Une contribution de Youcef Benzatat – Les médias ont-ils besoin de se constituer en contre-pouvoir ?
La question revient au même, si l’on se demandait : les médias algériens s’inscrivent-ils dans une démarche pour provoquer et accompagner le changement qui viendrait à bout de la dictature et restituer la souveraineté législatrice au peuple ? Paradoxalement, ces deux termes, dictature et peuple, sont volontairement absents de leur lexique journalistique et lorsqu’il y est fait allusion, c’est en général accessoirement et jamais en tant qu’objet de réflexion et de médiation. Une attention assidue à la production médiatique algérienne fait apparaître un grand déficit de l’usage de ces deux termes, qui sont généralement évacués des pratiques discursives au profit de considérations plus partisanes : claniques, régionalistes, identitaires, religieuses, et, au mieux, en adoptant une certaine neutralité passive, guidée par le seul souci de considérations économiques sous forme de rente publicitaire. C’est ainsi que l’on trouve dans chaque rédaction, plutôt des militants soumis à des intérêts partisans que proprement des journalistes engagés pragmatiquement aux côtés du peuple pour la restitution de sa souveraineté législatrice et son désir profond de prendre son destin en main. Le peuple étant lui-même en déficit de référent lui permettant de se constituer en tant que peuple uni autour d’un idéal commun, la situation dans laquelle pataugent les médias n’arrange pas les choses dans le bon sens pour lui, au contraire, le discours médiatique tel que décrit plus haut ne fait qu’aggraver cette situation et exacerber les divisions. De même pour sa perception du système de pouvoir. Déjà aliénés dans l’imaginaire mythologique religieux et les structures mentales patriarcales ou le repli identitaire, les discours médiatiques, qui suivent généralement l’inflexion du populisme ambiant des rhétoriques de la dictature pour leur garantir une inscription dans le consensus dominant, ne font qu’aggraver son rapport au politique pour l’enfoncer un peu plus dans la résignation et l’aliénation dans la conscience pré-politique. Ainsi, on trouve dans le champ médiatique des tendances claniques pour l’un ou l’autre clan qui constituent le noyau dur de la dictature et parfois des tendances alternatives à la lutte interclanique tout en se situant dans sa configuration globale : Zeroual, Hamrouche, Benflis, Benbitour, etc. On trouve également les deux tendances antagoniques qui tentent de pervertir le politique par leurs discours identitaires et religieux. Le politique n’est jamais pensé dans son autonomie, en tant que moyen de structuration du vivre-ensemble pour des citoyens de toutes croyances, de toutes appartenances ethniques et quelle que soit la langue par laquelle ils se rapportent au monde et aux autres. Autrement dit, dans un sens de républicanisme démocratique. Alors, à quand de véritables médias indépendants, susceptibles de rendre compte librement, dans une transparence totale, de la nature dictatoriale du système de pouvoir algérien et de se constituer pragmatiquement en véritable contre-pouvoir ? Et à quand la notion de citoyenneté, dépouillée de tous les résidus du Moyen Âge politique, serait-elle pour des médias libres, le référent par lequel le peuple sera élu comme seul dépositaire de la légitimité législatrice ? Autrement, dans la situation actuelle du rapport de force de la dictature avec les élites, est-il permis aux médias de se constituer en contre-pouvoir aux côtés du peuple ? Ne sont-elles autorisées à s’exprimer publiquement que les élites qui évacuent délibérément cette préoccupation de leur activité médiatique ? D’où le revers de la question initiale : les médias déjà existants ont-ils besoin de se constituer en contre-pouvoir aux côtés du peuple ?
Youcef Benzatat