales segmentées de production où l'investissement, en avantages comparatifs, se réalise au sein de sous-segments de ces chaînes. Mais il faut éviter toute vision de sinistrose, la situation étant différente de celle de 1986 (dette extérieure inférieure à quatre milliards de dollars et des réserves de change de 143 milliards de dollars au 1er janvier 2016, avec un répit de trois années), l'Algérie pouvant surmonter les difficultés actuelles sous réserve d'une gouvernance rénovée. La réussite du partenariat industriel national et international n'est pas réalisable sans une autre gouvernance, une vision cohérente se fondant sur des réformes structurelles tant politiques, sociales (dont le marché rigide du travail) qu'économiques. Il faut éviter de voir l'ennemi extérieur de partout, car les réformes dépendent avant tout des Algériens si l'on veut bénéficier des avantages comparatifs mondiaux. Les tactiques doivent s'insérer au sein de la fonction/objectif stratégique qui est de maximiser le bien-être social de tous les Algériens. L'objectif d'un gouvernement n'est pas d'être forcément populaire (vision populiste de court terme), mais d'engager des réformes structurelles qui hissent l'Algérie comme pays émergent à moyen et long termes. Pour cela, la dominance de la démarche bureaucratique devra faire place à la démarche opérationnelle économique avec des impacts économiques et sociaux positifs à terme. Cela suppose un profond réaménagement des structures du pouvoir. Aussi, face aux nouvelles mutations mondiales, l'Algérie confrontée à la transition vers une économie productive intimement liée à la transition énergétique a besoin surtout d'une accumulation technologique et managériale.
De Paris, Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international