Printemps arabe ou Sykes-Picot 2 ?
Contrairement à ceux qui soutiennent fermement que le Printemps arabe, qui a débuté avec la bien nommée «révolution du jasmin» tunisienne et s'est propagé à la Libye, l'Egypte et le Yémen, avec des tentatives infructueuses ou timides au Bahreïn, en Jordanie, Algérie et Maroc, est le fruit du génie des peuples de ces pays arabes, notamment de leur jeunesse, le chercheur algérien en relations internationales Amir Nour est intimement convaincu que ce «printemps», qui a toutes les couleurs sombres de l'automne, voire rouge du sang de leurs enfants qui s'entretuent, n'est qu'un autre Sykes-Picot visant la recomposition du monde arabe, issu des accords de Sykes-Picot, dont le centenaire sera célébré ce mois-ci. Dans son ouvrage de plus de 250 pages intitulé «L'Orient et l'Occident, à l'heure d'un nouveau Sykes-Picot», publié en septembre 2014 par les éditions Alem El-Afkar, Amir Nour décortique les tenants et les aboutissants du nouveau Sykes-Picot qui s'installe dans le chaos dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, et «qui, contrairement aux accords franco-britanniques de 1916, qui visaient à faciliter la création d'un Etat ou d'une confédération d'Etats arabes, a pour objectif de démanteler les Etats arabes existants, en y suscitant ou en approfondissant les clivages ethno-religieux». Dans l'excellente préface qu'il a consacrée à la version en langue arabe de l'ouvrage d'Amir Nour, qui vient de paraître en librairie, Ahmed Taleb-Ibrahimi, ancien ministre des Affaires étrangères algérien (1982-1988) s'interroge : «Comment ne pas relever les similitudes entre la situation d'hier et celle d'aujourd'hui ? Sykes-Picot d'hier avait été concocté par les puissances coloniales dans le but de détruire le califat islamique, en jouant sur la fibre nationaliste arabe et Sykes-Picot d'aujourd'hui est orchestré par ces mêmes puissances, conduites principalement par les Etats-Unis et Israël, pour porter atteinte à l'intégrité physique de l'ensemble arabo-islamique et pour accaparer ses ressources naturelles, au moyen de l'accentuation de la partition des territoires et de l'encouragement ou de l'approfondissement des clivages ethniques, communautaires et confessionnels à l'intérieur des États qui le composent.» Il poursuit qu'aujourd'hui plus que jamais, les Arabes et les musulmans doivent prendre conscience des terribles manœuvres et complots qui se trament contre eux en allumant les feux de la discorde et de la sédition parmi les membres de la oumma, entre sunnites et chiites, entre Arabes et Kurdes, entre Arabes et Berbères et entre musulmans et chrétiens. A l'instar d'Amir Nour, il est persuadé que dans ce combat, il n'est malheureusement pas possible de compter sur la Ligue des Etats arabes, confrontée qu'elle est à une division et à un délitement sans précédent dans son histoire ; ni elle n’est en mesure de répondre aux aspirations de ses peuples ni elle n’est capable de faire face aux menaces et à l'arrogance de ses ennemis. Preuve en sont les turpitudes dont souffre la cause centrale des Arabes et des musulmans, celle de la Palestine spoliée… Ahmed Taleb Ibrahimi incite les Algériens à lire attentivement l'ouvrage d'Amir Nour, «car il se distingue par le choix judicieux d'écrits soigneusement documentés ; par la référence faite à des auteurs et à des travaux qui font autorité et d'autres moins connus ; par la sagacité de l'analyse conjoncturelle et par la clairvoyance de l'étude prospective». Enfin, dans la perspective du centenaire des accords de Sykes-Picot, la maison d'édition Alem El-Afkar a également réédité trois ouvrages d'Eugène Jung, un ancien officier de l'armée coloniale française en Indochine, devenu un ardent défenseur de la cause arabe et de l'islam, comparé par l'éminent écrivain et historien algérien Sadek Sellam, qui a préfacé les livres réédités, à T.E. Lawrence ou «Lawrence d'Arabie» et qui a dénoncé dans les années 1920/1930 les accords de Sykes-Picot, la politique arabe de la France et ce qu'il avait appelé «les nouvelles croisades» menées contre l'Islam. Bien curieux destin que celui de ce précurseur, boudé et ignoré par les autorités de son pays, dont il défendait avec acharnement les intérêts supérieurs, stratégiques, économiques et culturels et dont la riche et polémique œuvre mérite d'être revisitée par les descendants de ceux dont il voulait susciter et défendre les aspirations à la liberté et à l'indépendance, dans une incompréhension, une ingratitude voire même une hostilité quasi totale.
Rabah Toubal
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