Yasmina Khadra au Nouvel Observateur : «Ce n’est pas Bouteflika qui a permis la paix civile»
Dans un entretien accordé au Nouvel Observateur, l’écrivain algérien Yasmina Khadra est revenu sur la situation générale de l’Algérie, tout en abordant la décennie noire et la victoire contre le terrorisme. Démarrant de son dernier roman Qu’attendent les singes, Yasmina Khadra a fait une radioscopie de l’Algérie d’aujourd’hui, en assurant que «la paix civile n’a pas été permise par Bouteflika». «J'ai été le premier à le soutenir ! Pour moi, Abdelaziz Bouteflika était un conjurateur qui pouvait nous aider à chasser les vieux démons. J’y croyais comme pas possible. On attendait un homme providentiel. Pour moi, il avait fait une traversée du désert et s’il était revenu c’était pour sauver son pays. Je l’ai défendu, je me suis battu physiquement ! J’ai attendu. Mais ce n’est pas lui qui a permis la paix civile», a martelé ce célébrissime écrivain dont les romans sont traduits dans plusieurs langues. Yasmina Khadra, un ancien commandant de l'ANP reconverti à l’écriture romanesque, a affirmé qu’«en 1999, le terrorisme prenait fin. Il est juste arrivé au bon moment». Il dit avoir été déçu car le président Bouteflika s’est laissé tomber «aussi bas». Yasmina Khadra a parlé du peuple algérien. Un peuple qu’il trouve «magnifique» qui «se complait dans sa convalescence». Pour lui, les Algériens ont peur car on leur a dit que si le système partait, ce serait le retour de la violence, le chaos, alors qu’ils sortent à peine d’une tragédie terroriste. Pour cet écrivain, révolté contre le système actuel, «il faut se rappeler que dans l’arrière-pays, les populations ont été seules face à leurs malheurs, face aux assassinats, elles sont profondément traumatisées et voient ce qu’il s’est passé en Libye et en Syrie. Elles préfèrent la stabilité à l’émancipation et à la modernité. C'est une désertion». Yasmina Khadra n’en veut pas aux Algériens. Il se dit cependant «agacé» par leur silence. «Il est temps pour qu’ils réagissent et qu’ils comprennent que leur destin est entre leurs mains et non confié à des gens qui ne pensent qu’à eux-mêmes.» Yasmina Khadra parle de «déni de soi, de l’absence de discernement, de la démission, de la trahison qui ont fait que le régime actuel continue de sévir en toute impunité». «Pour moi, poursuit-il, il y a deux Algérie : celle du peuple qui est complètement ignorée, vilipendée et celle des prévaricateurs et des prédateurs qui n'arrêtent pas de se découvrir une force inouïe alimentée par le fatalisme qui nous fait croire que tout est perdu et verrouillé.» Cet écrivain a, en outre, dénoncé un personnage médiatique qu’il qualifie de cynique, à savoir le directeur de publication d’Ennahar qui est, selon lui, le portrait craché de Ed Dayem, un des personnages de son dernier roman.
Sonia Baker