Une contribution de Noureddine Bouderba – La revendication des enseignants vacataires est légitime
La détermination des enseignants contractuels et le caractère pacifique et citoyen de leur démarche suffisent pour convaincre de la légitimité de leur revendication. Ils ne demandent pas l’aumône ni une augmentation salariale. Juste la préservation d’un emploi qu’ils ont choisi depuis des années et qui les fait vivre. En Algérie, l'accès à l'éducation pour tous et la gratuité de l'enseignement ont, depuis l’indépendance, constitué l'une des priorités des différentes politiques gouvernementales du pays. Ce qui a permis à l'Algérie d'enregistrer, en 2014, un taux de scolarisation des 6-16 ans qui avoisine les 93% avec une parité filles-garçons parfaite selon les statistiques officielles. L’analphabétisme des 15-24 ans a été réduit à moins de 4% et celui des plus de 15 ans ramené à 15%. Cantines et livres scolaires gratuits, allocations monétaires aux élèves démunis, frais universitaires (inscription, restauration et transport) symboliques et bourses accordées aux étudiants issus des ménages démunis ont caractérisé la politique de démocratisation de l'enseignement et sa gratuité à tous les niveaux, y compris supérieur. Cependant, et différents rapports nationaux et internationaux le soulignent, un relâchement a été constaté durant la dernière décennie, plaçant le pays devant des défis importants. Un rapport de l'ONU daté de juin 2015 est venu confirmer les résultats d’un autre rapport élaboré par l'Unicef en octobre 2014, qui avait mis en exergue que le système éducatif algérien était confronté à des taux importants d’abandon scolaire (500 000 chaque année) et de redoublement (plus d'un million par an) qui viennent renforcer les non-scolarisés parmi la population juvénile. Outre l'aspect pédagogique, les classes surchargées expliquent en grande partie ces échecs. Cette surcharge pédagogique est constatée notamment dans les nouveaux centres urbains et dans les zones rurales, et met en évidence que les ressources (constructions d'infrastructures et recrutement d'enseignants) n'ont pas suivi l'évolution des besoins découlant de l'évolution démographique et des migrations internes. Faut-il souligner aussi que c'est dans les ménages les plus pauvres qu'on enregistre les plus grandes déperditions. Ces dernières années, l'Algérie avait consacré à l'éducation en moyenne 15% du budget de l'Etat (environ 6,3% du PIB) alors qu'il en faut au moins 50% de plus si on veut réduire les surcharges pédagogiques et améliorer la qualité de l'enseignement pour nos enfants. Le rapport spécial de l'ONU de 2015 soulignait à juste titre que «l’Algérie est dépourvue d’un cadre juridique qui permettrait de garantir un niveau minimum du budget national à allouer au secteur de l’éducation…». En effet, qu'est-ce qui a empêché l'Algérie d'inscrire ce niveau garanti dans la nouvelle Constitution de 2016 comme l'ont fait de nombreux pays émergents ? La Constitution indonésienne, par exemple, stipule que «l'Etat doit accorder la priorité au budget de l'éducation avec au moins 20 % du budget de l'Etat et des budgets des régions pour répondre aux besoins de mise en œuvre de l'éducation nationale». Le défi pour l'Algérie consiste à élever le niveau de la qualité de l'enseignement par les réformes pédagogiques qui s'imposent et qu'il faut soutenir, mais aussi, et ces réformes ne peuvent réussir sans cela, par la mobilisation d'un surplus de ressources pour faire face aux nouveaux besoins engendrés par l'évolution démographique récente. En 2014, selon le dernier rapport de l'Office national des statistiques (ONS) consacré à la démographie, le nombre de naissances annuelles vivantes a dépassé pour la première fois le million et cette évolution va durer au vu de l'évolution du nombre des 386 400 mariages et du taux conjoncturel de fécondité qui a dépassé la valeur 3 en 2014. Aujourd'hui, pour les trois paliers, nous avons presque huit millions d'élèves pour environ 400 000 enseignants. Selon la projection démographique, ils seront 9,5 millions d'élèves dans cinq ans. Ce qui demandera au bas mot un apport supplémentaire de 80 000 enseignants. Plus, lorsqu'on sait qu'il faudra remplacer ceux qui partiront en retraite et davantage si on veut réduire le taux de surcharge des classes.
Comme on le voit, les besoins sont énormes à la condition que l'Etat y mette les moyens et l’Algérie n’a pas d’autres choix que de relever les défis posés par le développement notamment en matière d’éducation. Il n'y a aucune raison de laisser sur le trottoir des vacataires qui ont déjà enseigné durant plusieurs années. Leur revendication est légitime et le gouvernement doit y consacrer les moyens pour la satisfaire. Ceux qui remplissent les critères requis peuvent être titularisés directement. Pour les autres, des cycles de formation peuvent être programmés pour améliorer leurs connaissances et capacités. D’ailleurs, l'exigence d'amélioration de la qualité de l'enseignement impose une élévation du niveau de l'ensemble des enseignants par la formation continue. Opposer aux enseignants un argument réglementaire n’est pas convaincant. On a bien trouvé les artifices pour pardonner aux délinquants de tout genre et aux fraudeurs de la sécurité sociale. Que les enseignants m’excusent pour la comparaison, car non seulement ils sont l’antithèse de la délinquance, mais en plus leur revendication est légitime. Après avoir créé l’école privée en 2004, remettant en cause le caractère public de l'éducation, les forces de l’argent parlent de créer une université privée pour les enfants des riches avec les moyens de la nation bien sûr. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’un projet global de marchandisation de la connaissance et du savoir et de contrôle des générations futures. Il faut sauvegarder le caractère public de l'éducation qui doit rester gratuite à tous les niveaux et accessible à tous. Il faut empêcher la mise en œuvre d'un système d'éducation à deux vitesses ou la sélection se fait par l'argent. En Finlande, par exemple, les enfants des ministres côtoient les enfants des ouvriers sur les bancs de l’école dans tous les paliers, ce qui n’a empêché ces écoles d’exceller par leur niveau sur le plan international. Abraham Lincoln avait dit un jour : «Si vous trouvez que l'éducation coûte cher, essayez l'ignorance.» Et les besoins de cette éducation exigent de l'Etat la mobilisation davantage de moyens financiers et humains en construisant plus d'écoles, et en formant et en recrutant plus d'enseignants. La régularisation de ces vacataires doit s'inscrire dans ce cadre.
Noureddine Bouderba